Comment une méga-entreprise comme Ikea se prépare-t-elle pour affronter l’avenir ? En discutant : avec l’« homo consumens », avec les villes et avec tous les pays du monde. Aujourd’hui, l’icône suédoise mise résolument sur l’ouverture, dans ce qui est peut-être le plus grand changement de son histoire. Ikea envisage même devenir un peu comme Lego, explique Marcus Engman, directeur créatif, à RetailDetail.
Un moment avec 250 000 personnes
Si je voulais visiter le cœur d’Ikea ? Pas besoin de me le demander deux fois ! En tant que pionnier et précurseur de l’avenir du shopping, le détaillant suédois était en haut de ma liste depuis des années. L’occasion était la H22 City Expo, organisée à Helsingborg jusqu’au 3 juillet. Sous la devise « the making of a smarter city », c’est devenu un récit de co-création avec une ville entière.
Une ville rassemble des habitants de tous bords. Comment les atteindre, comment les amener à réfléchir avec vous ? Et comment le transposer au reste du monde ? Pour répondre à ces questions, Ikea a entamé un dialogue avec plus de 250 000 consommateurs dans plus de 30 pays pour parler de l’avenir. Une partie de ces récits de vie sont à découvrir à ÖGONBLICK, une exposition sur des personnes réelles dans un entrepôt rénové de la ville.
Au fil des discussions, des milliers de personnes ont partagé des morceaux de leur vie. Dans certaines régions du monde, les familles vivent ensemble pendant des générations. Mais comment cela s’organise ? L’attention s’est également portée sur les personnes seules. En Belgique, par exemple, un tiers de la population est en effet célibataire. L’ombre de la solitude plane dangereusement, tandis que les villes se développent. Ikea pense que, à l’avenir, nous vivrons dans des espaces plus petits.
Le changement commence à la maison
L’objectif : explorer l’avenir de la vie à la maison. Avec un mois riche en événements, ateliers, performances et démonstrations, Ikea souhaite explorer l’évolution de la relation entre les habitants et leur logement et mettre en lumière les possibilités pour améliorer son quotidien. Par la suite, la chaîne de magasins d’ameublement souhaite également introduire des initiatives et des activités locales similaires sur d’autres marchés.
Depuis quelque temps, Ikea change son fusil d’épaule : plutôt qu’une approche descendante, avec la segmentation bien connue des consommateurs en profils superficiels déterminés par l’âge, le sexe et le niveau de revenus, la chaîne poursuit une trajectoire axée sur le style de vie. Le changement commence par soi-même, a dû aussi se dire Ikea. Ce fut un voyage fascinant, que je décris également dans notre tout nouveau livre The Future of Shopping: Re-set Re-made Re-tail.
Comment une méga-entreprise peut-elle garder le cap dans un monde en pleine mutation ? Comment se faire, depuis la Suède, une idée réaliste de la façon dont vivent les gens à Tokyo ou en Inde, par exemple ? Nous avons consulté le génie créatif d’Ikea : Marcus Engman, directeur de la création.
Marcus, nous sommes dans l’ère de l’Homme. Nous avons toujours plus besoin de tout : plus d’énergie, plus de voitures, plus de matières premières… Comment est-ce que cela s’inscrit dans la stratégie de développement durable d’Ikea ?
M.E. : « Chez Ikea, nous voulons prendre nos responsabilités. Je pense que nous devons tous être beaucoup plus conscients de nos actions car, au bout du compte, il s’agit de la vie des gens. Les consommateurs ne le voient peut-être pas, mais Ikea s’efforce constamment de maintenir des prix bas de manière durable et efficace.
Sans le savoir, nous étions déjà tout à fait durables dans les années 1960. Nous détestons les déchets : nous produisons et concevons nos produits avec le moins de déchets possible. Nous détestons aussi déplacer de l’air. D’où nos célèbres paquets plats : 0 % d’air, un chef d’œuvre d’ingénierie et d’efficacité !
Dans un monde où les ressources se font rares, nous devons vraiment continuer à chercher à faire toujours mieux. Plutôt que d’être gaspillés, les déchets doivent devenir la matière première de demain.
Les décharges doivent devenir les nouvelles mines d’or de matières premières. Nous devons opter pour la circularité, et Ikea veut être un pionnier dans ce domaine. Si nous voulons maintenir notre philosophie de prix bas, nous devons évoluer vers un nouveau type de système dans lequel nous encourageons autant que possible la réutilisation des produits. »
Avec H22 City Expo, vous réfléchissez à la vie dans les villes du futur. À quoi ressemble votre ville idéale ?
M.E. : « Les mégapoles devraient tout mettre en œuvre pour devenir des générateurs de ressources et créer des lieux de rencontre verts, permettant aux habitants de créer des liens. Les villes de taille moyenne, en revanche, ont davantage de possibilités de rapprocher à nouveau la nature des habitants, ce qui est très important pour eux.
