Y a-t-il dans le secteur du e-commerce des sites de mode générant du bénéfice ? Non, selon Bernard Arnault, PDG du groupe de luxe LVMH. Mais cette affirmation est-elle fondée ? Passons en revue les principales plateformes de mode.
Uniquement des pertes ?
Bernard Arnault n’est pas des plus tendres à l’égard d’Amazon et consorts : ces sites seraient même financés par le terrorisme, prétend le multimilliardaire interrogé sur l’éventualité d’une collaboration entre le groupe de luxe et Amazon. « Tous les ‘pure players’ du secteur de la mode perdent de l’argent. C’est un mauvais signe. Plus ils deviennent grands, plus ils font de pertes », souligne le PDG, qui avoue avoir été approché à plusieurs reprises en vue d’une collaboration, qu’il a toutefois toujours refusée.
LVMH sait par expérience à quel point il est difficile de rentabiliser un site d’e-commerce : le groupe de luxe dispose en effet de sa propre plateforme en ligne (certes modeste), baptisée 24S, qui ne parvient pas à générer du bénéfice. Mais le PDG a-t-il raison lorsqu’il prétend que les webshops de mode ne font que perdre de l’argent ? Pour répondre à cette question, vérifions les chiffres des principaux e-commerçants européens.
Le top 3 hors du rouge
Hormis les vendeurs ‘tout-en-un’ comme Amazon, Alibaba et eBay, Zalando est incontestablement le plus grand ‘pure player’ européen. Même si la plateforme se targue de générer du bénéfice depuis 2014, on ne peut parler d’une constante : avec un chiffre d’affaires de 5,4 milliards d’euros en 2018 l’e-tailer de mode allemand a généré un bénéfice net de 51,2 millions d’euros, soit deux fois moins que l’année auparavant. Régulièrement les chiffres sortent du rouge pour ensuite y replonger.
Veepee, l’ancien Vente-Privée et maison-mère du site belge Vente-Exclusive, aurait atteint un chiffre d’affaires consolidé de 3,7 milliards d’euros en 2018. Le groupe ne communique pas ses bénéfices, mais dit néanmoins être rentable dans chaque pays où il est actuellement actif. Mais est-ce également le cas au niveau du groupe ? On pourrait en douter vu la politique de reprise agressive du site de vente événementielle.
Avec un chiffre d’affaires de 2,73 milliards de livres britanniques (3,1 milliards d’euros) le britannique Asos est le troisième acteur de top 3. Même si l’e-tailer de mode refuse de dévoiler son bénéfice net, on sait néanmoins que le bénéfice avant impôts de l’exercice clos le 31 août 2019 s’est établi à 33,1 millions de livres (39 millions d’euros), soit un tiers du bénéfice de 102 millions de livres réalisé l’année auparavant.
La croissance au détriment du bénéfice
Relevons pour Bernard Arnault que la plateforme de luxe en ligne Yoox-net-a-Porter, détenue majoritairement par Richemont, grand rival LVMH, a réalisé un chiffre d’affaires de 2,09 milliards d’euros en 2018, soit une hausse de 12%. Bien que l’entreprise soit toujours déficitaire, la perte a été réduite de moitié, passant de 49 millions d’euros à 21 millions d’euros.
Quant au webshop de mode allemand Bonprix, propriété du groupe Otto, il a enregistré un chiffre d’affaires de 1,57 milliard d’euros durant l’exercice 2018/2019. Même si la croissance connaît un ralentissement – en 2017 le chiffre d’affaires s’élevait déjà à 1,5 milliard d’euros – ce site est bel et bien rentable : durant dix années consécutives l’entreprise a progressé toute en générant du bénéfice. Depuis quelques années le bénéfice avant impôts augmente de 3 à 5%.
L’américain Farfetch pour sa part dit privilégier le chiffre d’affaires par rapport au bénéfice : avec un chiffre d’affaires de 602 millions de dollars (550 millions d’euros) l’e-tailer de luxe a subi une perte de pas moins de 156 millions de dollars (140 millions d’euros). Pourtant le site a vendu pour 1,4 milliard de dollars de vêtements, soit une hausse de 55% comparé à l’année auparavant.
Mythe versus réalité
Le site britannique de fast-fashion Boohoo a enregistré son premier bénéfice, bien que modeste : en 2018 le chiffre d’affaires a bondi de 48% pour atteindre 856,9 millions de livres. Le webshop en pleine croissance a ainsi franchi la barre du milliard d’euros de chiffre d’affaires. Le bénéfice aussi est monté en flèche, atteignant 59,9 millions de livres (70 millions d’euros), soit une hausse de 38%.
About You, le nouveau venu du groupe Otto, génère déjà un chiffre d’affaires de 461 millions d’euros. Fondé dans le but de rivaliser avec Zalando, il n’est donc pas étonnant qu’About You subisse encore de sérieuses pertes : durant l’exercice clos fin février 2019 la perte s’est élevée à 114 millions d’euros.
En conclusion, on peut donc difficilement donner tort à Bernard Arnault : assurer une croissance rentable constante dans le secteur de la mode en ligne relève jusqu’à présent plutôt du mythe que de la réalité. Mais ceux qui parviennent à générer du bénéfice le font souvent avec des hauts et des bas, même si au final il ne leur reste pratiquement rien en net.