Votre vrai concurrent ne vient pas du secteur, votre concurrent est le client. Voilà le message de Saskia Van Uffelen au retail. Un point de vue que la CEO d’Ericsson Belux, nommée ‘Digital Champion’ en 2012, viendra défendre au Omnichannel Congress.
Le consommateur est assis sur le siège de conducteur
Avant de parler de digitalisation, il faut d’abord définir ce que l’on entend par digitalisation, estime Saskia Van Uffelen. « La plupart des gens utilisent le terme digitalisation pour désigner l’utilisation de PC, de smartphones ou encore de tablettes. Or ce n’est pas cela. » Lors du RetailDetail Omnichannel Congress du 2 février la ‘Championne digitale’ exposera sa vision passionnante sur ce phénomène.
« La transformation digitale est un processus tentaculaire. Il faut voir la digitalisation comme suit : lors d’un spectacle en 2005 le public se contentait de regarder, en 2013 il prenait des photos et en 2017 il est dos au podium en train de faire des selfies. C’est comme l’émergence de l’électricité : elle est présente, tout le monde n’en est peut-être pas encore conscient, mais on ne peut plus s’en passer. »
Dans le retail la discussion, selon Saskia Van Uffelen, ne porte pas tant sur le fait qu’un magasins soit physique ou virtuel, mais plutôt sur la manière dont le client y accède. « Si en 2017 nous sommes encore à nous poser la question de savoir si un magasin doit être physique ou online, nous sommes sur la mauvaise voie. Cette question arrive bien trop tard. »
Aujourd’hui nous vivons dans une société, où le client décide lui-même des choses qu’il veut, comment les obtenir, où les acheter, au moment de son choix, comment et quand les faire livrer. « Aujourd’hui c’est le consommateur qui est assis sur le siège du conducteur et non plus le vendeur. Et pourtant on continue d’ignorer cette réalité. »
Pourquoi les génies continuent-ils de déterminer l’offre ?
Historiquement – et encore aujourd’hui – le produit est déterminé par des génies en costume dans leur tour d’ivoire, qui trois ans à l’avance décident de ce qu’ils vendront aux consommateurs. « Même si actuellement certains n’achètent ‘plus que’ 1,5 an à l’avance, ce sont toujours les génies en costume bleu et chaussures brunes qui décident de vendre des tasses bleues à une seule anse, qui selon eux, plairont au consommateur. »
Or aujourd’hui ce modèle ne fonctionne plus, estime Saskia Van Uffelen : « Le client décide lui-même s’il veut une tasse verte ou jaune à deux anses avec une sous-tasse. Et s’il veut s’en procurer maintenant, il doit pouvoir en trouver maintenant. La pyramide s’est inversée. Les génies doivent donc faire en sorte que le consommateur puisse commander sa tasse jaune le dimanche et qu’elle lui soit livrée à domicile le mardi soir. »
C’est ensuite seulement qu’il faut se préoccuper du canal à utiliser et de la façon d’atteindre le client. Van Uffelen : « Ensuite il faut revenir à la question : quelle est la meilleure manière de donner au client ce qu’il souhaite. La réponse sera une combinaison de différentes manières et canaux. Bon nombre de retailers physiques se trompent en pensant que c’est l’un ou l’autre. Celui qui parvient le mieux à offrir au client la flexibilité qu’il exige, sera le gagnant. »
Laissons le client créer son propre produit
L’imbrication des canaux continuera d’augmenter, mais la seule chose que nous ne faisons pas encore est de retourner la pyramide. Et cela doit aller très loin, selon la ‘Championne digitale’ : « Nous décidons encore de l’offre des produits, alors qu’il faut radicalement inverser les choses. Pourquoi ne pas laisser le consommateur créer son propre produit ? Il est absurde que le consommateur, qui sait ce qu’il et comment il le veut, ne dirige pas lui-même la production.
