Allons droit au but : Quelle est la vision pour Delhaize Belgique à court et à moyen terme, maintenant qu’Excel 2008-2010 a pris fin ?
D.V.d.B.: « Si vous analysez les développements stratégiques de Delhaize, vous remarquerez un certain nombre de périodes d’alternance. Pendant quelques années, nous avons travaillé sur la qualité et la différenciation, alors que ces dernières années, nous nous sommes principalement concentrés sur les coûts et les prix.
En accord avec la nouvelle équipe, nous avons décidé de combiner le meilleur des deux mondes. Si vous vous concentrez sur le retail aujourd’hui, vous observerez que les retailers à succès en Europe – Sainsbury’s en Angleterre, Système U en France, Esselunga en Italie – combinent la qualité et le prix. Le temps du ou/ou est terminé.
Notre ambition est de continuer à construire sur les points forts historiques de Delhaize. Nous nous sommes replongés dans les 145 années d’histoire de l’entreprise pour définir les facteurs clés du succès. En premier lieu, le succès est basé sur les produits : qualité, choix et innovation. Le second facteur important est la convivialité du magasin. Troisièmement, ce sont nos processus et nos standards qui forment notre succès, mais notre service clientèle semble également être très important. Pour finir, nous avons le facteur prix : comme le nom initial « Au Bon Marché » l’indique, l’image qualité/prix a toujours été importante pour Delhaize.
Cela dit, nous devons devenir une entreprise plus moderne. Dans un premier temps, nous sommes en train de modifier radicalement le style de notre gestion du personnel. Nous offrons plus de flexibilité aux cadres et la présence féminine dans notre comité d’entreprise est passée de une à trois. Nous nous adaptons à la diversité du monde.
Nous essayons également de répondre aux nouvelles tendances des consommateurs. Une tendance qui a attiré notre attention tout particulièrement, c’est la santé. Mais nous sommes également en train d’innover fortement dans l’e-commerce et le ‘convenience’. Un dernier élément dans cette entreprise contemporaine, c’est le design. Apple nous a tous appris que ce qui n’est pas à la mode, ne se vend pas. »
Votre prédécesseur Michel Eeckhout disait que les changements doivent être réalisés rapidement. Partagez-vous cet avis ? Ou est-ce allé trop vite ?
D.V.d.B.: « Changer rapidement reste un point critique. Un grand nombre de changements suivront certainement à l’avenir. Les entreprises de demain devront être de véritables ‘people developers’, qui guident et forment leur personnel continuellement. Toutefois, il est également important de pouvoir regarder en arrière pour vérifier si ces milliers de personnes vous suivent toujours. Un bon échelonnement est important.
Vu la crise, il était primordial de baisser notre niveau des prix de façon drastique. En effet, ce n’est pas seulement une perception, le niveau des prix en soi a effectivement diminué de plusieurs centaines de point de base. Entre temps, nous avons connu quatre vagues de baisse de prix avec une diminution moyenne des prix de 4% à 7%, ce qui représente un investissement net de pas moins de 30 millions d’euros. Actuellement, nous talonnons notre plus grand concurrent, rien qu’en ce qui concerne les produits comparables. Si vous rajoutez les marques de distributeur, nous avons un bien meilleur score encore.
Être le meilleur marché ne nous intéresse pas, si cela doit se faire au détriment de la qualité. Beaucoup de concurrents font ce choix et appliquent des standards de qualité moins élevés. Là où la qualité est semblable et le produit comparable individuellement, nous voulons également proposer des prix semblables. La différence doit être négligeable. »
Alors quel est le supermarché le moins cher en Belgique ? Lorsque j’ai posé cette question à votre prédécesseur, il a répondu : en fait, nous sommes le meilleur marché pour le client Delhaize. Une belle manière de présenter les choses, vu qu’à l’époque Delhaize vendait déjà 50% de marques de distributeur.
D.V.d.B.: “C’est tout à fait vrai. Puisqu’il semble que notre client a plus confiance en nos propres marques, il fait ses courses moins chères. En effet, nos produits Delhaize sont entre 15 et 30% moins chers, certains même jusqu’à 40% moins chers.
Si vous faites vos courses comme un véritable client Delhaize, cela vous sera bénéfique. Bien que nos concurrents aient également leurs propres marques, les marques de distributeur y sont moins vendues. Chez nous, la confiance en nos propres marques est plus importante. »
Quel a été l’impact de la campagne Delhaize « moins cher que chez Aldi et Lidl » ? N’avez-vous pas fait de la publicité pour les discounters ?
D.V.d.B.: « Nous revendiquons que nos produits 365 offrent la même qualité que les chaînes discount, au même prix ou moins cher. C’est tout simplement une réalité qui doit être confirmée. Je pense que cette communication n’est pas mauvaise en soi, toutefois il faut que le client sache qu’il ne s’agit là que de 4% de notre chiffre d’affaires.
Le client Delhaize s’intéresse principalement à la qualité. J’estime que mettre cela en exergue ne pose aucun problème. Le fait que nous proposions au moins la même qualité que les harddiscounters est quand même une garantie envers nos clients. »
De plus en plus de gens craignent que Delhaize mette trop l’accent sur les prix et ce au détriment de son image de service.
