Et aujourd’hui encore – à 66 ans et après la vente d’AS Adventure au groupe d’investissement Lion Capital – il est toujours actif dans la branche, notamment avec Le Pain Quotidien et la maison de mode FNG Group. Son dévouement au retail lui vaudra peut-être le Career Achievement award décerné le 1er décembre lors de la soirée RetailDetail Night.
Ce que tout le monde ne sait pas, c’est que les lettres AS d’AS Adventure sont l’abréviation de “Stock Américain”.
E.L. : « C’était un atout caché, si l’on peut dire. Si l’idée avait été un échec, j’aurais pu retomber sur mes pattes. Depuis mes 17 ans j’étais actif dans la branche des magasins ‘stocks américains’, une entreprise – à l’origine une quincaillerie – que mon père avait fondée en 1937. Durant ma jeunesse la quincaillerie de mon père a été mon terrain de jeu, c’est là que j’ai appris le retail dès ma plus tendre enfance.
Mon frère, mon père et moi avons dès les années ’60 développé l’entreprise avec succès avec 5 stocks américains dans la région anversoise. Toutefois à partir des années ’70 les choses se sont dégradées. Durant les années ’70 et ’80 on a vu apparaître notamment les magasins DIY. Etant donné que l’outillage représentait 70% de notre chiffre d’affaires, cela a été un coup dur pour nous. Lorsqu’après les géants du bricolage ont fait leur apparition, cela nous a été fatal.
Après avoir racheté les parts de mon frère en ’89, j’ai eu très difficile pendant 7 ans, je peux vous le dire. Il était clair qu’il fallait que je change de cap, mais je ne savais pas quelle direction suivre. En ’94 j’ai acquis un magnifique espace commercial Bredabaan à Schoten, qui est resté inoccupé pendant un an parce que le concept dans ma tête n’était encore mûr. En ’95 le magasin a ouvert ses portes et c’est encore toujours le meilleur point de vente d’AS Adventure. »
Vous aviez déjà 50 ans lorsque vous avez lancé le concept AS Adventure?
E.L. : « C’est exact et cela a eu tant des avantages que des désavantages. Pour la première fois j’ai travaillé avec des marques, mais les fournisseurs n’aimaient guère me voir venir. J’avais 50 ans et j’avais une réputation, car avec mes stocks américains par désespoir j’avais fini par devenir le plus grand bradeur d’Europe.
Bien entendu on m’accordait peu de marques et quand j’en obtenais une, ça n’état certainement pas aux meilleures conditions. Au début je réalisais 1/5 de mon chiffre d’affaires d’autrefois, ce qui est très peu pour un magasin bien plus grand, avec parking. Mais le magasin était rentable et c’est ce qui a fait la différence ! Sans oublier le ‘dream value’.
AS Adventure a été l’un des précurseurs du fun shopping sur le marché belge
E.L. :”Le concept était contenu dans l’ADN de l’entreprise, et à l’époque c’était très révolutionnaire. AS Adventure est un concept chaleureux, qui reflète l’amour des sports extérieurs. Tout au long de la journée des images de nature défilaient sur un écran géant.
Dans l’annonce pour recruter les membres du personnel, nous avions mis que nous recherchions des ‘explorateurs’. Je ne recherche pas de pures vendeurs, mais des gens passionnés. Au début j’avais même des étudiants de dernière année en kinésithérapie dans le rayon chaussures. Il faut faire la différence grâce à une approche personnelle et un concept bien pensé. »
Quelles autres tendances retail voyez-vous actuellement et pour l’avenir?
E.L. : “Il y a des tendances très nettes pour l’avenir. Premièrement il y a ce rouleau compresseur chinois qui vient de se mettre en marche et nous n’avons encore rien vu. Mais eux aussi ont besoin d’entrepreneurs locaux. L’esprit de clocher sera de plus en plus important.
Et ceci entraîne un nouveau sens de la communauté, comme en témoignent par exemple les tables communes au Pain Quotidien. C’est pourquoi pour le Pain Quotidien nous avons choisi volontairement de ne pas installer Wi-Fi partout. Le but est de créer une plus-value affective et conviviale.
