Qu’est-ce qui pousse à débourser plus de 27 000 euros pour un « NFT » de la sauce Giant de Quick ? Et que sont ces NFT, finalement ? Mais, surtout : que peuvent en faire les détaillants et les marques ?
Des prix records pour… rien
L’année dernière, à l’occasion de son 50e anniversaire, la chaîne de burgers Quick a lancé un objet de collection unique. Le terme objet est toutefois incorrect, puisqu’il ne s’agissait absolument pas d’un bien physique. C’était un NFT, un nouveau mot à la mode qui a émergé dans le monde entier l’année dernière. Le PDG belge de Quick a enregistré la recette secrète de la sauce Giant dans un studio insonorisé et a vendu aux enchères l’image numérique de l’onde sonore résultante. Pour cette image indéchiffrable, un enchérisseur anonyme déboursé 27 775 euros, ou plus exactement : 7 cryptomonnaies ETH.
Pour cette somme, l’acheteur a reçu un fichier téléchargeable. Pas de hamburger, pas de tableau à accrocher, pas de trophée à exposer, rien de tangible. Néanmoins, les NFT ont le vent en poupe : ces « jetons non fongibles » confèrent aux biens numériques une carte d’identité unique et traçable. Une signature invisible, en quelque sorte, pour protéger les droits d’auteur sur les produits non physiques. En pratique, ils sont principalement utilisés pour l’art et le design numériques.
Les NFT ont permis d’attribuer des droits de propriété à des choses qu’il était jusqu’ici impossible de posséder. Par exemple, les œuvres d’art numérique du graphiste Mike Winkelmann, alias Beeple. Lorsque la maison de vente aux enchères Christie’s a proposé un collage virtuel de son travail en tant que NFT, cela a rapporté cinquante millions de dollars à l’Américain de 39 ans. Jusqu’à ce qu’il découvre les NFT, Winkelmann touchait pour ses œuvres fantastiques à peine… cent dollars.
Objet de tendances
En tant que marque ou détaillant, pourquoi se mettre aux NFT ? L’exemple de Quick est un exemple de marketing et de relations publiques pur. Il s’agit d’une première application dont certaines des plus grandes marques du monde ont déjà compris les avantages. Lorsque la chaîne de restauration rapide américaine Taco Bell a vendu des GIF et des images de tacos, ceux-ci ont été épuisés en une demi-heure. Barbie a ensuite mis aux enchères trois images de ses poupées, mais habillées de la dernière collection de la maison de couture Balmain. Qui achetait un NFT recevait de « vrais » vêtements de Barbie Balmain.
Quels sont les avantages pour les acheteurs ? À court terme, ils achètent avant tout le droit de parader, comme le font les collectionneurs d’art lorsqu’ils achètent un Picasso. Les plateformes NFT donnent quelques conseils : utilisez votre NFT comme photo de profil sur les réseaux sociaux, exposez-le dans les musées NFT en ligne (oui, ça existe !) ou affichez-le sur un écran dans votre salon. Les NFT sont également des investissements populaires : ils sont souvent revendus bien plus chers que leur prix d’achat. Il s’agit avant tout de pièces de collection, bien que sans objet physique.
Un NFT offre également un certificat d’authenticité : toutes les transactions sont enregistrées et stockées dans la blockchain, tout comme les cryptomonnaies, de sorte que l’origine peut toujours être fidèlement retracée. Et c’est là que ça devient intéressant pour les maisons de couture et les créateurs. Toutes sortes de « marchandises » intangibles liées à une marque, telles que des clips vidéo, des designs, des conceptions, des recettes ou même des plans pour l’imprimante 3D exclusifs, peuvent être échangées en tant que NFT. Karl Lagerfeld et Burberry ont été parmi les premières marques de mode à sauter le pas et à proposer une gamme exclusive de figurines 3D en tant que NFT.
Objets virtuels dans le métavers
À plus long terme, les marques et les entreprises entrevoient de nombreuses applications possibles dans le « métavers », le monde qui entend fusionner la réalité physique et numérique. Aujourd’hui déjà, des mondes virtuels parallèles réels voient le jour et, à l’avenir, ils se fonderont encore plus dans la réalité physique. Actuellement, les mondes de jeux virtuels populaires de Roblox, Fortnite et Minecraft en sont les plus proches.
