De nombreuses innovations émergent dans le monde des paiements. On peut désormais payer avec une bague ou une montre et dans les magasins dépourvus de caisse, les clients entrent et sortent simplement, pour ne citer que quelques exemples. Quelles sont les évolutions intéressantes pour le commerçant moderne ?
Nous avons posé la question à 6 experts : Gio Verborg de Keyware, Peter De Ranter de Tilroy, Dimitri Beck de CCV, Hjalte Niehorster de Lightspeed, Robin Soubry et Stephan Van Gulck d’Ingenico et Nathalie Vandepeute de Bancontact/Payconiq.
L’argent liquide, c’est cher.
Nathalie Vandepeute souligne combien l’utilisation d’argent liquide s’avère chère pour les commerçants. « Les paiements au comptant demandent beaucoup de temps et d’énergie : il faut compter l’argent le soir, puis l’encoder manuellement et le transporter. Qui plus est, les erreurs sont alors plus fréquentes que lors de paiements électroniques. » Il ressort d’une étude récente menée en mai, à la demande de Kris Peeters, que les paiements électroniques sont financièrement plus avantageux pour le commerçant que les paiements au comptant.
Les commerçants ont parfois peur du coût que représentent les paiements électroniques, car ces derniers requièrent un terminal. Mais le prix des terminaux ne fait que diminuer : il est désormais possible d’acquérir un petit terminal pour 30 euros. Payconiq permet les paiements électroniques sans terminal. C’est pourquoi Nathalie Vandepeute pense que le nombre de paiements en espèces va encore diminuer en Belgique.
« Il ressort de notre propre étude qu’un tiers des Belges paie déjà sans contact. Chez les personnes de moins de 34 ans, on atteint les 50 %. Aujourd’hui, 34 % des Belges ont peu, voire pas d’argent liquide en poche. Les commerçants peuvent tirer avantage de nouvelles évolutions. Il est important qu’ils connaissent leurs options. », conclut Nathalie Vandepeute.
Gio Verborg : « Nous avons récemment interrogé nos clients afin de savoir pourquoi ils payaient encore aussi souvent en espèces. La plupart des répondants ont évoqué le fait qu’ils ne souhaitaient pas que les autorités sachent ce dont ils disposent et ce qu’ils achètent. Bien entendu, les autorités ne peuvent pas savoir qui va faire son shopping sur le temps de midi. Les clients ne réalisent pas que les paiements en liquide sont lents et qu’ils sont souvent assurés de recevoir de la monnaie, voire de faux billets, en retour. Le consommateur reste soucieux de ses données. »
La numérisation s’accélère.
La demande de paiement mobile est-elle en augmentation ?
Peter De Ranter de Tilroy le confirme : « Oui, même si le nombre de transactions effectives avec Payconiq en magasin reste provisoirement minime et que, même dans les chaînes, moins de la moitié d’entre elles s’effectuent avec Payconiq. Son utilisation est principalement une question d’image, je ne pense pas qu’on vende moins si on ne le propose pas. Ce qui incite à utiliser ce type de paiement, c’est davantage le service que nous souhaitons offrir au client. »
Peter De Ranter ne pense pas que les paiements en liquide disparaîtront tout prochainement. « L’aspect pratique pour le client occupe une place centrale et c’est bel et bien lui qui choisit. Les paiements électroniques et en espèces continueront tous deux d’exister. »
Mais à quelle fréquence le Belge paie-t-il encore en espèces ?
Dimitri Beck fait référence à une étude de Febelfin : « En Belgique, on vient d’une situation où, jusqu’à présent, 60 % de l’ensemble des transactions chez les commerçants étaient encore payés en espèces et où on a récemment observé une baisse vers les 50 %. Cela vient également de l’encouragement du paiement des petits montants par carte, chez le boucher ou le boulanger, pour le parking, etc. Cela accélère la numérisation des espèces et l’utilisation des codes QR. On peut parler d’un effet push & pull : si le client estime plus facile de payer par carte ou par téléphone, le commerçant est tenté de mettre cela en œuvre. En définitive, c’est le client qui définit où et comment il paiera à l’avenir. »
Le paiement automatique
Les paiements sans contact et mobile sont des évolutions que les wearables doivent suivre, affirme Nathalie Vandepeute. « Il s’agit de bagues, de bracelets ou de montres avec lesquels on peut payer, comme on le ferait avec un téléphone. »
Dimitri Beck entrevoit encore d’autres possibilités d’utilisation. Avec un token – installé, par exemple, dans votre téléphone, votre voiture ou ailleurs – vous êtes identifié dans le parking ou à la pompe à essence et vous payez automatiquement. Vous entrez dans le parking et la barrière se lève, vous êtes identifié automatiquement et le compteur commence à tourner. Lorsque vous ressortez, vous êtes de nouveau identifié et le montant dû est calculé suivant votre formule d’abonnement. Les grandes chaînes de supermarchés sont très intéressées par cette technique et à la recherche de solutions semblables.
