Aucun canal ne prime sur les autres
S’il y a encore beaucoup de choses à dire sur la rentabilité de l’e-commerce, force est de constater qu’il est désormais entré dans les mœurs. Ainsi, Amazon est devenu en quelques années l’un des dix plus gros retailers du monde tandis qu’en Chine, Alibaba a développé une plate-forme commerciale énorme où tout un chacun peut vendre et acheter.
L’Europe n’est évidemment pas en reste. Même si la Belgique a connu quelques ‘retards à l’allumage’, la tendance est d’autant plus irréversible que le consommateur a parfaitement apprivoisé les smartphones et les tablettes.
Comment les chaînes qui vivent des ventes en magasins physiques peuvent-elles faire face à la déferlante internet ? Certainement pas en tentant de la combattre mais bien en l’embrassant. A cet égard, Gino Van Ossel est très clair : « Mettez les magasins physiques sur internet et amenez internet dans les magasins physiques. L’un n’est pas, par définition, plus important que l’autre. Le canal de communication devient le canal de vente et le canal de vente devient le canal de communication. »
Un site internet pour démontrer les compétences du personnel de magasin
Très concrètement : les retailers physiques peuvent également créer sur internet une expérience client capable de rivaliser avec les meilleurs acteurs ‘purement e-commerce’. Le consommateur se connecte sur le webshop relié au site du retailer et commande des produits qui lui sont livrés directement à domicile. Par ailleurs, le site internet permet au retailer d’indiquer à l’internaute quels produits il pourra tester dans quel magasin ou quels produits sont encore de stock. En outre, il peut encore y préciser les heures d’ouvertures et l’adresse du magasin où le client a l’opportunité de fixer un rendez-vous avec un vendeur.
« Un site internet est aussi un outil pour démontrer les compétences du personnel, donner une idée de la taille du magasin et de l’expérience que pourra y vivre le client/prospect. Enfin, ce dernier peut y consulter les promotions en cours pour, le cas échéant, s’épargner une visite inutile sur place. »
Vous présentez l’omnichannel comme une solution. Si l’on considère le secteur bancaire, on constate que le consommateur peut effectuer nombre d’opérations sans réelle valeur ajoutée, libérant ainsi le personnel pour des tâches de conseil. De plus, les rendez-vous peuvent être fixés via internet. Malgré tout, les consommateurs ne sont pas très satisfaits des banques. L’omnichannel est-il vraiment la panacée ?
Gino Van Ossel : « Les banques ont l’avantage de pouvoir adapter rapidement le paramètre logistique. Pourtant, les choses ont pris énormément de temps. Combien de fois ne vous êtes-vous pas rendu en agence pour retirer votre nouvelle carte de banque alors qu’il aurait été beaucoup plus simple de l’envoyer par la poste ? Pour justifier ce retard dans l’adaptation de leurs procédures, les banques ont invoqué des questions de sécurité et la nécessité d’une signature.
Ceci étant, je ne pense pas que l’on puisse réellement parler d’omnichannel pour le secteur bancaire. Les banquiers décident encore souvent eux-mêmes le canal via lequel sera servi tel type de clientèle. Ainsi, une dame âgée ne doit pas retirer ses extraits de compte en agence parce que l’opération leur coûte trop cher. Et celui qui souhaite un conseil pour une affaire très spécifique doit se rendre dans une autre agence que la sienne parce qu’elle n’est qu’un satellite d’une structure plus large. On peut encore évoquer l’étroitesse des créneaux horaires ou l’impossibilité de joindre son banquier par Skype. Et je pourrais multiplier les exemples. Tout ça pour dire que si les banques proposent différents canaux et qu’elles utilisent beaucoup internet, il ne s’agit pas réellement d’une politique omnichannel. »
Voyons l’aspect stratégique : les théories classiques de management recommandent de concentrer ses efforts. Mais comment faire si, pour servir votre client, vous devez travailler sur plusieurs canaux à la fois? En appliquant une stratégie omnichannel, ne risque-t-on pas de s’éparpiller ?
Gino Van Ossel : « Mon livre apporte quelques nuances. Si l’omnichannel est bénéfique à la majorité des chaînes, certaines n’en ont pas besoin. Je songe par exemple à Action ou Primark qui visent le bas du marché.
Par ailleurs, on entend beaucoup dire que l’e-commerce ne s’intéresse qu’au non-food. Je constate pourtant que les supermarchés y investissent, même si c’est de manière plus marginale. Avez-vous déjà observé les files du dimanche matin devant les boulangeries ? Pourquoi ne pas imaginer un site où les clients pourraient commander et payer dès le vendredi pour éviter les attentes interminables le dimanche ?
Ceci dit, une présence online n’est pas une nécessité absolue : un boulanger est avant tout jugé sur la qualité de ses produits. Mais il reste qu’un webshop permet de travailler plus efficacement et d’augmenter son chiffre d’affaires. L’idée n’est donc pas de se concentrer sur un canal particulier mais bien… sur le client ! En ce sens, une stratégie omnichannel ne mène pas forcément à l’éparpillement de ses forces. »
Un retailer qui ferait le choix de la stratégie omnichannel peut-il pratiquer des prix différents selon qu’il vend online ou dans ses magasins ?
Gino Van Ossel : « Il faut jouer franc jeu : pouvez-vous justifier la différence de prix auprès du client ? Y a-t-il des raisons objectives pour qu’un canal soit plus cher qu’un autre ? Une banque peut assortir l’ouverture d’un compte internet d’une série d’avantages puisqu’elle n’a pas nécessité l’intervention d’un employé d’agence. Un parc d’attractions pourra réduire le prix des entrées vendues sur internet car il est assuré de sa recette même si, au jour dit, la météo n’est pas bonne.