Bien entendu le web est omniprésent. En comparaison avec des pays comme le Royaume-Uni chez nous l’ e-commerce est encore relativement limité, mais de toute façon le retail online est devenu incontournable. Nous sommes déjà une étape plus loin : l’art consiste à attirer le consommateur dans les magasins malgré l’expansion du commerce online. Il faut toujours être inventif. »
En 2007 vous avez vendu AS Adventure au groupe d’investissement Lion Capital.
E.L. : « Oui, j’avais déjà 60 ans. Mais je ne me suis pas reposé sur mes lauriers. J’ai vendu 90% de mes actions à Lion Capital, je fais toujours partie du conseil d’administration et suis resté CEO du groupe jusqu’à février 2009. A ce moment-là AS Adventure était présent dans quatre pays différents et comptait plus de 100 magasins d’une superficie moyenne de 1700 m² Le chiffre d’affaires était de 231 millions d’euros (hors TVA) et l’EBITDA s’élevait à 31 millions d’euros. »
Mais même à ce moment-là vous n’êtes pas parvenu à faire vos adieux au retail
E.L. : “J’ai ça dans le sang. J’ai travaillé dur tout ma vie et je veux continuer. J’estime qu’il faut continuer à prendre ses responsabilités en tant qu’entrepreneur. Aujourd’hui non seulement je fais du sport, mais je m’occupe encore activement d’immobilier et de retail.
C’est pourquoi je suis actionnaire du Pain Quotidien, parce que c’est un concept avec une dimension affective. J’ai également des parts dans le groupe Vendis, dont font partie notamment ZEB et la chaîne néerlandaise Eyes & More. Depuis l’année dernière je suis actionnaire chez Fred & Ginger. Ce sont 3 trentenaires dynamiques qui proposent des collections de vêtements pour enfants et qui ont donc une belle histoire à raconter »
Dans votre carrière vous avez vécu de nombreuses crises. Est-ce différent cette fois?
E.L. : “Vu l’aspect politique qui y est lié, c’est différent; Les gens s’inquiètent et perdent toute confiance. Personnellement je trouve que déontologiquement les politiciens agissent de manière irresponsable.
Parfois je pense qu’avec quelques entrepreneurs nous devrions aller protester, agir ensemble. Les politiciens eux aussi devraient devenir des entrepreneurs. Ils devraient avoir le sens des responsabilités et devraient, tout comme nous, pouvoir montrer des résultats aux yeux de la société. En fait les politiciens devraient être pénalisés. Ca m’exaspère, car on joue avec le feu. »
Y a-t-il des choses qui vous semblent plus encourageantes?
E.L. : « Oh, mais tout n’est pas négatif, loin de là. Les défis sont nécessaires. Il y aura toujours des hauts et des bas. A entendre les grands économistes ici à New York, ils ont l’air assez sereins.
Les entreprises qui trouvent un créneau et qui arrivent à traduire une certaine émotion dans leur concept, continueront à grandir. Je continue aussi à insister sur l’importance des collaborateurs. Ils représentent la plus grande part du capital de l’entreprise. Il est important de former ses collaborateurs, mais également de donner l’exemple. J’ai toujours essayé d’être un ‘primus inter pares’. Les gens de par nature ne sont pas fidèles, mais on peut les fidéliser en créant un lien affectif.»
Pourquoi méritez-vous le Career Achievement award?
E.L. : « Qui dit que je le mérite? J’en serais fier, mais j’ai appris à relativiser les choses. Actuellement je participe régulièrement à des triathlons et là aussi il est plus important de participer que de gagner. Certainement à mon âge. C’est un cliché, mais c’est vrai.
Je peux dire sans mentir qu’ en matière de business, j’ai toujours été conséquent. Je peux dire honnêtement que professionnellement je ne me suis jamais prostitué. Et ce n’est pas toujours simple, car quand tout va bien on devient audacieux, alors que quand tout va mal on serait prêt à se vendre pour s’en sortir.
J’ai toujours été très proche de mes collaborateurs. J’ai donné à tous mes collaborateurs (+/- 2.150 personnes) d’autrefois mon adresse e-mail et mon numéro de gsm. On me prenait pour un fou, mais pour moi c’était naturel. Il faut offrir sa confiance pour en recevoir en retour. »
Emiel Lathouwers mérite-t-il le Career Achievement award? Evaluez également les deux autres candidats et émettez votre vote jeudi 1er décembre lors de la soirée RetailDetail Night.
Traduit par Marie-Noëlle Masure