Pour Dille & Kamille, c’est plus qu’une des grandes leçons de la crise sanitaire, c’est une révélation : l’agitation est contreproductive dans un magasin. Le retailer digère bien la crise et ne reporte légèrement ses projets d’expansion au Benelux et en Allemagne.
« Imperfection parfaite »
Le plus beau Dille & Kamille ne s’élève pas dans une rue commerçante animée, mais est niché dans un immeuble respirant l’authenticité d’un quartier atypique du centre-ville d’Anvers. Après une rénovation approfondie, le magasin a récemment rouvert ses portes. La superficie a augmenté de moitié, avec une belle véranda qui s’ouvre sur un superbe jardin intérieur, véritable havre de paix dans la ville. En outre, le retailer y travaille en étroite collaboration avec le coffie-shop Maurice, installé dans une chapelle originale. Tous les ingrédients de la marque s’y rejoignent. RetailDetail s’est entretenu avec son directeur général Hans Geels à propos des ambitions de la chaîne en matière de durabilité, de ses projets d’expansion et l’impact de la crise sanitaire.
Ce magasin rénové est l’incarnation parfaite de la formule Dille & Kamille. Quelles sont les lignes de force de ce concept ?
« Fondamentalement, rien n’a changé. Mais il y avait ce joyau caché à l’arrière du bâtiment, cette cour intérieure que nous ne mettions pas en valeur, c’était un de nos grands regrets à Anvers. Le magasin était également assez exigu pour une grande ville : environ 280 m², alors que nous avons l’habitude de nous établir sur 400 à 500 m². Si vous donnez de l’espace au concept et aux articles qui l’accompagnent, si vous les laissez respirer, vous créez une espèce de refuge. C’est ce que nous voulons toujours apporter à un centre-ville : un lieu de rencontre, à l’abri de l’agitation permanente. Si la ville le permet, nous espérons ouvrir un hôtel-boutique au-dessus du magasin, ce qui serait une première pour Dille & Kamille. Ce serait une belle manière d’assembler toutes les pièces du puzzle. Nous voulons également utiliser la cour intérieure : nous pourrons par exemple y installer des stands pour Noël ou y organiser des concerts. C’est le lieu ultime : même si nous avons beaucoup de beaux magasins, cette atmosphère ne se retrouve nulle part ailleurs. C’est encore notre magasin d’Arnhem qui s’en rapproche le plus. Ce n’est peut-être pas la perfection d’un point de vue retail, mais c’est précisément la raison pour laquelle il est parfait pour nous. C’est ce que nous appelons l’imperfection parfaite. »
L’un des nouveaux articles est un distributeur pour détergents. La durabilité est un fer de lance de Dille & Kamille ?
« Nous voulons également être honnêtes à ce sujet : il n’est pas facile d’être très durable pour un retailer non-food. Nous dépendons de nos fournisseurs, le sourcing est assez complexe et nous ne sommes pas une grande entreprise. Nous voulons être aussi durables que possible, notamment par la qualité des matériaux parce que la qualité est ce que l’on peut faire de plus durable : s’assurer que les articles durent longtemps. Mais en toute honnêteté : avec nos 12 000 articles actifs, nous avons encore du pain sur la planche. L’attitude la plus durable consiste évidemment à ne rien acheter. Si nous voulons être parfaitement durables, nous devons fermer tous nos magasins. Nous essayons juste de faire au mieux. »
À quel point votre assortiment est-il extensible ? Dille & Kamille vend du textile, des produits alimentaires, des articles ménagers, des plantes, des détergents..
Le dénominateur commun, c’est l’atmosphère qu’ils dégagent : nous essayons d’apparaître comme un endroit où l’on se sent chez soi dans la ville et de permettre à nos clients de créer plus d’harmonie chez eux. Nous voulons qu’il leur soit plus aisé et plus attrayant de vivre de manière durable et responsable, de transposer chez eux l’atmosphère que nous créons ici. Un chez-soi, c’est un jardin, une cuisine, un bureau, une salle de bain… D’où les différents groupes de produits. Ils semblent mal assortis, mais tous nos produits se rejoignent sous ce dénominateur commun. »
Forte croissance en ligne
Quelle est l’importance de l’e-commerce pour Dille & Kamille ? Parvenez-vous à transposer cette harmonie sur le net ?