D.V.d.B.: « Il était prévu d’améliorer notre image de prix, donc nous avons délibérément mis l’accent sur cet aspect. Dans le monde économique d’aujourd’hui, l’aspect prix est crucial, mais cela ne veut pas dire que nous laissons tomber le service et la qualité. En même temps, nous avons continuer à innover, mais la communication prend tout simplement un peu plus de temps.
C’est pour cette raison que maintenant, il est à nouveau important de souligner la force de Delhaize. En termes de qualité, Delhaize jouera toujours un rôle offensif, et en termes de prix, un rôle défensif. Nous devons nous concentrer tant sur les messages de qualité et de santé, que sur les aspects prix et promotion, c’est ce qui caractérise notre force. »
Proposer de meilleurs prix va souvent de pair avec des achats plus importants et des négociations plus serrées auprès des grands acteurs. N’exploite-t-on pas trop les fournisseurs ?
D.V.d.B.: « Cela n’a jamais été notre intention. Ces dernières années, je pense que Delhaize s’est davantage adressé à des fournisseurs plus petits et exclusifs, sans pour autant laisser les plus grands de côté. D’ailleurs, une de nos nouvelles initiatives – qui date de quelques mois seulement – est le lancement récent du label ‘local’, qui offre des produits locaux, d’abord en Flandre Occidentale et maintenant également à Anvers. On ne parle pas du tout de gros bonnets. Au contraire, à terme, notre rêve serait de pouvoir jouer un rôle significatif aussi auprès des paysans locaux. »
La fin de la politique nationale des prix est-elle en vue chez Delhaize? Dans le temps, Delhaize estimait que Colruyt menait une politique non éthique, car les prix n’étaient pas identiques dans tous les points de vente de la chaîne. C’est pourtant la direction que vous prenez maintenant ?
D.V.d.B.: « Pour l’instant, nous maintenons notre politique nationale des prix. Cependant, nos franchisers ont toujours le droit d’adapter nos prix. Nous ne pouvons pas leur imposer nos prix.
A long terme, je ne peux pas non plus garantir le maintien de cette politique nationale des prix, mais nous souhaitons nous limiter à ce qui est équitable pour le client. C’est-à-dire : si, par exemple, pour certaines raisons il est justifié d’ouvrir des plus petits magasins – ce que nous avons d’ailleurs commencé à faire – impliquant des frais de gestion bien plus élevés, nous devrons adapter nos prix. Bien entendu, nous voulons éviter les extrêmes, comme chez certains concurrents où la différence de prix entre les différents magasins peut atteindre les 10%. »
Pendant que le monde extérieur était concentré sur l’histoire des prix, vous avez continué votre chemin en toute discrétion.
D.V.d.B.: « Ces deux dernières années, nous avons décidé d’innover en profondeur, et aujourd’hui, nous souhaitons accélérer cette évolution. Ces trois dernières années, nous avons revu 5000 produits. Avant la crise, il s’agissait principalement de rendre un produit de luxe encore plus luxueux. Maintenant, compte tenu du contexte économique, nous pensons par exemple à trouver une façon d’améliorer la viande hachée : comment la rendre plus saine ou plus fraîche ?
Le nombre d’UGS (Unité de gestion des stocks) ne connaît pas la crise. Au cours de l’année écoulée le nombre d’UGS a augmenté de 3,6%. Chaque mois, nous avons plus de 75 nouvelles références. Aujourd’hui, nous avons 20.000 UGS dans les plus grands supermarchés, 19.000 auparavant. Ainsi, nous avons poursuivi l’innovation dans le secteur bio, nous avons notre propre ligne de produits alimentaires pour enfants et nous avons développé notre label 365. »
Delhaize continue à se profiler comme défenseur des marques de distributeur.
D.V.d.B.: « Effectivement, nous continuons à déployer nos efforts sur nos marques de distributeur. Des nouvelles références voient le jour toutes les semaines et un certain nombre de catégories s’étendent. Ainsi, en plus du label ‘local’, nous avons lancé la ligne ‘natural’. Avec nos 6.000 produits propres, qui aujourd’hui représentent déjà 55% de notre chiffre d’affaires, nous sommes le leader sur le marché belge des marques de distributeur. C’est ce que le client attend de nous. Les marques de distributeur, avec une structure à trois niveaux, nous donnent également l’occasion de nous profiler tant en termes de prix que de service. »
L’année dernière, Michel Eeckhout mentionnait 50% de produits propres. Les marques de distributeur continuent donc leur croissance ?
D.V.d.B.: « La hausse se situe principalement dans le segment supérieur (Taste of Inspirations), dans le segement inférieur (365) et dans le segment des ‘special needs’ (bio, eco, kids, etc.), qui connaît d’ailleurs la plus grande croissance. Le noyau, la marque Delhaize, reste stable.
Effectivement, ce sont principalement les marques nationales qui perdent du terrain, bien qu’un grand nombre d’entre elles soient innovatrices. Cela démontre la puissance de la méritocratie, parce que nous n’avons pas de préférence pour les marques nationales ni pour les marques propres. Notre rôle est clairement de mettre les marques nationales sur la sellette.
