Peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Albert Van Loock se lance dans la vente de chaussures, qu’il livre à domicile en triporteur… Aujourd’hui, la troisième génération de dirigeants de Van Loock Schoenen en Lederwaren se penche à son tour sur la question de… la livraison à domicile. « La boucle semble bouclée… », observe Bert De Beuckeleer d’un air songeur.
Dix transformations
Vous vous demandez peut-être pourquoi notre interlocuteur se nomme De Beuckeleer alors que nous faisons un reportage sur la famille Van Loock. « Albert Van Loock était mon grand-père maternel », répond simplement Bert. Le ton de l’entretien est donné : professionnel et pragmatique, mais empreint d’esprit de famille et de tradition. Il n’est pas non plus surprenant que Bert soit d’humeur philosophique puisque nous l’avons rencontré peu de temps après le décès de sa sœur Hilde, qui co-dirigeait également l’entreprise. Sa disparition n’a pas été une surprise. Bert et son autre sœur Kirsten savent ce qui les attend.
Le père de Bert entre dans la pièce pour chercher des documents qu’il doit passer en revue. « Nos parents ont passé le flambeau à la troisième génération, mais ils restent présents dans l’ombre, ce qui est une bonne chose », nous explique Bert. Nous n’en attendions à vrai dire pas moins d’une entreprise résolument familiale. Bert remonte avec nous le cours de l’histoire, du temps de la vente de chaussures en triporteur à l’actuelle boutique de standing, installée à Zandhoven, le long de la route Lier-Oostmalle, sur une superficie de 1 600 m².
« En 1946, mes grands-parents avaient une petite boutique logée dans une maison mitoyenne, à l’endroit où se trouve Van Loock Schoenen en Lederwaren aujourd’hui », se souvient Bert. « Mon grand-père Albert n’avait pas d’expérience du retail : il était cordonnier à Zandhoven. Il allait à Lier échanger des bons d’achat de chaussures et les livrait chez les gens en triporteur. C’est ainsi que tout a commencé. Pour arriver au magasin actuel, nous avons réalisé en un peu moins de 75 ans une dizaine de transformations, y compris des agrandissements vers les immeubles voisins. »
Capacité maximale
En effet, Van Loock soufflera ses 75 bougies en 2021 ! L’occasion de faire la fête ? « Nous verrons bien… Nous n’y avons pas vraiment encore pensé. Nous devrions peut-être y réfléchir. Ce serait l’occasion de braquer les projecteurs sur l’entreprise et son histoire. » Il est vrai que les enfants De Beuckeleer ont d’autres préoccupations en ce moment : ils vont devoir combler le vide laissé par Hilde et réfléchir à temps à la succession à plus long terme. Sans parler des défis actuels sur le marché du retail.
« Notre grand-père faisait sa tournée en triporteur pour livrer les chaussures à domicile, et cette tendance est de retour pour les biens de consommation », observe-t-il en souriant. « Les grandes surfaces où les gens se rendent en voiture pour acheter des produits semblent avoir fait leur temps. Seuls les produits à haute valeur émotionnelle ont selon moi encore de l’avenir dans les magasins physiques. Avec nos 1 600 m², nous sommes aussi arrivés au maximum de la capacité compte tenu de l’évolution de la mobilité et du marché. »
Dépenses volatiles
Les dirigeants remettent-ils la formule actuelle en cause ? « Nous n’avons pas le choix. Beaucoup de choses ont changé ces dernières années, notamment le modèle de dépenses du consommateur, dans lequel le commerce en ligne a pris une place significative. Nous nous rendons aussi bien compte que la mode n’est plus une priorité pour les consommateurs. Par le passé, nous pouvions compter sur des moments phares comme les premières communions ou les communions solennelles, à l’occasion desquelles tout le monde s’habillait de neuf. De nos jours, il n’est pas rare de se contenter d’une paire de sneakers à 60 euros. C’était autrefois impensable. »
Les affaires sont-elles devenues plus difficiles ? « Les points de vente physiques coûtent cher proportionnellement, et il faut aussi compter avec la pression de l’e-commerce. Sur certains segments, dont la mode, la concurrence est vraiment rude et fait des victimes. Elle est particulièrement féroce dans les segments inférieurs du marché. Le consommateur est devenu plus capricieux et moins prévisible dans ses dépenses : avant, nous pouvions compter sur les parents pour rhabiller les enfants à la rentrée des classes ; aujourd’hui, ils hésitent et se demandent s’ils ne feraient pas mieux d’attendre les promos du style Black Friday… »
Des produits qui racontent une histoire
Quelle est donc la solution ? « Sur un segment de niche bien précis, il est encore possible de réaliser de la marge, à condition que la demande pour le produit reste suffisante. De nombreux retailers recherchent de telles niches, comme l’écologie ou le développement durable, ou se concentrent sur des groupes cibles spécifiques. Parallèlement, on observe un brouillage des frontières (blurring) qui fait que certains magasins de village sont actifs dans plusieurs branches en même temps. Dans ces conditions, comment se différencier ? Peut-être au moyen de produits que le consommateur est moins enclin à acheter en ligne car il veut aussi bénéficier de conseils et d’un accompagnement. »
Van Loock s’efforce de rester à l’écart de la guerre des prix menée autour des produits facilement disponibles et vendus partout. « Il fut un temps où nous vendions beaucoup de Converse, la marque à la mode. Aujourd’hui, on trouve ces chaussures en vrac chez Lidl, même pas emballées dans une boîte. Nous nous attachons aujourd’hui plutôt à offrir une vitrine aux jeunes créateurs débutants. L’idée fonctionne bien. Nos clients ressentent aussi l’appauvrissement de l’offre et sont en quête de nouvelle valeur ajoutée. Nous leur proposons donc des produits qui racontent une histoire. Les gens y sont très sensibles aujourd’hui. »
Mettre la barre encore plus haut
Cela vaut aussi pour les campagnes du style ‘#Winkelhier. Koop Bewust. Bij ondernemers van hier’ d’Unizo, indique Bert. « Il ne sert à rien de vouloir lutter avec les grandes multinationales. Nous devons au contraire miser sur le caractère local de l’offre, pour lequel le consommateur est prêt à payer un peu plus. Vis-à-vis des clients qui connaissent nos produits de qualité depuis plusieurs décennies, nous devons mettre la barre encore plus haut, y compris sur le segment des sneakers, qui sont aujourd’hui aussi bien portés par des dames de 70 ans que par des jeunes filles de 16 ans. Nous jouons donc le jeu, à notre niveau. »
Ce marché de niche a trouvé son public à Zandhoven. « Nous ne voulons pas seulement servir d’intermédiaire entre les stocks de nos fournisseurs et le client, ni écouler des marchandises vers les consommateurs via une plate-forme en ligne. Nous ne sommes pas à la recherche de ‘quick wins’ ni de volumes à tout prix. En revanche, nous voulons et pouvons offrir une vitrine – au propre comme au figuré – à tous ceux qui s’intéressent à notre histoire : celle d’un entrepreneur local, et non d’un holding anonyme, qui souhaite aider les jeunes créateurs à percer. »