« L’e-commerce ne cesse de gagner en importance chez nous, surtout après la crise sanitaire. En Belgique notamment, notre chiffre d’affaires en ligne a été multiplié par cinq ou six. Le retard qu’accusait la Belgique sur les Pays-Bas dans ce domaine m’avait toujours étonné, mais il est aujourd’hui comblé. Même si certains se sont arraché les cheveux dans notre département logistique… L’e-commerce électronique représente aujourd’hui plus de 10 % de notre chiffre d’affaires, il a plus que doublé. L’inconvénient de l’e-commerce est qu’il n’offre qu’une expérience en 2D, alors que chez nos clients, nos articles créent une expérience en 4D. Il manque quelque chose. Nous espérons donc que l’e-commerce électronique ne sera pas le seul gagnant de la crise sanitaire, mais nous sommes convaincus que les gens voudront continuer à se rencontrer, et nous voulons rester un facteur qui favorise ces rencontres dans la ville. Nous avons également la chance de ne jamais avoir été tributaires des rues A. Nous pouvons parfaitement nous débrouiller à un emplacement B. Et cela ne vaut pas que pour Anvers : nous ne sommes présents presque nulle part dans des emplacements A. »
Quels enseignements avez-vous tirés de la crise sanitaire ? Si vous n’avez pas eu le choix en Belgique, mais aux Pays-Bas, c’est vous qui avez décidé de fermer vos magasins…
« Nous sommes une entreprise à visage humain et nous laissons nos collaborateurs s’exprimer. Nous ne savions pas comment la situation allait évoluer, il n’y avait pas encore la règle du mètre et demi et tout allait très vite. Nous avons donc fermé volontairement. Mais un peu plus tard, nous avons pensé que nous pourrions adopter un protocole un peu plus strict : au lieu d’une personne par 10 m², nous n’accueillons qu’un client par 25 m². Comment nous organiser ? Le plus important était que notre personnel se sente en sécurité. Mais nous avons rapidement constaté que c’était parfaitement possible : nous avons d’abord fait des tests à Utrecht et tout s’est très bien passé. Nous avons ensuite déployé ce protocole en plusieurs phases. Nous avons juste attendu un peu plus longtemps dans le Noord-Brabant et le Limbourg, les provinces les plus touchées. Et nous n’avons guère rencontré de problèmes.
Conversion et ticket de caisse en hausse
Et maintenant, tout va bien ?
« La situation a commencé à s’améliorer fin avril, début mai. Le nombre de clients que nous pourrions accueillir dans un magasin nous a un peu préoccupés, mais nous constatons que la situation actuelle est meilleure. Le samedi, c’était toujours l’affluence dans nos magasins et cette agitation ne colle pas avec notre image de calme. Aujourd’hui, les visites de nos clients sont beaucoup plus étalées et nous constatons que cela a aussi un effet bénéfique sur le plan commercial. Notre principal enseignement est donc : l’agitation est contreproductive dans un magasin. Pour moi, c’est une révélation. »
D’autres détaillants affirment également qu’il y a moins de monde, mais que le taux de conversion est plus élevé parce que les clients viennent pour acheter, pas pour regarder…
« Nous constatons également que les clients ont plus de tranquillité pour examiner ce que nous avons à leur offrir. Quand il y a beaucoup de monde, les clients ont tendance à se diriger vers la caisse plus rapidement ou à se dire qu’ils reviendront plus tard. Mais maintenant, une fois à l’intérieur, vous aurez tout le temps de découvrir ce que nous avons à proposer. Nous constatons donc à la fois un taux de conversion plus élevé et un ticket de caisse en nette hausse, d’au moins 30 %. Dans ces conditions, qu’il y ait moins de clients n’a aucune importance. Notre chiffre d’affaires dépasse déjà celui de l’année dernière. Nous ne l’avions pas du tout prévu, nous travaillions sur des worst case scenarios… Mais nous remarquons également que dans les villes où ils sont très importants, les touristes ne sont pas encore vraiment revenus. À Bruges, par exemple, ou à Bruxelles sur la rue du Marché aux Herbes, la situation n’est pas revenue à la moyenne. C’est aussi le cas aux Pays-Bas, notamment à Amsterdam ou à Middelburg, qui accueille de nombreux Allemands. »
De nombreux retailers sont financièrement à le peine après la fermeture des magasins. Aviez-vous les reins assez solides ?