A cet égard l’impression en 3D peut être une solution, mais ce n’est là qu’une option parmi d’autres, selon Saskia Van Uffelen. « L’impression 3D n’est qu’une solution technologique afin de maîtriser les coûts, mais décidez d’abord d’un modèle d’entreprise avant de vous préoccuper du ‘comment’. »
« Torfs est un exemple d’une enseigne de chaussures qui aujourd’hui fait bien les choses. Mais aux Etats-Unis les consommateurs ont la possibilité de faire fabriquer leurs propres chaussures : ils peuvent concevoir entièrement leurs chaussures et les personnaliser, afin d’avoir ainsi une paire unique. Qu’en est-il chez nous : offrons-nous cette possibilité ? Si nous ne le faisons pas, un acteur étranger s’en chargera. »
Le ‘benchmarking n’a plus de sens
Suite à la transformation digitale, les frontières tendent à disparaître, non seulement d’un point de vue géographique, mais également au niveau des secteurs. « La concurrence ne vient plus du secteur. Si les retailers comparent leurs parts de marché, ils continuent de se préoccuper de leurs concurrents. Les vendeurs de tasses bleues se mesurent à d’autres vendeurs de tassent. »
« Finalement c’est absurde, car Uber par exemple, qui perturbe le secteur des taxis, n’est nullement une entreprise de taxis. Uber est une plate-forme de facturation, qui facture les kilomètres d’un chauffeur de voiture à un passager. Mais demain Uber pourrait tout aussi bien facturer autre chose », explique Van Uffelen.
Un autre phénomène auquel ne participe pas encore le retail est l’économie du partage. « Le retail s’appuie encore trop souvent sur de nouveaux produits. Mais nous évoluons vers d’autres modèles (de services). J’ai entendu parler, par exemple, d’un service d’abonnement pour fauteuils. Les ménages souhaitent un fauteuil pour s’installer confortablement, pas seulement pour le fauteuil en soi. Ils créent donc un canapé sur mesure qu’ils viendront remplacer une fois usé. »
L’économie de troc est un autre phénomène à exploiter, selon Van Uffelen : « Les cadeaux offerts pour la fête des mères ou des pères sont très souvent échangés via les réseaux sociaux ou via des sites web spécialisés, alors qu’auparavant ils retournaient aux magasins ou atterrissaient dans des magasins de seconde main. Aujourd’hui le concurrent du retailer est son propre client. Comment le secteur doit-il réagir à cela ? »
« Bol.com aurait pu être bol.be »
« Les génies en costume bleu et chaussures brunes », comme les surnomme Van Uffelen, dans les comité de direction et les conseils d’administration ont généralement tous le même profile, le même sexe, le même âge et le même background. Ils maintiennent le statu quo : « Chacun estime qu’il se débrouille bien et en cas de problèmes, ils vont se plaindre auprès des fédérations sectorielles, qui à leur tour vont se plaindre auprès des autorités. »
Tant qu’il n’y aura pas plus de diversité, les choses ne changeront pas. « Les initiatives qui marchent sont souvent de jeunes start-ups qui très tôt se rendent compte qu’il faut s’y prendre autrement. Le monde connecté est un couteau à double tranchant : les acteurs étrangers peuvent facilement s’installer ici, mais inversement nous pouvons nous lancer à l’international. »
« Nous avons été pris de court. Bol.com aurait pu être bol.be. Pouvons-nous encore rattraper notre retard ? Pourquoi pas. Si nous parvenons à nous distinguer, il est encore temps. Certains retailers sont sur la bonne voie, mais hélas nous avons tendance à nous lamenter en Belgique, certainement aujourd’hui. »
Grand temps d’acquérir de nouvelles compétences
Dans cette histoire la CEO d’Ericsson plaide résolument pour l’être humain. « Le seul conseil que je puisse donner est de diversifier autant que possible au sein des entreprises. J’entends par-là une diversité à tous les niveaux : femmes et hommes, vieux et jeunes, multi-culturalité, … . Bon nombre d’entreprises belges sont à la veille d’un switch générationnelle. Qu’attendent-ils ? »
Il est important d’agir rapidement, car les jeunes disposent souvent des compétences digitales nécessaires. « Le retail n’est pas le seul secteur à se trouver dans cette situation. Tout le monde a connu des années de gloire, ensuite il y eu pression et tout le monde s’est focalisé sur les coûts. Mais on ne peut pas réduire les coûts à l’infini. Maintenant il nous faut développer des compétences. »
Saskia Van Uffelen incite tous les membres de son équipe à acquérir une deuxième compétence. « Sans cela dans autant d’années, je me retrouverai avec des collaborateurs, dont je ne sais que faire » Toutefois l’employeur n’est pas le seul à devoir veiller à ce que son personnel reste à la page : « Chacun est CEO de sa propre carrière professionnelle. »