Qui dit design retail, dit Rodney Fitch. Le 30 novembre le professeur britannique, expert en retail, organise un symposium à l’Université de Technologie de Delft concernant le « Nouveau retail », suivi de son discours inaugural à l’université. Il y exposera « l’importance fondamentale du shopping », car selon lui le shopping n’est rien de moins que « le but de l’existence ».
L’ascension du pouvoir retail
Lors de ce symposium le professeur Fitch, ainsi que quelques experts exploreront les conséquences des changements du retail aujourd’hui et dans un avenir proche. Le premier conférencier parlera des nouveaux marchés et des nouveaux consommateurs, alors que le deuxième s’attardera davantage sur les nouvelles technologies et les nouveaux canaux. Le troisième volet du séminaire portera sur le nouveau design et les nouveaux designers.
Tout ceci sera intégré dans un cadre social, économique et historique plus large dans le discours inaugural (The Ascent of Shopping) du professeur Fitch lui-même. Les questions principales abordées : comment en sommes-nous arrivés au paysage retail actuel et quel est le rôle au sens large du shopping dans notre société. « Et j’en arrive à des conclusions et des considérations controversées et inattendues, » déclare-t-il, confirmant ainsi sa réputation de provocateur de génie.
Le shopping comme but de l’existence
R.F. : « J’entends déjà les commentaires, mais je pense réellement que le shopping est plus important pour l’individu que par exemple la science moléculaire. Selon moi le sens même de l’existence c’est le shopping ! Les gens considèrent le shopping comme plus important que n’importe quelle autre activité. Seules les choses comme manger et dormir ont une plus haute priorité. Et ils considèrent le shopping non seulement comme une nécessité, comme par exemple faire des courses pour pouvoir manger, mais également comme une manière de définir leur identité personnelle, voire même nationale. »
Le shopping définirait l’identité nationale ?
R.F. : « Oui, en effet. De nombreuses nations – pas toutes, mais il y en a beaucoup – perçoivent le retail comme une part importante de leur identité nationale. Dubaï en est un excellent exemple, mais on peut remonter beaucoup plus loin dans le temps. Avant Dubaï, certaines villes comme Venise ou Constantinople devaient leur identité à ce qu’on peut appeler de façon anachronique le retail. Des gens des quatre coins de monde s’y rendaient pour y faire du shopping.
Lorsqu’on étudie l’histoire du shopping, il est clair que sa force innovante est l’une des raisons qui a rendu le retail si important. Lorsqu’on pense innovation, on pense souvent à des choses sensationnelles comme les hommes sur la lune, mais les innovations technologiques et commerciales dans le domaine du retail sont elles aussi phénoménales. De nombreuses techniques de construction actuelles ont d’abord été appliquées au retail. Le retail incite réellement à l’innovation.
Prenez par exemple la reconstruction et la rénovation des centres-villes : la régénération des villes est stimulée non pas par des problèmes de logement ou par l’industrie mais par le retail. La politique de l’identité nationale est actuellement – et avec succès – stimulée par le shopping ! »
Les retailers sont donc aujourd’hui plus puissants que les politiciens, selon vous
R.F. : « Fin 2008 j’ai mené une étude sur l’un des aspects les plus fondamentaux du retail, à savoir la confiance. En Grande-Bretagne j’ai enquêté afin de déterminer quelles étaient les institutions auxquelles le public faisait le plus confiance, allant de l’Eglise en passant par les politiciens jusqu’aux entreprises et les célébrités.
Ce sondage a démontré que la chaîne de supermarchés britannique Tesco était selon la population l’institution la plus fiable en Grande-Bretagne ! Parmi les 18 instances considérées comme les plus fiables, 4 retailers britanniques figuraient au top. L’institution la moins fiable était le premier ministre britannique. Donc oui, j’ose affirmer avec certitude que les marques retail sont plus puissantes que les politiciens.
C’est parce que les gens croient qu’un magasin sera toujours là pour eux. Attention, il s’agit explicitement ici de marques retail. Pour d’autres marques, les choses sont différentes. Les consommateurs se fient aux marques retail plus qu’à n’importe quel autre type de marque. Parce que Tesco est plus proche des gens qu’Unilever par exemple. Chez Tesco on voit le produit Unilever en comparaison avec d’autres produits, on voit les différentes possibilités et choix. C’est ce qui donne confiance, car le retailer semble travailler pour le consommateur alors qu’Unilever semble travailler pour son propre compte.