L’idée est que l’identité numérique d’une personne, y compris son avatar, ses vêtements virtuels et ses biens, est une propriété personnelle et peut être transposée d’un monde à l’autre. Vous pouvez vous téléporter d’une réunion de travail sur Horizon Workrooms à Fortnite pour assister à un concert virtuel avec des amis. Vêtements, meubles, accessoires et autres objets virtuels vous accompagnent. Un intérieur virtuel spécial pour les réunions Zoom ou une tenue réservée aux photos Instagram ? C’est possible.
La mode avec 97 % de CO2 en moins
Ce sont en particulier les acteurs de la mode de luxe qui voient de la valeur dans la mode virtuelle qui ne peut être portée que virtuellement, dans des jeux vidéo ou sur des publications de réseaux sociaux. Pendant quinze jours, Roblox a eu un véritable Gucci Garden, où un sac à main virtuel se vendait plus de 4 000 dollars, soit plus que le prix d’un sac « réel ». Dans Fortnite, les joueurs ont déjà acheté pour plus de 40 millions de dollars de vêtements et d’accessoires numériques. Le marché des objets numériques dans les jeux vidéo est estimé à 50 milliards de dollars en 2022.
DressX est par exemple l’un des premiers producteurs de vêtements numériques à succès dans ce domaine, avec des tenues « portées » par le rappeur Lil Nas X et d’autres célébrités. L’industrie de la mode est l’un des plus grands pollueurs au monde, souligne la marque, alors qu’aujourd’hui près de 9 % de la mode dans son ensemble est achetée uniquement pour la création de contenu, par exemple pour des posts Instagram ou des séances de photos. La mode numérique est la solution : aussi belle, aussi créative et aussi surprenante, mais avec 97 % d’émissions de CO2 en moins.
Vous pouvez notamment acheter la marque dans Decentraland, le monde virtuel qui se rapproche peut-être le plus du métavers à l’heure actuel : il s’agit d’un monde en ligne utilisant sa propre monnaie, la cryptomonnaie Mana, régie par une organisation autonome décentralisée. Ceux qui le souhaitent peuvent acheter une parcelle de terrain virtuel et y construire ce que bon leur semble. Un magasin virtuel dans la Fashion Street de Decentraland a récemment été vendu pour le montant record de 2,4 millions de dollars. « La parcelle sera développée pour soutenir les défilés de mode et le commerce au sein de l’industrie de la mode numérique en plein essor », a déclaré l’acheteur.
Outil de préfinancement
Il y a même des sièges NFT. Le designer de meubles Andrés Reisinger a vendu un dessin animé (GIF) de son Complicated Sofa pour 5 000 dollars. Le NFT peut être déposé dans n’importe quel espace virtuel, comme le monde virtuel Decentraland ou le jeu vidéo Minecraft. Des lunettes de réalité virtuelle permettent également d’admirer le modèle 3D correspondant. Grâce à cet argent, Reisinger peut désormais convertir ses meubles virtuels en objets physiques. Une troisième application intéressante des NFT dans le commerce de détail est le préfinancement.
Cela pourrait également inspirer les promoteurs immobiliers. Les entrepreneurs de la Silicon Valley veulent établir une sorte d’État libre en Méditerranée : l’île Praxis, qui doit encore être construite, doit devenir un paradis technologique avec un clin d’œil à l’antiquité classique, avec des statues et des bâtiments monumentaux. Pour récolter des fonds, les entrepreneurs veulent vendre des dessins de ces futurs monuments sous forme d’œuvres NFT. Ils espèrent vendre aux enchères ces NFT pour plusieurs millions, arguant que ces objets de collection vaudront une fortune lorsque la ville verra réellement le jour. Faut-il tenter le coup pour le prochain grand projet de centre commercial ?
Est-ce que tout le monde doit maintenant lancer ses propres NFT ? C’est aux détaillants et aux marques de déterminer s’il existe un marché parmi leur public cible. Pour l’instant, il s’agit surtout d’un effet de mode, sans réelle fonctionnalité. Les gadgets numériques sont aussi étonnamment polluants : ils consomment de l’électricité et de l’espace de stockage numérique. Pourtant, nous en entendrons beaucoup parler dans les années à venir, surtout lorsque le métavers promis prendra forme.
Cet article est basé sur des extraits du livre « The Future of Shopping: Re-set Re-made Re-tail », par le fondateur de RetailDetail, Jorg Snoeck, et la rédactrice Pauline Neerman, qui sera publié en mars par Lannoo Campus et Van Duuren Management.