« On évolue vers un paiement impliquant un minimum de manipulations physiques. Ce qui fait le buzz, c’est l’invisible payment, le processus de paiement en soi, qui est toujours bel et bien physique et comporte encore différentes étapes, et qui deviendra finalement invisible. Dématérialiser toujours plus le processus de paiement et le rendre ainsi le plus efficace possible. S’identifier et payer vont de plus en plus souvent de pair. »
Gio Verborg : « Dans le processus d’achat, le paiement reste l’opération la plus ennuyante. Le consommateur vit une expérience positive, puis est confronté à quelque chose de négatif, à savoir le fait de payer. L’objectif est donc d’ajourner ce sentiment et l’administration superflue qui va de pair aussi longtemps possible et de les maintenir en dehors du magasin, de manière à ne garder que le positif dans le point de vente.
C’est de là que vient la tendance au paiement différé. Gio Verborg : « Que ce soit en ligne ou hors ligne, le paiement différé a le vent en poupe. Les consommateurs valident leur commande, mais ne doivent pas forcément payer de suite. Le commerçant leur demande s’ils veulent payer en une fois ou de manière échelonnée. Le paiement échelonné est possible sans ouverture de crédit et dispense donc le client de remplir des papiers. Le commerçant prend un mandat sur la carte de paiement du client afin de pouvoir retirer les tranches restantes du montant. La rapidité de traitement est la même que lors d’un paiement classique. Le client ne doit plus se rendre physiquement en magasin pour le règlement. Et pour le commerçant, les échéances de paiement suivantes sont une opportunité d’envoyer une nouvelle publicité ou promotion au client ou de créer pour lui une offre de fidélité. »
Le magasin sans caisse
L’étape ultime pour bannir le paiement du magasin, c’est le magasin sans caisse. Hjalte Niehorster : « Ce sont des endroits qui s’apparentent à des supermarchés où l’on rentre rapidement pour acheter quelque chose. À Schiphol, il y a une filiale AH avec tap to go : il suffit d’effleurer le rayon avec votre téléphone pour payer. Dans les années à venir, ce sera certainement une tendance. Aux États-Unis, Amazon Go ouvrira 3 000 magasins l’an prochain. En Europe, les choses prennent un peu plus de temps. Amazon a tout d’abord développé le logiciel pour sa propre utilisation. Il sera ensuite mis à la disposition des autres. Il semble principalement destiné aux magasins d’articles de ménage et aux supermarchés, peut-être un Hema ou une librairie. Quant aux plus petits commerces, ils doivent justement tirer profit des relations personnelles qu’ils instaurent. »
D’autres détaillants ont lancé des applications permettant aux clients de scanner et de payer leurs achats eux-mêmes. Une bonne solution pour les périodes de rush, estime Robin Soubry : « Les produits scannés sont enregistrés automatiquement et génèrent un code pour permettre le paiement sur le terminal du magasin ou permettre au client de payer avec l’application du magasin. On évite ainsi les files à la caisse, c’est ce que l’on appelle un queue buster. C’est toujours un projet pilote, c’est en cours d’expérimentation, mais à première vue, tout semble bien se passer. Bien entendu, tout cela a des implications, notamment au niveau des produits protégés. »
Pas de percée d’Alipay ?
Les commerçants et les consommateurs (touristes) chinois viennent en Europe avec, dans leur sillage, leurs propres applications de paiement. Les acteurs asiatiques conquièrent-ils progressivement le marché ?
