C’est en compagnie de Dominique Michel, CEO de Comeos, que nous revenons sur l’année 2016 du retail. Si la question sécuritaire a encore gagné en importance, ce dont le commerce a réellement besoin, c’est d’un cadre de travail moderne et flexible.
Focus sur Bruxelles
Dire que le retail a vécu une année 2016 troublée est un doux euphémisme. RetailDetail donne aujourd’hui la parole à l’un des personnages clé du secteur pour une rétrospective des hauts et des bas des douze derniers mois mais aussi pour connaître son sentiment par rapport à l’avenir: que doit-on changer, améliorer? Le début de l’année 2016 a été plutôt mitigé: le sauvetage de Brantano a été suivi d’une série de faillites. Mais le véritable tournant, l’élément déclencheur de cette période sombre, fut sans aucun doute le 22 mars.
Les attentats de Bruxelles ont donné le ton pour l’année entière. Quel regard les acteurs du retail portent-ils sur les conséquences de ces événements dramatiques?
Dominique Michel: “En fait, je pense que nous sous-estimons encore les répercussions de ces attentats. Certes, les Belges sont progressivement revenus dans les commerces mais la désaffection des touristes étrangers, qui ont boudé notre pays et notre capitale, a eu un impact dramatique. Notre secteur, surtout à Bruxelles, souffre encore aujourd’hui des annulations en cascade. Il faut savoir que la capitale est d’une importance vitale pour bon nombre de nos chaînes et certaines y ont vu leur chiffre d’affaires s’effondrer de 15 à 20%. C’est pourquoi Bruxelles doit être la priorité numéro un de 2017. En ce qui nous concerne, nous allons concentrer tous nos efforts sur la capitale dès le début des soldes, le 3 janvier en l’occurrence. Nous voulons envoyer un signal positif.”
Outre les attentats, Bruxelles a aussi dû affronter des problèmes de mobilité. Le piétonnier fut d’ailleurs au centre d’un débat passionné quasiment toute l’année.
“Personnellement, je suis en faveur du piétonnier. Mais doit-il être aussi grand? La réalisation de ce projet est déplorable. Il a été lancé à la hâte, avec un mobilier urbain temporaire. Nous, nous ne demandons qu’à voir la zone piétonne réussir. C’est urgent, car de nombreuses enseignes ont déjà fait faillite!”
Selon une enquête de CBRE publiée en avril, Anvers reste la ville commerçante préférée des retailers.
“Cela ne m’étonne pas vraiment. A Anvers, tout comme à Gand, on remarque qu’il existe une vraie politique, avec un message positif. Ces villes évoluent dans le bon sens, au contraire de Bruxelles où je ne note aucune amélioration. Prenez le Sunday Shopday par exemple. Ce fut partout une franche réussite… sauf à Bruxelles. Les petits commerçants n’ont pas saisi cette chance, ils s’y sont même opposés. Le conservatisme a eu le dernier mot.”
Et pourtant, même Gand a dû faire face à des problèmes de mobilité.
“Nous attendons encore les résultats du nouveau plan de voirie mais le reste se présente bien. La ville a été entièrement rénovée. Je la connais comme ma poche, car j’y ai étudié. Quand j’y reviens, je me dis vraiment ‘waw’. Bruxelles ne m’inspire pas le même sentiment.”
L’envolée du digital
En mai, le groupe Alibaba a étendu sa présence au Benelux. La mondialisation est omniprésente. Est-ce une aubaine ou une menace?
“L’arrivée d’Alibaba a provoqué une vraie prise de conscience chez nous. Le retail est aujourd’hui confronté à une véritable envolée du digital et le phénomène Alibaba en fait partie. Mais cela crée aussi de nouvelles opportunités, ouvrant les portes de l’international à nos commerçants. Les petits entrepreneurs pourraient être les grands gagnants de l’e-commerce. Le monde entier les attend. La plate-forme d’Alibaba en est la meilleure preuve.”
La Belgique est-elle encore à la traine en matière d’e-commerce?
“Une chose est sûre, le consommateur s’est pleinement lancé dans l’aventure. La question est: nos commerçants ont-ils suivi? Car rien ne sert de courir, il faut partir à point… Il y a trois ans, le CEO d’une grosse entreprise me disait encore: ‘Je ne crois pas que le commerce en ligne ait de l’avenir dans mon secteur.’ Pourtant, aujourd’hui, c’est le cas…”
“Il ne faudrait pas non plus négliger le rôle des autorités. En quatre ans, notre cadre de travail n’a pas vraiment évolué. La diminution des coûts salariaux est largement insuffisante et les avancées mineures du côté de la mobilité n’ont pas livré les résultats escomptés. Concernant le travail de nuit, les choses n’ont pas non plus bougé d’un iota. Il y a un an, nous avons signé une convention collective qui n’a abouti à rien. Les coûts salariaux et la flexibilité sont les vrais défis du commerce. Nous sommes un secteur pourvoyeur d’emplois et qui, en outre, engage un grand nombre de personnes peu qualifiées.”
