En 2007, Goeminne décide de diminuer la cadence et il quitte la vie d’entreprise active. Aujourd’hui, il partage son expérience au travers de fonctions d’administrateur chez Van de Velde, Lannoo, Fun, Cassis-Paprika, Ter Beke, Wereldhave et Terre Bleue. Mais ce n’est pas tout. Aux Pays-Bas, il siège dans les conseils d’administration de différentes entreprises comme Stern, Beter Bed, Selexyz, Harting Bank, Icentre et Antea Participaties. De plus, Goeminne est co-propriétaire de Brick in the Wall. Et lorsqu’il lui reste un peu de temps, il aime partager ses expériences M&A à la Vlerick Management School.
‘Retail in a changing world’, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
D.G. : « Mondialement, Apple a eu une influence marquante sur le comportement d’achat. Le lancement d’iTunes a chamboulé l’industrie de la musique toute entière. Ensuite, cela a été le tour des livres et d’autres secteurs. Avec l’Apple-isation du marché, Steve Jobs a créé l’effet-immédiat, dépourvu de toute complexité. Les discussions ne sont plus à l’ordre du jour, puisque, grâce aux moyens de communications actuels, nous avons accès à toutes les informations ad hoc. »
Quels changements voyez-vous dans le retail?
D.G. : « Le consommateur n’a plus de patience: il veut tout immédiatement. Cette attitude a une influence sur le comportement d’achat. Le consommateur ne va plus à la recherche du magasin pour y choisir le produit. Il choisit d’abord le produit et décide ensuite de l’endroit où il va l’acheter. Le consommateur d’aujourd’hui est critique et veut être bien renseigné sur la provenance du produit. Ceci a une influence sur la relation entre les commerçants et les fournisseurs. Les fabricants livrent aussi plus régulièrement en direct. Une adaptation des formats commerciaux est indispensable. Les détaillants doivent tenir compte des nouvelles notions comme tweet mirrors, RFID (radio frequency identification, red.), narrowcasting (axé sur la personne, pas sur le produit), NFC (near field communication, red.), et bien d’autres.
Ensuite, il y a aussi la polarisation: le discount versus les magasins exclusifs. Les magasins plus chers possèdent la force des produits. Le comportement de recherche inversé – d’abord le produit, ensuite le magasin – joue en faveur du discount. Le discount apporte la dimension du ‘value for money’.
Par contre, les magasins se situant entre les deux doivent encore chercher comment s’adapter à cette nouvelle situation. Ils devront convaincre le consommateur qu’ils offrent le bon produit à un prix correct. Ces milieux de terrain représentent une très grande partie du marché. HEMA en est un exemple parfait. Ils se situent entre le marché du discount et celui de l’exclusivité, mais ils tiennent quand même compte des souhaits du client.
Ce qui devrait également être amélioré dans ce segment moyen, c’est le service à la clientèle. Le non-service dans les magasins m’irrite profondément. Si le segment moyen n’en prend pas conscience, il sera une proie facile. Les salaires bas dans le secteur retail jouent aussi un rôle important. Un détaillant avec comme emblème passion to serve doit être conséquent et rémunérer son personnel convenablement, afin qu’il reste motivé et enthousiaste. Cet investissement est payant à moyen terme, parce qu’un client satisfait revient toujours. »
D’abord le produit, ensuite le magasin
Pouvez-vous nous expliquer l’inversion du comportement de recherche?
D.G. : « Je l’appelle inversion de chaîne. Les acteurs les plus professionnels – des supermarchés aux chaînes de bricolage – sont, selon moi, les moins bons élèves de la classe, mais ils sont en train de reprendre du terrain. Dans le secteur DIY, le message était le suivant: prenez un grand espace commercial et remplissez-le de produits dont les fournisseurs veulent se débarrasser. Du moins, c’est ce que j’ai ressenti tout au long de ma carrière retail. Ce sont surtout les fournisseurs qui mettaient la pression, pas les consommateurs.
Lors de ma période HEMA, j’ai inversé la tendance, puisque je préférais la stratégie ‘pull’ des supermarchés. C’est le consommateur qui choisit l’assortiment, certes en accord avec la vision stratégique définie par l’entreprise. Créez donc une chaîne d’approvisionnement avec une vue d’ensemble sur le rendement et des marges par m² au niveau SKU ; et tout cela en accord avec la société que vous désirez être.
