De plus en plus de femmes optent pour des tenues élégantes sans être trop révélatrices. La ‘modest fashion’ (mode modeste ou pudique en français) est actuellement l’une des tendances les plus marquantes de la mode. Une révolution silencieuse est en marche, inspirée par le mouvement #metoo.
Une ‘niche de masse’ inexploitée
RetailDetail a rencontré Lisa Bridgett, COO du webshop The Modist, qui vend à l’international une collection de vêtements couvrants de marques high fashion de luxe telles qu’Ann Demeulemeester, Haider Ackermann, Jil Sander, Marc Jacobs ou Wolford. « Nous avons lancé le webshop au printemps 2017 à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Le succès a été immédiat : nous enregistrons actuellement une croissance de 300 % et allons probablement faire encore mieux l’an prochain. »
Mais qu’entend-on exactement par ‘modest fashion’ ? Il s’agit d’une tendance qui permet aux femmes de revêtir des tenues élégantes et à la mode sans trop se dénuder. Les vêtements ont par exemple une encolure montante, sont un peu plus longs, ont des manches plus longues et une coupe distincte. La superposition de couches est aussi de mise. Ce courant a dans un premier temps surtout séduit le monde musulman, mais la clientèle ne se limite absolument pas aux femmes exprimant des convictions religieuses, affirme Lisa Bridgett. « Certaines femmes sont effectivement motivées par leur foi, mais d’autres optent pour une certaine discrétion vestimentaire car elles sont amenées à côtoyer beaucoup d’hommes dans leur vie professionnelle. Mais aussi en raison de leur âge, de leurs rondeurs… Le public est vraiment très large ! Il s’agit d’une ‘niche de masse’ encore pratiquement inexploitée ! »
« Le marché va exploser »
La ‘modest fashion’ n’est en aucun cas synonyme de niqabs ou de burqas, souligne Bridgett. Les vêtements sont contemporains, élégants et à la mode. Il fut sans doute un temps où la mode pudique était avant tout couvrante et triste, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. « Nous modifions le regard que les femmes portent sur la mode. La mode n’est pas réservée aux femmes blanches, blondes et minces. Nous nous adressons à toutes les femmes, indépendamment de leur race, de leur âge, de leur style et de leurs mensurations. » La mode modeste s’inscrit en outre parfaitement dans l’air du temps. Il n’y a qu’à penser au mouvement #metoo. « Nous assistons à la naissance d’une nouvelle idée de la féminité. La presse l’a senti. Les tendances sociales nous ont donné une plate-forme d’expression. »
Selon elle, le secteur traditionnel de la mode va connaître de profonds changements. « La mode a toujours été dictée par Paris, Londres, Milan et New York. Mais cette vision est restrictive et dépassée. Aujourd’hui, c’est le consommateur qui décide. Les influenceuses donnent le ton : les réseaux sociaux ont donné une voix aux gens. Nous sommes un vrai retailer du 21e siècle. Nous avons une mission, une raison d’être. Nous voulons être pertinents et faire une différence. Cette philosophie séduit avant tout la génération des millennials qui défendent d’autres valeurs et ne pensent plus en termes de stéréotypes. Le mouvement a vraiment pris une ampleur internationale et va rapidement se généraliser. Croyez-moi, le marché va exploser ! »
Analyse de données et personnalisation
The Modist se positionne résolument dans le segment du grand luxe. La dépense moyenne tourne autour de 700 dollars (620 euros). « Au Moyen-Orient, le panier moyen est encore plus élevé qu’aux États-Unis et en Europe. La Chine est aussi un marché intéressant. » Le webshop propose actuellement les collections de pas moins de 180 créateurs internationaux. Ces marques de luxe ne sont-elles pas embarrassées d’être associées à la mode modeste ? « Au démarrage du webshop, elles ont surtout été surprises par notre approche. Mais notre elevator pitch a fait mouche. Elles ont compris que nous apportions un regard neuf sur l’élégance. Certaines maisons de mode ont besoin d’un peu plus de temps pour se convaincre de nos points forts, mais je peux déjà vous dire que nous lancerons plusieurs nouvelles marques prestigieuses en 2019. »
The Modist possède aussi son propre label baptisé Layeur. « L’analyse des données disponibles nous permet d’identifier les lacunes dans notre offre et de les combler. Nous investissons dans le machine learning et la personnalisation afin de mieux comprendre nos shoppers. De nos jours, il n’y a plus qu’une seule tendance dans la mode. De nombreuses tendances coexistent et beaucoup de femmes n’hésitent pas à combiner pièces bon marché et vêtements de marque. Les robes sont la catégorie que nous vendons le mieux. Beaucoup de femmes ne veulent pas porter de décolleté profond ou dénuder leur ventre ou leur dos. Nous répondons aussi à la sensibilisation croissante à l’impact environnemental de l’industrie de la mode. Nos vêtements sont durables ; nous ne faisons pas dans la mode jetable. »
Pionnier
The Modist possède des bureaux à Dubaï et à Londres. La majorité des clients internationaux sont originaires des Émirats arabes unis, des États-Unis et du Royaume-Uni. Sur le continent européen, les Pays-Bas sont en tête des ventes, devant l’Allemagne et la France. L’entreprise peut-elle être qualifiée de pionnier du secteur ? « Je pense que oui. Nous sommes numéro un sur ce segment. D’autres retailers jouent occasionnellement la carte de la ‘modest fashion’ à travers des collections capsules, mais les clientes sont obligées d’explorer tout l’assortiment à la recherche des bonnes pièces. Notre concept est unique. Il y a à peine 15 % de chevauchement entre notre collection et l’offre des autres webshops. Tous les articles que nous vendons sont sélectionnés avec soin. »
Quelles sont les prochaines étapes pour le retailer ? « Nous voulons continuer d’améliorer l’expérience client et attirer encore plus de superbrands, c’est-à-dire des marques de créateurs super premium. Nous allons également étoffer les collections commercialisées sous notre propre label Layeur. Nous allons aussi nous pencher sur notre logistique. Actuellement, nous livrons dans les deux jours suivant la commande à partir d’un centre de distribution à Dubaï, mais la mise en place de hubs aux États-Unis et en Europe n’est pas exclue. »
Les marques mainstream s’y mettent aussi
La mode pudique est plus qu’un phénomène de mode passager. Elle est le reflet des évolutions sociétales et de la diversité croissante dans le monde. Au Royaume-Uni, les requêtes portant sur les termes ‘modest fashion’ ont augmenté de plus de 500 % sur Pinterest. D’après les estimations, ce segment devrait enregistrer une croissance de 51 % en 2019 pour atteindre une valeur nette de 450 milliards de dollars (près de 400 milliards d’euros) selon un rapport de Reuters. De plus en plus de marques de mode connues lancent des collections de ‘modest fashion’. Ça a récemment été le cas de H&M avec la collection LTD, comprenant des vêtements couvrants tels que caftans et robes kimonos. Des marques comme Dolce & Gabbana, Nike, Uniqlo, DKNY, Tommy Hilfiger, Oscar de la Renta, Burberry, Zara et Mango surfent chacune à leur manière sur cette tendance phare. Les webshops spécialisés, tels que The Modist, Modessa ou ModLi, se multiplient.