L’individu est aujourd’hui un citoyen-consommateur : il n’est plus seulement un habitant d’un pays, mais son rôle de consommateur fait tout autant partie de son identité. Les retailers, plus que toute autre instance, ont répondu aux nouveaux besoins et exigences de la population. Et cet avantage doit être maintenu en continuant à évoluer avec la technologie. »
Mais vous allez encore plus loin en disant que « les marques retail vont coloniser le monde »
R.F. : « Je crois fermement à l’importance du retail. Il y a différentes raisons à cela. Lorsqu’on feuillette un magazine retail, les titres parlent à chaque fois d’une marque qui a ouvert son centième magasin en Chine ou une autre marque qui ambitionne cinq cents points de vente au Brésil.
Beaucoup de gens s’inquiètent en lisant de telles informations, car ils craignent que tout finira par se ressembler partout dans le monde. Et honnêtement il y a effectivement de quoi se faire du souci. Nous ne voulons pas que le monde s’homogénéise totalement.
Mais d’autre part nous devons accepter que le paysage retail est pour 70% identique partout dans le monde. C’est parce que les récepteurs de notre cerveaux sont les mêmes partout au monde. Un Chinois ou un Néerlandais perçoit les messages de Nike de la même manière. Lorsque Nike appose son logo et dit ‘Just do it’, tant les Chinois que les Britanniques que les Argentins comprennent le message.
Deuxièmement il y a également des facteurs humains universels. Partout au monde nous avons plus ou moins la même taille. Notre portée visuelle est donc identique partout : tout le monde voit à peu près la même chose. Au supermarché nous voyons tous maximum 3 mètres en avant. Lorsqu’on conçoit un supermarché il est donc totalement absurde de placer les choses à dix mètres de distance ou de construire des rayons de six mètres de haut. Où que ce soit au monde.
La clé du succès réside dans les autres 30%, qui permettront au retailer de se distinguer. Ainsi une marque britannique renommée par exemple sait exactement comment elle doit aborder son marché, mais ça ne marche pas en copiant le même schéma en Chine. »
Evidemment chacun recherche ces clés du succès. Quelles sont-elles selon vous ?
R.F. « En tout cas pas le prix. Comme je dis souvent : il n’y en a qu’un qui peut être le moins cher, le reste doit trouver autre chose. Bien que les choses soient plus difficiles aujourd’hui qu’en 1984 lorsque j’ai dit cela pour la première fois. A ce moment-là la solution était simple : le reste devait se profiler grâce au design.
Aujourd’hui le design n’est qu’une chose parmi d’autres que l’on doit faire. Durant le dernier quart de siècle le consommateur-citoyen a fini par considérer le design comme une évidence. Ce qui n’est pas beau n’est même pas pris en considération, sauf si c’est absolument le moins cher. Nous n’entrerons dans un vilain magasin que sous cette stricte condition.
Actuellement le consommateur est plus critique, mais également plus éclectique. Ce que je veux dire c’est qu’il est moins fidèle à une marque. C’est pourquoi ça ne pose aucun problème pour lui d’acheter le réfrigérateur le moins cher possible dans un affreux magasin, plutôt que d’acheter un réfrigérateur standard dans un beau magasin ».
Malgré tout l’idée du shopping comme but de vie reste choquante
R.F. : « Les gens considèrent le shopping comme très important pour leur bien-être personnel. C’est ce que j’ai constaté dans mes études. Le shopping ces vingt dernières années est toujours et quasiment partout au monde dans le top 4 des facteurs déterminants du bien-être personnel, c’est ce qu’indiquent les sondages. C’est plus important pour les gens que de partir en vacances ou la politique. C’est pourquoi le shopping est le sens de la vie. Celui qui en est conscient, comprend également les énormes défis que cela entraîne. »
Des défis qui seront abordés lors du symposium le 30 novembre?
R.F.: « Certainement. Une délégation internationale d’acteurs importants dans l’univers du retail et de l’industrie assistera à ce symposium. Ainsi certains CEO des plus grands groupes retail de Grande-Bretagne et d’Allemagne seront présents, mais tous les Belges du secteur sont également la bienvenue. Ce sera une rencontre passionnante entre le secteur retail et le monde académique.
Outre le séminaire et mon discours d’inauguration, nous avons mis sur pied une exposition avec d’une part les meilleures créations de nos étudiants et d’autre part le choix de vingt personnages éminents du secteur de ce qui a été pour eux l’expérience retail la plus originale et la plus marquante de ces 120 dernières années. Nous combinons ainsi un regard tourné vers le passé avec un regard ouvert et créatif vers l’avenir. »
Traduit par Marie-Noëlle Masure