Hjalte Niehorster : « En tant que commerçant, il faut effectivement tenir cela à l’œil, mais on ne peut pas encore vraiment parler d’adoption. En Asie, de nombreux paiements ont lieu entre consommateurs et ce phénomène commence aussi à s’observer chez nous, mais avec nos propres solutions. Ici, on va très certainement plutôt s’orienter vers nos propres produits plutôt que vers les variantes asiatiques. »
Peter De Ranter : « Nous n’avons eu qu’une seule demande pour Alipay. Ces intégrations supposent certains coûts. En tant que commerçant, il faut se poser la question de savoir si la vente est perdue si on ne le propose pas, mais je ne pense pas que ce soit le cas. »
Gio Verborg : « De nombreux acteurs d’envergure arrivent sur le marché, non seulement pour faciliter les transactions, mais aussi pour avoir accès aux données qui y sont liées. Il y a de plus en plus d’argent à gagner à ce niveau. Ces données, on les utilise pour offrir des promotions via des tiers ou elles sont vendues. Je pense que cela va de plus en plus inciter le consommateur à ne pas vouloir prendre part à ces nouveautés. Le consommateur est de plus en plus soucieux de ceux à qui il confiera ces données. Un certain nombre de consommateurs feront délibérément le choix de faire confiance aux acteurs fiables qui seront alors les seuls détenteurs de leurs données. »
Les wallets plus populaires
Quels sont les développements en ligne ?
Peter De Ranter : « En ligne, la solution globale est même encore plus importante, vous avez plus d’acheteurs et plus de conversion si vous proposez davantage de moyens de paiement. En ligne, Paypal est important, cela revient plus cher, car les commissions sont plus élevées, mais de nombreuses familles n’ont qu’une carte de crédit qu’ils lient à leur compte Paypal de manière à ce que toute la famille puisse l’utiliser. Si vous intégrez la home payment solution aux boutiques en ligne, de nombreuses personnes la choisissent. »
Stephan Van Gulck observe également l’augmentation des wallets comme Apple Pay et Google Pay. Ils sont déjà très utilisés en France et au RU. C’est un moyen de paiement rapide, plus rapide qu’avec une carte de banque. C’est nouveau et attrayant pour la nouvelle génération : elle cherche des commerçants qui utilisent également les nouveaux paiements.
« Plus le paiement est accessible, plus la validation de commande est facilitée et plus le client reviendra. Ça coûte certes plus cher pour le commerçant et ce n’est pas encore très répandu. Pour le consommateur, cela signifie qu’il ne peut pas encore utiliser ce mode de paiement partout, car toutes les banques ne l’appliquent pas. »
Quelles améliorations espérer en ligne ?
Robin Soubry : « Au fil des années, on observe de grosses augmentations du cross border payment : les consommateurs n’achètent plus uniquement sur les sites de leur propre pays, mais se tournent également vers d’autres pays. Les boutiques en ligne ne sont malheureusement pas toujours prévues pour cela. Aux Pays-Bas, 65 % des opérations sont payées avec Ideal, qui est de ce fait incontournable. En France, c’est la carte de crédit qui domine les méthodes de paiement. L’Europe est très diversifiée en matière de modes et d’habitudes de paiement, les commerçants ne sont pas toujours au courant de tout. »
La facilité du code QR
Les clients choisissent-ils la solution de facilité ?
Nathalie Vandepeute : « Auparavant, les paiements en ligne avec le lecteur de carte étaient parfois refusés ou il y avait des problèmes techniques qui interrompaient le paiement. Cela représente une perte pour le commerçant. Il est très important qu’un paiement s’effectue de manière fluide, pour que l’achat s’effectue immédiatement. Avec le scan du code QR, l’opération est plus fluide et vous avez moins de pertes en tant que commerçant. »
Peter De Ranter : « Lorsque c’est bien mis en œuvre sur les boutiques en ligne, il est possible de scanner le code QR avec un smartphone. Ça fonctionne bien et ça élimine les freins pour le client. C’est tellement simple que c’est énormément utilisé. »
Dimitri Beck : « En ligne, l’objectif est de rendre le processus de paiement aussi aisé et invisible possible. Chez Bol.com ou Amazon, il suffit de s’identifier une seule et unique fois en tant que client et votre profil et vos données de paiement sont conservés dans un environnement sécurisé. La fois suivante, lorsque vous voulez acheter quelque chose, le système vous reconnaît automatiquement : vous vous identifiez au moyen d’un mot de passe et devez éventuellement renseigner votre code pin, mais c’est tout. »
Bref : en ligne ou hors ligne, l’évolution est la même. Le processus de paiement est orienté client au maximum et le plus efficace possible. En éradiquant tous les freins potentiels, le paiement devient pratiquement invisible et le shopping procure un maximum de plaisir.