Avec sa stratégie réactualisée et sa bonne gestion de trésorerie, la chaîne de mode LolaLiza a tous les atouts pour survivre à la crise sanitaire, affirme son CEO Joachim Rubin. Si le discours semble optimiste, il y ajoute une mise en garde : « Nous pouvons traverser un ouragan, pas deux… »
« Spécialiste des robes »
Si la chaîne de mode a publié la semaine dernière des résultats en nette amélioration pour l’exercice 2019, mais l’exercice 2020 sera une autre paire de manches et Joachim Rubin en est conscient. Il reste néanmoins confiant : « Beaucoup de choses ont changé ces deux dernières années. Nous nous sommes réorganisés et avons beaucoup travaillé sur nos collections pour nous rapprocher encore de notre principal groupe cible, la femme de 30 à 45 ans – même si nous nous adressons à toutes les femmes. Nous avons resserré notre ADN : nous voulons être un one-stop-shop avec une spécialisation particulière dans les robes pour toutes les occasions. Grâce à notre nouvelle directrice des achats et du design Elodie Doret, nous sommes désormais plus en phase avec l’air du temps. »
Le détaillant a travaillé sur sa réactivité pour répondre plus rapidement à l’évolution de la demande. De nouveaux articles apparaissent constamment dans la boutique : les clients peuvent découvrir des nouveautés chaque semaine. « En travaillant à court terme, nous pouvons également mieux gérer nos stocks. »
L’entreprise a renforcé son équipe CRM et Data pour affiner le profil de sa cliente : que veut-elle ? À quelle fréquence fait-elle son shopping ? À quoi ressemble son panier type ?…. « Cela nous a beaucoup aidé, même si nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. » LolaLiza a également adapté sa communication marketing : mailing direct, médias sociaux, « triggered mails » sur la base du comportement des clients… « Un bon exemple : nous avons envoyé un e-mail personnalisé à toutes nos clientes qui n’étaient pas revenues dans nos magasins dès la fin du confinement pour les inviter à repasser nous voir. »
Se mettre au goût du jour
Joachim Rubin veut aussi mettre en valeur l’identité belge de LolaLiza. « Nous connaissons parfaitement nos clientes. Quand vous entrez dans une boutique LolaLiza, vous bénéficiez d’une expérience très différente de ce qui se passe chez nos concurrents : notre accueil est beaucoup plus belge, plus personnel. Nos vendeuses s’adressent aux clientes par leur prénom. Et nous les encourageons à aller encore plus loin : nous voulons être encore plus proches de nos clients, tant en ligne que dans nos boutiques. »
Mais le CEO déplore un certain manque de notoriété. Nous comptons de nombreuses clientes fidèles, mais une grande partie de la population ne connaît malheureusement pas encore assez LolaLiza. C’est pourquoi nous investissons dans le marketing et développons des actions qui créent du buzz pour renforcer la notoriété de la marque. Nous sommes également présents sur tous les canaux numériques. »
La numérisation est une priorité pour le CEO : « Store-to-web ou web-to-store : nous pouvons vraiment faire de l’omnichannel. Nous disposons d’une appli et d’une boutique en ligne qui fonctionnent très bien. Pendant la crise sanitaire, nous avons connu des pics où les ventes en ligne étaient trois fois plus élevées qu’avant le corona, et nous avons toujours pour satisfaire la demande. Notre modèle est donc de son temps, tant pour ce qui concerne le produit que le mode de consommation. »
Des dépenses moyennes plus élevées
Comment Joachim Rubin a-t-il vécu la période difficile du confinement ? « Au début, j’avais beaucoup d’inquiétude, notamment concernant nos liquidités, mais grâce en partie aux mesures prises par le gouvernement, nous avons pu gérer l’impact de la crise. De plus, les bonnes relations que nous entretenons avec nos propriétaires nous ont été très utiles. Le loyer est un poste de frais important et malheureusement, le gouvernement n’a pas apporté de solution à ce niveau. Nous avons également bien géré nos stocks : nous n’avons pas de gros invendus dans nos boutiques, le niveau des stocks est comparable à celui de l’année dernière. Je suis assez confiant à ce sujet. »
La réouverture des magasins le 11 mai a redonné de l’air : « Nous avons remis la machine sur les rails, mais c’était assez lent. Nous avons commencé prudemment, avec des équipes réduites dans les magasins et des investissements moins importants, mais les ventes se redressent progressivement. En revanche, nous avons immédiatement réinvesti dans le marketing pour nous faire entendre. Je suis toujours optimiste : je veux porter un message d’espoir, mais nous ne pourrons pas rattraper le retard accumulé pendant le confinement. En tout cas, j’espère qu’il n’y en aura pas de deuxième… »