“Si rien ne change dans les mois à venir, nous fonçons droit dans le mur. Nous avons déjà perdu des emplois. Les retailers n’auront d’autre choix que d’automatiser plus encore le travail. Prenez les banques et les assurances par exemple, c’est pareil. Le monde du commerce peut lui aussi automatiser de nombreuses tâches confiées actuellement à une main-d’œuvre humaine. De la préparation des commandes à l’achalandage des rayons, la liste est longue. La flexibilité et la modernisation seront les problèmes majeurs de 2017.”
Business et soldats
En juin, la presse a désigné Comeos comme l’un des signataires de la Convention Alimentation équilibrée.
“Cette convention est une initiative très importante dont nous sommes les instigateurs, en collaboration avec l’industrie alimentaire. Nous adaptons la composition de nos produits, et diminuons, par exemple, les taux de sucre dans les céréales. Ce n’est pas facile, c’est même très technique. Mais quel bel exercice!”
Le Brexit a surpris tout le monde. Les retailers vont-ils en souffrir?
“Personne ne sait vraiment comment va se dérouler le Brexit, pas même le prime minister. Une chose est sûre: le retail souffrira pas autant que l’industrie alimentaire, car celle-ci exporte beaucoup vers la Grande-Bretagne.”
En juillet, l’attentat de Nice a choqué le monde entier et a eu des répercussions jusqu’à Anvers, où la sécurité autour du Meir a été renforcée.
“Je me demande bien pourquoi nous avez tant surpris. Ce n’est pas la première fois que les terroristes utilisent ce procédé. En tout cas, la question sécuritaire est devenue une priorité, c’est certain. Nous avons perdu notre virginité. En tant que commerçants, nous sommes omniprésents. Chaque jour, nous accueillons des milliers de personnes dans nos magasins. C’est pourquoi nous avons sorti en 2016 notre Livre blanc Sécurité dans le commerce, bourré d’exemples concrets. C’est un thème intemporel. Ne vous méprenez pas, nous ne voulons pas renforcer la présence policière dans nos magasins. Business et soldats ne font pas bon ménage. Ce que nous voulons, c’est – entre autres – pouvoir utiliser les images de vidéosurveillance pour effectuer des contrôles systématiques à l’entrée de nos centres commerciaux. Pourquoi nous interdit-on ce qu’on autorise dans les stades de football? Les discussions à ce sujet traînent depuis des mois. ”
Concurrence internationale
En août, on apprend que les Belges ont de plus en plus tendance à faire leurs courses alimentaires en France.
“Il est vrai que, sur ce plan-là, tous les records ont été battu. C’est la conséquence de la hausse des taxes sur l’alcool. Nous observons une progression incroyable des ventes au Luxembourg et en France, preuve d’un échec annoncé. Nous l’avions prédit. Une différence de trois euros par bouteille, c’est beaucoup pour le consommateur. Un Belge sur deux vit à moins de 50 km d’une frontière et l’e-commerce est omniprésent. La concurrence internationale en récolte les fruits. Les Belges ont l’habitude de faire leurs courses à l’étranger, ce n’est pas nouveau. Mais ces derniers temps, cette tendance s’est accélérée. Beaucoup de gens possèdent une voiture de société et n’ont donc, pour ainsi dire, aucuns frais de déplacement. Au final, tout le monde y perd, surtout les autorités fiscales et le monde de l’emploi. ”
Comeos annonce le lancement d’un service de médiation pour les consommateurs. Celui-ci interviendra en cas d’insatisfaction d’un client lors d’un achat dans l’une des chaînes concernées.
“Cette initiative à destination du grand public est une première. En tant qu’organisation sectorielle, nous n’avons presque aucun contact direct avec le consommateur. C’est en train de changer. Notez qu’il s’agira d’une instance autonome et indépendante, opérationnelle dès le premier semestre de 2017.”
En septembre, la Belgique est elle aussi touchée par l’effondrement de la chaîne MS Mode. Les détaillants de mode déplorent une fin d’été catastrophique. Mais la météo est-elle vraiment la seule responsable?
“Le secteur de la mode rencontre aujourd’hui des difficultés sans précédent. Cette année fut réellement catastrophique. En cause, différents facteurs: les attentats, la météo – elle a en effet joué un rôle crucial – et la hausse de la concurrence. De nouveaux arrivants débarquent en permanence et placent souvent la barre très haut. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose: ‘adaptez-vous’, tel est le message!”
Appel aux visionnaires
En octobre, le troisième Sunday Shopday rencontre – une nouvelle fois – un franc succès.
“Je ne m’attendais pas à de tels résultats. Nos membres étaient extrêmement satisfaits, les chiffres annoncés par Worldline montraient une progression de 20%. Pour chacun de nos projets, nous nous engageons pour trois ans, car il est impossible de parvenir à des conclusions dès la première année. Ici, c’était la troisième. Bien sûr, nous allons continuer!”