Internet apporte une dimension supplémentaire. Le magasin n’est plus le premier critère de recherche. Le consommateur s’informe et recherche le produit qu’il veut exactement, il décidera seulement après de l’endroit où il l’achètera. Cela peut être dans un magasin physique autant qu’en ligne.
Un autre défi important est la façon d’aborder le consommateur. Il est souvent plus informé que le vendeur ! »
Les clics et les briques sont-ils indissociables?
D.G. : « L’e-commerce connaît aussi ses limites. Je pense que l’e-commerce ne dépassera jamais un tiers du marché. Les briques auront toujours une prédominance. Les chaînes intelligentes combinent les clics et les briques.
Selon le pays, la contribution de l’e-commerce peut être très différente, mais, à mon avis, l’e-commerce a atteint ses limites. C’est une affirmation osée, n’est-ce pas? (rires) La preuve: selon une étude d’ABN-Amro, le marché des ‘pure players’ comme Bol.com ou Wehkamp, est saturé. Les briques sont en train de créer un contre-courant cross-chanel à une vitesse vertigineuse. Le marché dans sa totalité sera très bientôt à nouveau équilibré. C’est ce qu’indiquent les modèles de croissance actuels. Tous les ‘pure players’ n’y survivront pas.
A mon avis, il faut exposer moins de produits en magasin et avoir un large assortiment sur le net. Faites en sorte que le shopping soit de nouveau une activité agréable. Less is more ! »
Qu’en est-il de l’immobilier? Y voyez-vous des évolutions?
D.G. : « Selon le professeur Cor Molenaar, le magasin est en voie de disparition. Cela n’a pas de sens, bien entendu. Le gros problème actuellement est que certains acteurs ont trop d’argent, comme les fonds de pension par exemple, et qu’ils veulent toujours construire plus, également à des endroits insensés. Les emplacements ‘exclusifs’ resteront toujours très recherchés.
Mais j’estime que la route principale d’une petite commune mérite tout autant une cotation d’emplacement ‘exclusif’. Le secteur des services se doit d’être présent partout, aussi dans les plus petites communes. Dans ce sens, la route principale d’un village est tout aussi importante qu’une rue très chère en ville. »
L’importance d’un bon plan de développement
Les centres commerciaux affectent-ils les rues commerçantes et les magasins le long des axes routiers?
D.G. : « C’est une question difficile. Mondialement, un tiers des centres commerciaux doit faire face à des problèmes d’inoccupation. Une fois l’intérêt pour la nouveauté du centre commercial passé, le consommateur préfère à nouveau faire ses courses près de chez lui. Le fait que le secteur des prestataires de services n’ait pas de bureaux dans les centres commerciaux en est une raison. Quelle est alors la valeur ajoutée d’une si grande boîte dans un réseau de magasins aussi compact, comme c’est le cas dans le Benelux? Des grandes chaînes de magasins dominent les centres commerciaux, mais aussi les rues commerçantes. L’offre est quasi identique. Il n’y a pas de pénurie de mètres carrés.
Un black hole comme le décrit Molenaar, détruit tout dans un environnement proche. Des exemples significatifs sont la Bredabaan à Merksem et la Statiestraat à Saint-Nicolas. Elles ne représentent presque plus rien en tant que rues commerçantes. La politique communale a un grand défi à relever. Si elle veut à nouveau attirer les clients, elle devra proposer une offre globale : à côte des magasins, les centres de services devront également être présents en nombre. On ne les retrouve pas dans les grands centres commerciaux.
Le secteur immobilier devra également revoir les prix à la baisse. Rien n’est pire qu’un espace commercial vide. Logique donc que les prix doivent diminuer. Suite à l’appauvrissement des rues commerçantes, la fréquentation diminue et le taux de conversion baisse.
Ils l’ont bien compris aux Pays-Bas. Leur plan de développement, qui remet à l’honneur les centres sociaux, est bien meilleur. Ce n’est pas par hasard qu’on y voit tellement de vélos en rue. Les gens trouvent près de chez eux ce dont ils ont besoin. Le gouvernement hollandais a fait son devoir. Et correctement en plus. Une commune doit pouvoir offrir à ses habitants: l’éducation, l’accessibilité aux soins et la possibilité de faire ses courses. Elle doit en quelque sorte développer des centres sociaux, où le consommateur se sent bien. Du moins, c’est ce que je pense. »
Vous avez dit un jour que le retail est holistique. Qu’entendez-vous par là ?