Le détaillant observe une évolution dans le comportement des consommateurs : « Nous avons moins de visites en magasin, mais les dépenses moyennes sont un peu plus élevées, comme le taux de conversion. Les consommateurs qui entrent deviennent clients : ils achètent. Les Belges veulent se faire à nouveau plaisir. C’est bon pour la rentabilité. » Mais il est clair qu’une partie de la population hésite toujours et a réduit ses dépenses. L’avenir dira si ce phénomène est passager. De nombreuses personnes ont été touchées dans leur pouvoir d’achat, on peut et veulent savoir ce que l’avenir leur réserve. » L’optimisme de Joachim Rubin n’est pas de la naïveté : « Je préviens tout le monde : certains parlent déjà de coronavirus au passé, mais je pense que l’épidémie va encore faire sentir ses effets pendant six à douze mois. Nous aurons besoin de temps pour compenser le manque à gagner lié aux deux mois de confinement. »
Une reprise plus rapide en périphérie
L’adoption de l’e-commerce est en tout cas indéniable. Grâce au corona, la croissance du commerce en ligne en Belgique a dépassé les prévisions en Belgique. Et en dépit d’un léger repli, le niveau reste en hausse après le confinement. Chez LolaLiza, l’e-commerce représente environ 10 % du chiffre d’affaires aujourd’hui. Pour nous, c’est un cap important : il est difficile de rentabiliser une boutique en ligne, surtout pour une entreprise belge. Elle ne devient rentable qu’à partir d’un certain volume, il faut générer des économies d’échelle. Et nous avons à présent dépassé ce seuil : pour nous, l’e-commerce sera rentable cette année. »
Cela aura-t-il des répercussions sur le nombre de magasins physiques ? « Notre philosophie est de garder tous les magasins qui sont rentables. Nous avons subi un gros manque à gagner pendant le confinement et nous considérons que nous prenons un nouveau départ. Nous analyserons la rentabilité des magasins. Nous avons déjà fermé quelques magasins non rentables, mais nous ne prévoyons pas d’autres fermetures cette année. La majorité des magasins restent rentables. À long terme, la tendance est à une réduction du nombre de magasins, mais peu à peu. L’e-commerce a encore un peu de retard en Belgique par rapport aux pays voisins. » Joachim Rubin est heureux que LolaLiza ait une stratégie efficace en périphérie, où la reprise a été plus rapide que dans les villes ou les centres commerciaux. « Les magasins en périphérie sont souvent plus vastes. Il y a plus d’espace et cela rassure le client. Vous pouvez stationner devant la porte et rentrer directement chez vous. C’est différent dans un centre-ville ou un centre commercial où vous avez plus de contacts avec d’autres personnes. »
Des stocks plus faibles, moins de remises
Cette crise va-t-elle transformer définitivement l’industrie de la mode, avec un accent placé sur la durabilité et un rejet de la fast fashion à bas prix ? « Nous constatons une prise de conscience croissante au sein de la population, c’est indéniable. Mais je pense qu’il faut être prudents avant de condamner la fast fashion. Parce que le mot “fast” est important : comme nous sommes plus agiles, nous avons moins d’invendus aujourd’hui qu’à l’époque où nous achetions à long terme : nous voyons ce qui fonctionne et nous commandons selon la demande. Notre fast fashion nous permet de mieux répondre à la demande, de mieux gérer nos stocks et d’avoir moins de surplus. »
Cela implique également une stratégie d’achat différente : « Nous avons totalement inversé les rapports de force : avant, l’Asie représentait 70 % de nos achats, aujourd’hui c’est 20 %. Le reste vient d’Europe et de pays voisins comme la Turquie et le Maroc. Nous produisons donc un peu plus cher, mais nous devons accorder moins de ristournes. C’est plus rentable. Et nous n’avons pas augmenté nos prix de vente. Dans le food-retail, il existe deux grandes stratégies en matière de tarification : everyday low price et high-low. Dans le fast fashion, on préfère le high-low pour éviter des stocks d’invendus. De notre côté, nous optons pour une approche everyday balanced price. »
« Je reste optimiste »
Quoi qu’il en soit, l’entreprise essuiera à nouveau une perte en 2020. « Nous avons heureusement généré du cash l’année dernière, ce qui nous permettra de surmonter la crise. Je pense que LolaLiza dispose d’une stratégie assez solide aujourd’hui. Si nous parvenons à réaliser en 2021 ce que nous avions prévu pour 2020, je serai très satisfait. Il n’y a que deux choses qui m’effraient : une deuxième vague et le naturisme. Les gens devront toujours s’habiller, et nous devons veiller à rester parmi les meilleurs pour qu’ils continuent à acheter chez nous. C’est le grand défi. »
Est-ce encore possible dans un secteur hyperconcurrentiel et face à de grands concurrents internationaux ? « Oui, j’en suis convaincu. Nous devons être plus belges que belges, très proches de nos clients. Car même entre la Wallonie et la Flandre, il existe de grandes différences dans le comportement des consommateurs. Et nous pouvons en tirer profit, en ajustant notre tone of voice et même si nous proposons les mêmes collections partout, en opérant quelques ajustements dans l’aménagement des boutiques. Nous faisons avec An Lemmens en Flandre ce que nous avons fait avec Tatiana Silva en Wallonie – elle est également connue en France. Ce sont deux personnalités qui incarnent notre groupe cible. Je suis toujours optimiste. Nous disposons à présent d’une équipe solide capable de résister à un ouragan. Un, mais pas deux… »