« Oui, nous avions toujours en réserve la totalité du bénéfice de l’année dernière. C’est systématique chez nous. Bien sûr, nous avons été confrontés à une grande incertitude : nous ne savions pas combien de temps nous devrions rester fermés… En Belgique, les choses ont traîné… Nous avons pu gérer ces deux mois, mais nous n’aurions pas pu tenir jusqu’en juillet. Nous entretenons également de très bonnes relations avec la KBC, qui nous a aidés et a réagi immédiatement. Mais je ne suis pas totalement rassuré pour autant… De plus en plus de magasins ferment… C’est une menace pour les centres-villes, qui deviennent moins attrayants. Ce n’est bon pour personne. »
Le business plan pour l’Allemagne est prêt
La crise sanitaire vous a-t-elle également obligé à mettre des projets d’investissement et d’expansion en veilleuse ?
« Un peu, oui. Nous devions ouvrir un Dille & Kamille à Leeuwarden en juin, l’inauguration a été reportée à octobre. Nous devions ouvrir à Cologne en octobre, et ce sera au début de l’année prochaine. Ce sera notre premier magasin en Allemagne. Nous avons constaté sur le marché néerlandais que notre concept intéressait beaucoup les consommateurs allemands. Dans certaines villes, les Allemands prennent à leur compte jusqu’à 50 % de notre chiffre d’affaires : pensez à Maastricht, Groningue, Middelburg… Mais nous sommes une entreprise prudente. Nous préférons commencer par prendre la température, et nous ne nous jetons vraiment à l’eau que quand nous avons toutes nos assurances. Nous allons donc procéder à des tests à un seul endroit et si tout se passe comme nous le pensons, le business plan pour l’Allemagne est déjà prêt. C’est un marché très vaste : les villes que nous trouvons grandes ici ne sont que des villes moyennes en Allemagne. C’est aussi un marché complètement différent, mais cela n’en rend l’aventure que plus passionnante. En théorie, tous les signaux sont au vert, toutes les études de marché sont positives, mais je suis encore très curieux de la réaction des consommateurs au concept. Les présages sont positifs, reste à les confirmer. »
Considérez-vous le Benelux comme entièrement couvert ?
« Non, nous avons encore relativement peu de magasins en Belgique par exemple : onze, contre vingt-quatre aux Pays-Bas. Pour moi, cela signifie qu’il reste des marges. Il est assez bizarre que nous ne soyons pas encore présents dans une ville comme Malines, par exemple. Et du côté francophone, je pense notamment à Namur. Notre concept fonctionne également au sud de la frontière linguistique : nous avons un magasin qui fonctionne très bien à Liège, et notre meilleur magasin se trouve à Bruxelles, qui reste une ville majoritairement francophone. Nous sommes bilingues depuis environ vingt-cinq ans et nous ne l’avons jamais regretté. Même si nous n’aurons jamais autant de magasins en Wallonie qu’en Flandre. Je vois cinq ou six magasins de plus en Belgique. Mais nous sommes également absents de nombreuses villes aux Pays-Bas, surtout de petites villes de moins de cent mille habitants. C’est pourquoi nous allons développer un concept urbain plus compact. »