D.G. : « La concordance d’une multitude de détails est nécessaire pour obtenir un bon concept. Par exemple, un CEO qui affirme que lorsque l’on diminue le prix, le problème est résolu, ne m’inspire pas confiance. Ce n’est pas du retail. L’art est de corriger et de faire concorder tous les petits aspects du processus. De cette façon, vous pouvez vous différencier. Les petites choses font les grandes différences. Le retail se fait dans le détail ! »
Un Amazon avec magasins
Tout autre chose. Pensez-vous que la liquidation de Maxeda était une bonne idée?
D.G. : « Et la prochaine question sera sans doute: ‘Pourquoi y avez-vous contribué?’ (rires). Lorsque j’ai adhéré au conseil d’administration du conglomérat Maxeda, Maxeda possédait tout: supermarchés, DIY, magasins de mode, … Les conglomérats étaient très à la mode à l’époque. On gagnait de l’argent grâce à une branche, ce qui permettait d’investir dans d’autres branches, avec un bagage d’expériences et de points de vue différents acquis dans les multiples branches du groupe. Passionnant!
Mais tout à coup, nous avons dû faire face à des fonds spécialisés. Les actionnaires y voyaient une valeur ajoutée. D’autre part, ils ne retrouvaient plus cette valeur ajoutée dans un groupe qui vendait des marteaux et des clous, mais aussi des vêtements, comme le groupe GIB. Ils se demandaient quel était le point commun. Du coup, nous avons décidé de vendre les divisions séparément. »
Au fait, à l’époque, vous étiez déjà un Amazon, mais avec magasins!
D.G. : « Intéressant. Je n’avais pas analysé la situation sous cet angle-là. Mais effectivement … nous étions un Amazon avant la lettre, avec magasins. De ce point de vue-là, une tout autre décision aurait peut-être été prise. Si Maxeda avait pu garder les chaînes et avait pu diriger les divisions selon la stratégie Amazon, avec une approche cross-channel, ils occuperaient sans doute à l’heure actuelle une position toute à fait unique. C’est fou comme l’esprit de l’époque peut avoir une influence cruciale sur certaines décisions. »
A quand la vente de la perle DIY? Est-il encore trop tôt?
D.G. : « La division DIY de Maxeda (Brico, Praxis, Brico-planit, etc.) est une perle fantastique. Mais la croissance du chiffre d’affaires aux Pays-Bas s’est totalement évaporée depuis 2007. Comment cela se fait-il? Le DIY suit toujours la tendance du marché immobilier. Les années ‘90 à 2007 ont été les années de gloire du DIY hollandais. Les hypothèques étaient déductibles fiscalement. La déduction hypothécaire est toujours d’application, mais les efforts d’épargne du gouvernement hollandais font en sorte que les consommateurs sont réticents à investir.
De ce fait, la position du DIY est délicate. Cela ne changera pas tant que le marché immobilier ne se rétablira pas. Il a une influence directe sur le retail. En Belgique, la situation reste stable pour le moment, à moins que le gouvernement Di Rupo n’imagine des réformes démesurées. Si on veut préserver la compétitivité, un secteur crucial comme le retail se passerait très bien de mesures aberrantes comme l’indexation des salaires.
Pour répondre à votre question: les Pays-Bas se trouvent dans une situation de redressement politique pour atteindre un équilibre budgétaire. Je ne prévois donc pas d’améliorations significatives du marché immobilier. Je présume qu’il faudra encore attendre certainement deux ans pour la vente de la branche DIY. »
Quels sont vos défis ces prochaines années?
D.G. : « Je ne peux pas rester opérationnel au sein d’une palette stratégique variée. Je vais devoir faire des choix. Le 1er juillet prochain, une nouvelle loi entrera en vigueur aux Pays-Bas. Elle stipule qu’une personne ne peut pas cumuler plus de 4 mandats. Je vais donc forcément devoir me défaire de quelques fonctions d’administrateur.
Mais mes étudiants Vlerick sont toujours là. S’adresser à un groupe d’étudiants MBA enthousiastes dans un auditoire à Pékin me donne encore toujours beaucoup de satisfactions. Et lorsque je vois mes petits-enfants batifoler, je suis le grand-père le plus heureux au monde. Je n’ai pas le temps de m’ennuyer! »
Cet article est déjà paru dans l’édition du mois de mai du Magazine RetailDetail
Traduction : Laure Jacobs