Il en va tout autrement pour des chaussures par exemple. Le consommateur peut, soit se les faire livrer gratuitement chez lui et les essayer, soit se rendre en magasin et les essayer sur place. Il ne comprend pas pourquoi le prix serait plus élevé en magasin. Et à raison : si on les lui livre gratuitement à domicile, comment ses chaussures pourraient-elles être plus chères en magasin ? »
Voilà qui entraine les prix dans une spirale négative. Comment en sortir ?
Gino Van Ossel : « Il faut posséder dans son assortiment des produits que l’on ne retrouve pas ailleurs, à tout le moins sans grosse démarque. Ou des produits que l’on ne vend pas en Belgique. C’est ainsi que sur son webshop polonais, H&M vend moins cher qu’en Belgique mais refuse de livrer en dehors du territoire polonais. Pour des chaînes comme H&M cette politique porte ses fruits parce qu’elles ne vendent que leurs propres marques. Aujourd’hui, Decathlon réalise près de 50% de son chiffre d’affaires avec ses propres marques, que l’on ne retrouve forcément pas ailleurs. Ce qui n’empêche que le secteur compte quelques marques très fortes, comme Adidas et consorts.
Tout part de la position spécifique de chacun. Comment combler les besoins du client ? Que souhaite-t-il ? Il est inutile d’ajouter à son assortiment des produits dont il n’a que faire. A côté de cela, les retailers doivent tenir compte de la concurrence. Ils doivent réfléchir sur ce qu’ils peuvent/veulent faire pour servir au mieux leur clientèle. Et en l’espèce, ils disposent de plusieurs outils. Les banques n’agissent pas autrement : elles ont des agences, des automates et leurs sites internet. Ce qui change, c’est la manière dont chaque institution utilise les différents canaux.
Pour en revenir aux chaussures, Torfs possède aujourd’hui plus de marques propres qu’autrefois, même si ce ne sera jamais 100%. La chaîne met également l’accent sur l’aspect service, pas seulement dans ses magasins mais également online. Elle arrive ainsi à créer un look & feel très différent de celui de Zalando par exemple. Ne pouvant concurrencer Zalando ni sur les prix ni sur la rapidité de la livraison, Torfs s’est résolu à animer différemment son canal online.
Par contre, il existe un vrai problème pour les chaînes qui proposent des produits identiques à ceux de chaînes concurrentes : elles sont évidemment exposées à une terrible concurrence sur les prix. On s’attend à ce que dans cinq à dix années à venir, les magasins multimarque perdent du terrain. Le phénomène est déjà en route mais a tendance à s’accélérer. A Anvers, le Meir est un exemple particulièrement frappant : le nombre de magasins de mode multimarque est en chute libre alors que celui des magasins ‘mono marque’ grimpe en flèche. »
Les marques ne pourraient-elles pas être tentées d’exploiter leurs propres points de vente ? Ont-elles encore besoin des retailers ?
Gino Van Ossel : « Dans le food certainement. J’imagine mal le consommateur passer d’un magasin Coca-Cola pour acheter ses boissons à un magasin Unilever pour y trouver les produits Procter & Gamble, etc. Et puis, chacun son métier. Exploiter un magasin ne va pas de soi. Le retail est affaire de professionnels.
Par contre, on voit certaines marques co-investir avec le retail, en prenant en charge une partie des coûts du personnel ou du stock par exemple. Inno a choisi la formule du shop-in-shops qui est un modèle différent de générer un chiffre d’affaires conséquent.
Les marques se rendent bien compte que si elles ne veulent pas être complètement anéanties par les MDD, elles n’ont d’autre choix que de collaborer plus étroitement avec le retail. Elles ont un besoin vital d’exposition.
Elles ont également la possibilité de fabriquer des lignes exclusives pour certains retailers. Il y a des années que, par exemple, Foot Locker distribue une gamme exclusive de chaussures Nike. La chaîne peut se le permettre parce qu’elle est l’un des plus grands distributeurs de chaussures de sport. Même chose pour Media Markt auquel plusieurs fabricants réservent l’exclusivité de certains modèles ou des certaines références. Si Torfs est trop petit pour réclamer le même traitement de faveur, la chaîne possède d’autres arguments au niveau de ses canaux de distribution. »
Si l’on vous suit, il s’agira que retailers, fabricants mais aussi propriétaires d’immeubles commerciaux se repositionnent. Quel message leur adressez-vous dans votre livre ?
Gino Van Ossel : « Le livre ne traite pas de la meilleure manière d’exploiter un webshop mais bien de la manière d’adapter la stratégie d’entreprise de sorte qu’elle prenne en compte les nouvelles réalités du marché. Aucune chaîne de par le monde n’est encore réellement prête. Toutes ont encore énormément à apprendre et à travailler.
Ce n’est qu’en essayant de nouvelles solutions que l’on peut mesurer leur efficacité ou leur inadéquation. Mais avant tout, il faut s’occuper de son core business et le travail touche à tous les rouages de l’entreprise. Il faut être capable d’anticiper sur les évènements et de réagir rapidement. »
Vous souhaitez assister à la conférence de Gino Van Ossel concernant son nouveau livre ‘Omnichannel in retail – het antwoord op e-commerce.’(‘L’omnichannel dans le retail – la réponse à l’e-commerce’) ? Rendez-vous le 23 mai de 14 h à 17 h30 à la The Retail House sur le RetailPodium. Ne tardez pas à vous inscrire, car les places sont limitées !