La question des soldes a à nouveau fait débat: certains affirment qu’elles devraient commencer un peu plus tard, et le ministre Kris Peeters voudrait abolir la période de suspension.
“Pour nous, il faut conserver cette période. Les soldes ont lieu deux fois par an, toujours au même moment, tout le monde le sait. Il ne faut rien y changer même si d’autres organisations cherchent probablement à les supplanter. La plupart de nos membres désirent conserver les soldes et la période de suspension, de peur d’engendrer un affaiblissement. Il n’y a donc pas lieu de s’en préoccuper pour le moment. Il y a d’autres priorités.”
Les frontières n’ont-elles pourtant pas été abolies? La période de suspension ne s’applique pas aux webshops étrangers.
“C’est vrai, et nous devons nous y adapter. Mais n’oubliez pas que le magasin physique génère encore 90% des ventes du prêt-à-porter.”
A Bruxelles, Docks Bruxsel a vu le jour. C’est le premier d’une série de trois grands centres commerciaux qui devraient être construits dans et autour de la capitale.
“Nous nous demandons si tous ces centres commerciaux sont vraiment nécessaires. Ça fait tout simplement trop de mètres carrés. J’espère me tromper, mais j’ai bien peur d’avoir raison. Vous savez, le deuxième défi majeur, après la modernisation, c’est la question des villes et de la périphérie. Les autorités envoient des signaux contradictoires à ce sujet: d’un côté, nos villes moyennes se vident d’une façon dramatique, de l’autre, on y construit de plus en plus de centres commerciaux. Et cette tendance est encouragée par les autorités qui délivrent les permis.”
“Ce pays a besoin de visionnaires, et pas seulement pour son commerce. Voilà qu’on a lancé le “stop au béton” mais, d’ici 2040, vous n’aurez plus rien à bétonner en Flandre. Il faudrait réunir tout le monde pour une sérieuse concertation: nous, les villes, les opérateurs de la mobilité. Je ne suis pas contre les centres commerciaux mais contre l’absence de politique. Quand il s’agit d’implantations commerciales, les autorités devraient prendre leurs responsabilités au lieu de laisser chacun agir comme bon lui semble.”
Une année charnière
En novembre, le Black Friday et le Cyber Monday ont fait fureur dans notre pays. Certains observateurs prédisent la fin de ‘notre’ période de soldes, qui ne relèverait plus que du folklore local.
“Selon moi, 2016 a été une année charnière pour ces phénomènes. D’une importance marginale pendant trois années consécutives, ils ont soudain connu un succès fulgurant. Les chiffres des entreprises participantes en témoignent: du vendredi au lundi, ce long weekend fut le champion des ventes. D’autres entreprises ont choisi de ne pas participer et admettent aujourd’hui avoir sous-estimé l’ampleur de ces actions. L’année prochaine, elles ne manqueront plus le coche. Attention, on ne sait pas si cela va durer. La tendance Halloween, par exemple, a déjà perdu de sa superbe. Toutefois, nous avons ici affaire à des évènements commerciaux, à moindre valeur culturelle. Peut-être ont-ils donc plus de chance.”
En décembre, les autorités ont encore fait parler d’elles: le Parlement flamand a réglementé le prix du livre et la Wallonie a instauré l’interdiction des sachets en plastique dans les magasins.
“Je suis un lecteur assidu et me sens donc concerné. La réglementation du prix du livre, nous pouvons nous y adapter, mais non sans nous poser quelques questions. Tout d’abord: qu’en est-il de la vente en ligne? Cette mesure sort tout droit du vingtième siècle. Et puis, les blockbusters, vous pouvez très bien les acheter à l’étranger. C’est un phénomène récurent: les magasins physiques se voient imposer toutes sortes d’obligations auxquelles échappent les webshops. Prenons l’obligation de reprise des équipements électriques: qui va obliger Amazon à reprendre vos vieux appareils?”
“Deuxièmement, notre pays compte une ville qui ne relève pas uniquement de la Communauté flamande: Bruxelles. Là encore, nous n’avons aucune solution. Ça dépasse l’entendement: il n’y a tout simplement aucune concertation interrégionale. On agit d’un côté, sans consulter l’autre partie pour trouver une solution. Je ne milite pas pour la refédéralisation, mais bien pour la collaboration. Nous avons besoin d’un seul marché, pas de trois. Quant aux sachets en plastique, c’est encore une fois la même histoire. La Wallonie prend une direction et Bruxelles une autre alors qu’elles sont dirigées par les mêmes partis. Et en Flandre, on fait encore autrement. En outre, certaines études prouvent que l’impact du papier sur notre environnement est plus important que celui du plastique: en effet, pour une palette de sacs plastiques, vous avez sept palettes de sacs en papier… Et nous le savons depuis 2003!”
Le mot de la fin: vos attentes et souhaits pour 2017?
“Que nous parvenions enfin à moderniser nos procédures de travail. C’est la priorité absolue.”