La marque propre est évaluée selon les mêmes critères qu’une marque nationale : elle bénéficie d’une période d’essai déterminée. Si, après quelques mois, elle n’ obtient pas l’ « adjusted gross margin » par mètre, elle est rejetée. Nous sommes aussi impitoyables pour nos propres marques que pour les marques nationales. Je crois que cette concurrence saine a un effet positif pour le client.
Mais l’économie joue également un rôle : un certain ‘down trading’ est perceptible, les gens passent des marques nationales aux marques propres. C’est encore le signe d’une évolution mondiale vers les marques de distributeur.»
Davantage de marques de distributeur signifie une plus grande marge pour vous, n’est-ce pas?
D.V.d.B.: « Certainement. Le down trading a son effet. Ainsi, vous constatez parfois des baisses sur le ticket de caisse moyen, mais vous avez un impact positif sur la marge brute. L’un compense l’autre. De plus, en temps de crise économique, les clients optent pour des articles d’appoint. Ils ne choisissent pas les grands emballages, pour éviter de devoir jeter par la suite. »
Comment se porte Red Market ?
D.V.d.B.: « Très bien, c’est une réussité absolue. Il y a quelques années, Red Market a débuté comme une sorte d’expérimentation. La question était la suivante : comment proposer la qualité Delhaize plus efficacement aux consommateurs sensibles aux prix et qui redoutent de mettre les pieds dans un Delhaize. Cela nous a procuré beaucoup de bonnes idées – dont les techniques de merchandising et de promotion – mais également un concept fort.
Cependant il serait stupide d’ouvrir une dizaine de magasins par an. Premièrement, cela ne serait pas réaliste en Belgique. Deuxièmement, nous souhaitons développer le concept de façon approfondie. Aujourd’hui, nous comptons 8 magasins reprenant le concept et une ouverture est prévue cette année.
A un certain moment, nous serons obligés d’accélérer, mais pour l’instant, nous sommes satisfaits : les résultats dépassent nos attentes. Tous nos magasins enregistrent une croissance du chiffre d’affaires à deux chiffres. Et selon une enquête de Test-Achats, Red Market est le numéro un en termes de service clientèle et le numéro deux en termes de prix. »
Chez Delhaize, l’expansion est très rapide. Quel est l’objectif pour la Belgique ?
D.V.d.B.: « Il existe certainement encore quelques lacunes. Prenez par exemple Hornu, pas vraiment la partie la plus riche du pays : il y a trois ans, nous y avons ouvert un magasin qui ne cesse de croître. Il est vrai que la plupart des possibilités d’expansion se situe au niveau des plus petits magasins. L’attrait des magasins de proximité continue sa progression.
Cette année, nous envisageons l’ouverture de 25 magasins en Belgique. En général, il s’agit de franchisés existants qui ouvrent des nouveaux points de vente. Chaque année, un certain nombre d’indépendants viennent de la concurrence pour travailler avec nous. Par contre, nous ne perdons pratiquement aucun exploitant indépendant.
Nous voulons également accélérer le renouvellement de notre parc de magasins. L’objectif en 2012 est de transformer 27 magasins, alors qu’en 2011, nous en avons rénové 16. Les transformations se feront selon notre tout nouveau concept de magasin ‘New Generation Store’. »
Et maintenant, une question épineuse : que s’est-il passé les six derniers mois de 2011 (le chiffre d’affaires like-for-like de Delhaize a plongé dans le rouge, ndlr.) ?
D.V.d.B.: « Nous avons clairement ressenti l’impact de la situation économique, qui nous a fort fragilisés. Par contre, notre approche renouvelée des prix renforce notre position. Nous avons dû réinvestir davantage dans nos magasins, dans nos produits et dans notre personnel. La formation est cruciale.
Selon moi, la clé du succès se trouve dans la combinaison de deux facteurs : notre excellent niveau de prix et nos magasins bien plus agréables avec un meilleur service. Nous devons tout simplement faire notre business mieux que les autres. Les clients ne pensent plus uniquement en termes de prix ou de qualité. »
Si j’ai bien compris, la direction prise est quelque peu réajustée ?
D.V.d.B.: « Je pense que chaque retailer doit s’adapter à la réalité du marché et de sa bannière. Donc, régulièrement, vous devez vous arrêter et regarder en arrière. Dans le passé, un certain nombre de choix ont été faits pour le mieux. Cela n’empêche que nous sommes arrivés à la conclusion que certaines choses doivent être modifiées d’urgence. Mais heureusement pour nous, la volonté d’innovation et de qualité est toujours restée bien présente.
Maintenant, nous devons en premier lieu développer la communication autour de nos innovations. Nous ne l’avons pas fait plus tôt, parce que nous trouvions qu’il était absurde de revendiquer que nous sommes les meilleurs, alors que seulement 2.000 des 7.000 produits ont été revus. D’abord, nous voulions améliorer la réalité, pour ensuite pouvoir en parler. »
Traduit par Laure Jacobs