Dans un environnement de pénurie de main-d’œuvre, certaines marques font exception. Elles donnent aux RH une vision et leur confient même le leadership de l’organisation. Lors du RetailDetail HR & People Congress, le futurologue et psychologue Thomas Geuken, du Copenhagen Institute for Future Studies (CIFS), évoquera des défis du retail, l’impact de la technologie et l’évolution des attentes des jeunes générations.
Problème d’image
Selon une étude menée aux Pays-Bas, 65 % des travailleurs du retail envisagent de quitter le secteur. Pouvez-vous expliquer cette tendance ?
T.G. : « Il s’agit d’un phénomène mondial, qui ne se limite pas à une région particulière. Aux États-Unis par exemple, nous avons constaté une importante pénurie de main-d’œuvre dans le secteur du retail au sortir de la pandémie. Malgré des augmentations de salaire de l’ordre de 14 %, de nombreux postes restent à pourvoir, avec environ 5,5 millions d’emplois vacants. Les salaires y sont toujours considérés comme bas et il est difficile aux travailleurs de boucler leurs fins de mois, d’autant que l’inflation atteint près de 10 % dans certains pays.
À court terme, la réponse évidente consiste à augmenter les salaires et multiplier les avantages sociaux – et à être très transparent à ce sujet. Mais à long terme, un changement d’attitude est également indispensable. En outre, il existe un préjugé cognitif à l’encontre des emplois dans le retail. Même les directeurs des RH se demandent souvent pourquoi quelqu’un voudrait travailler dans un magasin. Ils sont convaincus que ces gens ont un problème. Cette attitude doit changer si nous voulons rendre le travail plus attrayant dans le retail. »
La technologie et la numérisation peuvent-elles favoriser l’attrait du retail ou ne constituent-elles qu’une menace ?
T.G. : « Les jeunes d’aujourd’hui ont grandi avec la technologie. Ils s’attendent à travailler avec du high-tech. Or le retail n’exploite pas encore pleinement les possibilités offertes par la technologie. En automatisant autant que possible, il est possible à la fois d’améliorer l’expérience du client et rendre le travail plus agréable et plus passionnant.
Les magasins sans caisses enregistreuses illustrent la façon dont la technologie peut transformer le retail, même si on aurait tort d’éliminer complètement l’aspect humain. Il faut trouver un nouvel équilibre, en mettant moins l’accent sur les tâches répétitives et davantage sur les compétences numériques. En outre, il est essentiel de créer un environnement de travail qui offre de la flexibilité, de la transparence et des possibilités de développement personnel. »
Attentes de l’avenir
Les jeunes générations semblent avoir des attentes différentes de celles des générations précédentes…
T.G. : « Pourquoi opposer les jeunes et les moins jeunes ? L’un des grands débats actuels en Scandinavie est l’âgisme et la discrimination par l’âge : si l’on considère notre population, il est clair que nous ne pouvons plus nous permettre de ne pas impliquer nos “séniors”. Il faut éviter de se concentrer exclusivement sur les jeunes. Mais il est vrai que les jeunes générations sont parfois à l’avant-garde d’un esprit du temps marqué par la lutte contre les injustices – ce dont nous bénéficierons tous.
Les jeunes générations sont également plus soucieuses de bien vivre et veulent travailler dans des domaines qui leur plaisent. Elles recherchent des opportunités de développement et d’épanouissement personnels. Elles accordent également beaucoup d’importance à un environnement de travail enrichissant et agréable. Les retailers doivent offrir ces opportunités s’ils veulent conserver les jeunes talents. Des entreprises comme IKEA font déjà beaucoup dans ce domaine, en misant sur l’aspect ludique et en encourageant les amitiés au travail. »
Comment gagner la « guerre pour le talent » ?
T.G. : « Certains y parviennent. Les Apple Stores ne connaissent pas de pénurie de main-d’œuvre, on fait la queue pour y travailler. Pourquoi ? Parce qu’Apple a battu en brèche l’image d’emplois sans avenir dans le retail. Ils sont parvenus à créer un environnement de travail compétitif et attrayant. L’organisation joue sur la jeunesse, ce qui rend le travail attrayant pour les jeunes générations. La marque en elle-même est un attrait majeur, mais ils proposent également une culture du travail qui correspond aux valeurs et aux attentes des jeunes d’aujourd’hui. »
Les RH aux manettes
Dans les organisations d’aujourd’hui, les ressources humaines sont aux commandes, selon votre rapport « 38 HR Trends For The Future ». Comment et pourquoi les RH doivent-elles prendre le lead ?
T.G. : La pandémie a marqué un point de basculement dans la façon dont on conçoit le rôle et la signification du travail, en particulier chez les travailleurs de la connaissance. Les organisations ont dû s’adapter à la fois à un nouveau climat économique et aux nouvelles attentes des travailleurs. Et c’est dans ce contexte que les RH ont aujourd’hui la possibilité de créer un agenda visionnaire gagnant qui répond à ces deux évolutions à la fois en donnant du sens et en créant de la valeur. Comme tout tourne autour de l’humain, il semble que les RH soient l’endroit idéal pour prendre les commandes.
Actuellement, on observe un vide au sein des organisations : les modèles et les visions de l’avenir que nous avions sont dépassés. Nous avons donc besoin de nouvelles idées et d’inspiration, et les RH occupent aujourd’hui la position la plus importante pour aider les organisations et les entreprises à se préparer à l’avenir. Après le marketing et la finance, il est donc temps que les RH deviennent le département porteur de visions au sein des organisations. »
Prêt à puiser de l’inspiration pour votre département RH ? Thomas Geuken évoquera les tendances RH de demain au RetailDetail HR & People Congres, le 6 juin à Anvers, aux côtés d’intervenants de Delhaize, La Lorraine Bakery Group, Randstad et bien d’autres.