Moins d’un mois après son lancement aux États-Unis, Temu était déjà l’application de shopping la plus téléchargée du pays. Aujourd’hui, le rival d’AliExpress se lance à la conquête de l’Europe. En quoi se distingue cette application ?
1 % de la population en 3 semaines
Temu fait incontestablement partie de la nouvelle génération de détaillants chinois prêts à conquérir le monde. Selon les analystes de Barclays, la place de marché se présente comme un potentiel élément perturbateur de taille et comme la nouvelle menace du commerce de détail chinois, après Shein. Boohoo, Asos et Allegro, mais aussi Zalando et About You, risquent bien de devoir s’accrocher, craint le cabinet d’analyse.
Temu a débarqué aux États-Unis en septembre 2022. En octobre, elle était déjà l’application de shopping la plus téléchargée dans Google Play Store. Depuis le mois d’avril, la boutique en ligne est également disponible au Benelux, en Allemagne et en Espagne, entre autres, où elle fait déjà fureur. 1 % de la population allemande avait installé l’application sur son smartphone au bout d’à peine 22 jours, contre 130 jours pour l’application de mode ultra-bon marché Shein.
L’explication est évidente : Temu semble afficher des prix encore inférieurs à Shein, selon une petite comparaison de prix effectuée par Barclays. En outre, Temu propose une gamme de produits beaucoup plus large. La plateforme est comparable à AliExpress, puisque les clients peuvent presque tout y trouver, des pommeaux de douche à 5 euros aux chargeurs usb à 1,75 euro, en passant par les robes de mariée à 20 euros. La place de marché indique travailler avec plus de 11 millions de fournisseurs et partenaires d’exécution.
Les enfants, ces super-diffuseurs
Temu est une société sœur de Pinduoduo, une société de commerce électronique cotée en bourse aux États-Unis qui a désormais jeté son dévolu sur l’Occident. Comme Shein, l’entreprise ouvre son siège à Dublin, pour des raisons fiscales mais aussi pour se rapprocher des consommateurs européens. Un groupe cible européen concentré dans la jeune génération, explique Maarten Leyts, observateur de tendances chez Trendwolves.
Pourquoi les enfants ? Les entreprises chinoises savent exploiter la puissance des réseaux sociaux : les réseaux sociaux sont le canal d’achat de prédilection de la jeunesse chinoise, et les influenceurs dictent les tendances en maîtres. Temu fait donc aussi parler d’elle sur Snapchat et (l’application chinoise) TikTok, qui sont désormais les réseaux sociaux de la jeunesse (influençable). D’innombrables vidéos circulent sur ces réseaux sociaux, dans lesquelles des acheteurs montrent ce qu’ils ont acheté ou même obtenu gratuitement sur Temu.
Grand bazar et effet de groupe
Gratuitement ? Oui, c’est là que réside la force virale de Temu. L’application déploie également les techniques de gamification et de « social shopping » qui ont fait la renommée de la société mère Pinduoduo. Pinduoduo a rapidement émergé en Chine pendant les années de pandémie en tant qu’application pour les achats groupés à bas prix : l’application propose des offres avec des réductions allant jusqu’à 90 % pour les groupes d’au moins 10 co-acheteurs. En d’autres termes : partager au maximum et convaincre les autres d’acheter.
Temu promet également des produits gratuits si vous jouez à des jeux dans l’application, mais surtout si vous parvenez à convaincre suffisamment d’utilisateurs de s’inscrire. Par conséquent, les utilisateurs partagent massivement l’application, qui se répand comme une traînée de poudre. L’application exploite également le réseau de l’utilisateur pour des actions et des « jeux ». Le client lui-même devient le canal publicitaire.
« Pinduoduo remet en question la définition même du shopping en ligne en mettant l’accent sur l’expérience plutôt que sur la commodité. La jeune entreprise, croisement entre Groupon et un grand bazar, capte mieux que quiconque l’esprit novateur du commerce de détail chinois. Les frontières entre le monde en ligne et hors ligne, entre le shopping et le divertissement et entre le fabricant et le détaillant deviennent totalement floues », avions-nous écrit dans la dernière version de The Future of Shopping.
Face cachée plus sombre
Pourtant, l’application fait débat. Comme on peut s’y attendre avec des prix aussi bas, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Des produits contrefaits font aussi régulièrement leur apparition sur la plateforme, tandis que le service clientèle serait, à en croire des clients mécontents, difficilement joignable. De plus, comme tout est expédié de Chine, les délais de livraison moyens de 7 à 15 jours ouvrables sont beaucoup plus longs que chez Amazon, par exemple.
Il y a également des questions éthiques. Quid de la pollution générée par la production et l’expédition de tous ces articles (essentiellement en plastique) dans le monde entier, sans parler des conditions de fabrication ? L’application chinoise recueille également bon nombre de données sur les utilisateurs, informations qu’elle peut ensuite transmettre à des partenaires commerciaux, mais aussi au gouvernement chinois.
De plus, la ressemblance entre Temu et Wish est frappante. La plateforme chinoise de vente d’articles à petits prix a également dû réduire fortement ses activités l’année dernière après des chiffres décevants, mais elle a également été prise à partie par l’Europe pour des « remises fictives » et des ajustements de prix sous le manteau. En France, la plateforme Wish est également bannie des app stores et des moteurs de recherche depuis 2021 parce qu’elle vendrait des produits dangereux. Temu parviendra-t-elle à conquérir le cœur des Européens ?