La lutte pour le temps du consommateur devient de plus en plus acharnée.
C.V.T. : Contrairement à ce que les trendwatchers avaient prédit il y a vingt ans, la tarte devient de plus en plus grande. Ils prétendaient que le plafond serait bientôt atteint et qu’à la longue, un média deviendrait le substitut d’un autre, mais la réalité est tout autre. Le consommateur a de plus en plus de temps à consacrer aux médias. Même internet a plus une fonction supplémentaire qu’une fonction de cannibalisation. La concurrence est rude mais chaque media a sa place et sa fonction.
Quel rôle les médias traditionnels ont-ils dans le lancement des discussions?
C.V.T. : Le sujet de discussion principal des conversations sociales vient encore toujours – avec beaucoup d’avance – des médias traditionnels. Les gens discutent de la dernière émission de The Voice, parce qu’ils savent que la chance est très grande que l’autre l’aura également regardée. La conversation sociale est encore toujours dominée par les grands médias de masse qui viennent à votre rencontre, et qui manient donc un effet de push ou lieu de pull. Sur internet, ce sont uniquement les grands sites d’actualités qui bénéficient de ce pouvoir.
Dans le temps, les médias poussaient effectivement vers les gens, maintenant le consommateur entame également le dialogue. Des adaptations importantes de l’entreprise des médias ont été nécessaires?
C.V.T : Pas en tant que tel, parce que si nous sommes honnêtes, cette interactivité est quand même très décevante. Lorsque vous voulez créer de l’interactivité sur les sites internet, vous devez faire face un énorme tas de fouillis. Ce sont toujours les mêmes qui crient, en général ce n’est pas significatif et en plus, cela provoque souvent un effet de souillure de la marque du site-même. Pour finir, tout le buzz autour du ‘user generated content’ et de l’interactivité était certes exagéré.
Lors de l’élaboration de notre média digital, la compréhension de la différence entre le journalisme des actualités d’un journal papier et le journalisme des actualités d’un site internet nous a demandé beaucoup plus d’adaptation. Entretemps, nous sommes pour le moment leader du marché du segment en ligne en Belgique. Purement professionnellement, cela reste relativement modeste, mais nous faisons des bénéfices et nous sommes en tête du marché. Aux Pays-Bas, nous progressons également rapidement.
Le rôle des médias sociaux et des réseaux, est-il alors exagéré ?
C.V.T. : Les médias sociaux sont un phénomène de société révolutionnaire mais cela ne veut pas dire pour autant que ce sont des plates-formes révolutionnaires d’annonces. Très souvent, soit les gens se laissent guider par les prouesses de la technologie, soit par la pensée que si beaucoup de personnes y prennent part, il s’agit d’office d’un bon canal d’annonces ou d’information. Toutefois, nous essayons de dissocier le hype de la réalité en se posant la question comment les gens gèrent-ils réellement ces médias sociaux.
A mon avis, les attentes, qui sont extrêmement tendues dans le secteur des médias sociaux et des mobiles, ne seront absolument pas comblées. Le consommateur éprouve très souvent les messages externes dans les réseaux sociaux comme étant une intrusion. En plus, dans le secteur des mobiles, vous devez encore en plus faire face aux contraintes de la taille de l’écran. En tant que moteur de recherche, Google représente un succès impressionnant et c’est aussi une gigantesque plate-forme d’annonces, ce que Facebook doit encore prouver.
Vous n’êtes donc pas d’accord avec Jo Caudron qui prétend que l’avenir n’est pas aux médias de masse, mais bien aux niches de masse ?
C.V.T. : Je crois bien en les niches de masse basées sur des passions partagées, parce qu’elles ont toujours existé. Voyez tous les magasines de niche autour des thèmes comme le sport, les hobbys, etc. Par contre, je ne crois pas au fait que, avec l’arrivée de la technologie, tout le monde vivra dans son propre réseau ‘customisé’. Les gens resteront toujours hautement curieux et les grandes questions de la vie seront toujours les mêmes, ainsi que le besoin d’en parler. Si, toutefois, la base commune est absente parce que chacun se trouve dans sa niche individuelle, l’homme perdra tout simplement sa fonction sociale.
Les gens aiment être dirigés, informés, divertis et inspirés dans leurs choix et dans la formation de leur opinion. Jusqu’au plus banal: où dois-je faire mes courses, quelle marque vaut la peine en ce moment, etc. La particularité de l’homme est qu’il ne prendra presque jamais toutes ces décisions exclusivement sur base de ses propres idées, mais bien sur base de ce qu’il entend à propos de ces sujets. Et il a besoin de confirmation.
Je crois en les niches de masse et je pense que les réseaux sociaux joueront un rôle très important, mais pas aux dépens des médias de masse qui répondent à un tout autre besoin qui existera toujours.
Selon vous, le temps de l’internet gratuit est terminé ?
C.V.T. : Oui, lorsque les éditeurs et les chaînes de télévision ont découvert internet, ils n’y ont pas réellement trouvé leur voie. La devise était la gratuité de tout pour tout le monde, grâce au fait que les frais de production et de distribution d’internet étaient quasi inexistants.Dès le début, la mission de Google était « to organise the world’s information and make it universally accessible and useful ». Ils ont été très loin, jusqu’à scanner et diffuser des documents protégés par les droits d’auteurs. D’autres entreprises technologiques les ont suivis et le font encore massivement.Nous nous trouvons dans une phase de changement. Les détenteurs de droits de propriété intellectuelle veulent être rémunérés. C’est possible grâce à la vente de licences mais également en demandant un paiement au consommateur final.