Lors de mes échanges, j’ai également beaucoup appris sur la démographie sociale et les nombreux sous-types de cohortes sociales. Nous y consacrons beaucoup de temps car c’est un sujet très pertinent. Nous pouvons par exemple distinguer 45 types d’étudiants. Grâce aux nouveaux médias, nous pouvons également atteindre tous ces différents groupes plus facilement qu’à l’époque des médias de masse. Nous ciblons des styles de vie, par exemple les surfeurs, que nous touchons par le biais des réseaux sociaux. La communication devient alors beaucoup plus intéressante car elle est aussi plus personnelle.
Il n’existe donc pas un seul et unique type de ville idéale, tout comme il n’y a pas deux consommateurs ou deux marchés identiques. C’est pourquoi le développement de nos produits s’appuie sur l’expérience de tous les pays, ce qui nous permet de savoir ce qui fonctionnera et où. Si nous voulons développer un nouveau produit, nous nous basons sur le pays « le plus difficile », le plus exigeant, avec les réglementations et la culture les plus strictes. Avant, c’était le Japon, aujourd’hui c’est la Chine. Si c’est une réussite en Chine, ça le sera aussi dans le reste du monde. Même s’il faut trois ans pour qu’un produit arrive dans les magasins. Si nous fabriquons des meubles pour enfants, par exemple, il faut que ce soit les meubles les plus sûrs du monde. »
En faire plus pour la communauté locale, c’est aussi le sens de DM, votre projet de ferme urbaine. Mais pourquoi créer une ferme urbaine et un marché aux légumes dans un quartier isolé d’Helsingborg ?
M.E. : « DM, l’acronyme de ‘Do More’, est un nouveau concept du groupe Ingka pour se rapprocher du voisinage. Ikea essaie de se rapprocher des gens, y compris de ceux que nous aurions autrement du mal à atteindre. L’alimentation étant souvent le moteur du rapprochement, nous avons mis en place le premier marché multifonctionnel à Drottninghög, un quartier socialement défavorisé du nord-est d’Helsingborg, avec des boutiques éphémères, des marchés, une ferme urbaine, une aire de restauration, des événements, des activités scolaires et un lieu de rencontre.
Au cours de nos entretiens, nous avons déniché un nombre incroyable de talents mais, pour différentes raisons, les résidents sont très éloignés du marché du travail local. Grâce à DM, nous pouvons les rencontrer et mettre en avant nos excellents postes à pourvoir. Nous utilisons DM comme un tremplin pour l’emploi, en les recrutant et en promouvant l’entrepreneuriat indépendant. A travers ces initiatives, nous avons déjà pu recruter une cinquantaine de nouveaux employés.
Quelle est la grande différence avec l’Atelier100 à Londres ?
M.E. : « Nous voulons également dénicher un maximum de talents à Londres avec Atelier100, un magasin unique en collaboration avec H&M où les entrepreneurs créatifs peuvent proposer leurs créations. DM va encore plus loin et constitue un véritable lieu de rencontre pour le quartier.
Atelier100 se consacre exclusivement aux disciplines créatives, car nous avons besoin de beaucoup de créativité pour affronter l’avenir. Nous avons décidé de travailler avec H&M car nous partageons non seulement de nombreuses valeurs, mais aussi les mêmes défis : trouver des talents créatifs locaux. »
Apprendre à coopérer et à s’ouvrir, est-ce là le grand changement de l’avenir ?
M.E. : « Au sein d’Ikea, je pense que le plus grand changement est que nous sommes passés d’une approche descendante à une approche ascendante. Nous avons réalisé que ce qui est important pour nous l’est aussi pour le monde, alors autant avancer ensemble. De nombreux changements importants ont eu lieu au fil du temps, et d’autres suivront.
Le travail circulaire, par exemple, ne consiste pas seulement à réutiliser des matériaux, car cela est très énergivore. À partir de cette nouvelle idée de coopération, nous pourrions penser en termes de composants, comme avec les Lego. Depuis 80 ans, nous fabriquons des produits comportant de nombreux composants. Beaucoup peuvent être réutilisés de manière flexible. Si nous parvenons à utiliser un ensemble fixe de composants, nous pouvons fabriquer des produits de manière très efficace. Et en étant plus efficaces, nous pouvons nous diversifier, pour refléter la diversité des consommateurs. »
Quelle est votre plus grande source d’enseignements, Marcus ?
M.E. : « Mes trois enfants et mon petit-fils. Ils réfléchissent sans retenue. C’est une attitude que nous devons adopter et transmettre afin de rester créatifs. Ce sont les enseignants de demain.
Outre les rencontres avec les gens, Ikea a mis en place des projets remarquables. Le laboratoire d’innovation Space10, par exemple, situé en plein cœur du quartier Meatpacking de Copenhague, qui est depuis fin 2015 un point de rencontre pour les concepteurs, les scientifiques, les fabricants, les artistes et toute autre personne intéressée par les questions auxquelles le laboratoire cherche à répondre.
C40 est un partenariat entre 40 des plus grandes villes du monde, comme Chicago, Paris et Montréal. Elles partagent leurs expériences et leurs idées pour créer des villes plus durables pour l’avenir. »
Pour en savoir plus sur les projets pilotes et les laboratoires d’essai d’Ikea, ne manquez pas le prochain article de cette série consacrée à l’exposition H22 City Expo de la chaîne d’ameublement suédoise.