Dans notre secteur, cela se produit de plus en plus souvent en construisant des écosystèmes payants autour de marques qui ont gagné la confiance du consommateur. Nos médias financiers De Tijd et l’Echo en sont deux exemples. Cela nous permet également de continuer à investir dans nos médias électroniques. Et le lecteur devient réellement un client, alors qu’aujourd’hui il n’est qu’un visiteur.
Quel message donneriez-vous aux retailers ? Comment doivent-ils gérer actuellement leur budget publicitaire ?
C.V.T. : Fondamentalement, le marketing efficace n’a pas changé. Durant les années ’90, les grands retailers américains ont joué la carte des prix bas (Walmart, K-mart, Target), mais après un certain temps, ils ont découvert que le prix n’était plus un facteur de différenciation. Par contre, ils ont bien remarqué qu’entretemps, les consommateurs étaient bien plus attirés par le distributeur lui-même que par les marques qu’ils y achetaient. C’était le début d’une évolution essentielle : le retailer en tant que marque et lieu d’expérience, et plus uniquement en tant que magasin physique fait de briques.
Mais comment réaliser ce ‘branding’ dans notre monde actuel? Je crois encore toujours que pour créer une marque, vous devez d’abord définir votre message créatif, ensuite analyser sous quelle forme raconter cette histoire au consommateur – parce qu’il s’agit toujours d’une histoire – en pour finir, vous devez choisir un support qui forme le principe de base de votre stratégie. Exemple, Gamma a résolument choisi la radio, certes avec d’autres médias, mais avec un seul principe de base très clair.
Si, ensuite, vous avez l’impression que l’expérience de la marque a été transmise au public, vous devrez passer au ‘data mining’ et analyser comment faire évoluer la perception de la marque vers une intention d’achat jusqu’à une réelle transaction. C’est là qu’internet a son rôle à jouer, regardez Albert Heijn avec son application smartphone. Au plus vous vous rapprochez de la vente, au plus tous les nouveaux instruments doivent être utilisés. En d’autres mots, les médias digitaux trouvent leur place dans le processus de vente.
Par contre, nous croyons beaucoup moins en l’approche pure cross-media. Essayer d’atteindre votre consommateur à travers tous les médias possibles, cela ne fonctionne pas. Parce que votre idée de base n’est pas transposable à tous les médias, vous toucherez votre cible de façon fragmentée et le consommateur n’en retiendra rien. La pression de la publicité n’a pas cessé d’augmenter et il est donc de plus en plus difficile de se faire remarquer et d’être distinctif.
Que doivent faire les retailers du Benelux pour faire face à la mondialisation ?
C.V.T. : Nous sortons d’une période où le ROI (Return on Investment, ndlr.) était le nouveau mot à la mode. Avec l’apparition des médias digitaux, on pouvait subitement tout mesurer et tout devenait science, le marketing inclus. Une portée qui a été prouvée et des chiffres exacts sont évidemment très importants, mais cela ne suffit pas pour créer des marques et pour les faire grandir.
Après quinze ans de marketing extrêmement quantitatif, je pense qu’il est à nouveau temps de raconter des histoires. Le client revient avec cette question: « Pourquoi méritez-vous ma confiance ? » En d’autres termes, le ‘branding’ et l’expérience de la marque reviennent en force. Lorsque vous connaissez l’existence de ces sites de comparaison, et qu’à la fin de la journée, vous aimeriez garder une petite marge bénéficiaire, vous devez dire au client : « Vous ne devez plus comparer, vous êtes bien chez nous. » Les prochaines dix années, cette approche qualitative reprendra le dessus, parce que les gens veulent des messages de confiance.
Vous percevez les mêmes vagues dans le retail : tout d’un coup, les magasins de quartier réapparaissent. Les gens sont arrivés à un état de surmenage, avec des médias sociaux du matin tôt au soir tard, des milliers de sms, et ils perdent leurs repères. Ils veulent plus de ‘slow life’ : communiquer à nouveau et pouvoir respirer. Finalement, ils redeviennent humains et moins machines.
Un dernier conseil pour les retailers ?
C.V.T. : Si, à travers mon expérience, je peux quand même émettre un conseil, c’est de ne pas sous-estimer le pouvoir du journal. Certainement pour les retailers, qui doivent très régulièrement montrer des produits et qui doivent informer, le journal est une extension de leur dépliant. De plus, c’est un média payant auquel les gens s’identifient. C’est un pouvoir très puissant, certainement maintenant que nous retournons vers une période où le contexte d’apparition de la publicité est crucial pour être crédible. Au plus la jungle des choix est grande, au plus on se raccroche à une marque de confiance.
Les commerçants sous-estiment également le pouvoir du rendez-vous. Lors d’enquêtes de lecture, nous avons constaté qu’étrangement les lecteurs savent quand « leur supermarché » met une annonce. Pendant des périodes bien précises, un grand nombre de retailers, comme Aldi, Carrefour et Delhaize, ont acheté une page toutes les semaines dans le journal ce qui était perçu comme un rendez-vous hebdomadaire par le lecteur.
Le monde de la pub vous dira d’oser changer. C’est exact, vous devez constamment innover et évoluer, mais jamais brutalement. Un consommateur n’aime pas les changements brusques. A la base, vous devez penser qu’à une seule chose : « Qu’est-ce qui fonctionne chez mon client ? » Et à partir de là, il n’existe pas de ‘vieux’ ou de ‘nouveaux’ médias ou publicités, seulement de la publicité qui fonctionne ou pas. C’est aussi simple que cela.