Le COVID-19 a représenté un obstacle inédit pour le secteur du commerce de détail en 2020. Mais quel est l’impact concret de la crise ? Que pouvons-nous en apprendre et continuerons-nous à craindre le coronavirus en 2021 ? Quatre experts du commerce de détail s’interrogent, le regard tourné vers l’avenir.
« Les magasins ne disparaîtront pas mais rempliront une autre fonction »
Selon Els Breugelmans, professeur de marketing à la KU Leuven, cette crise a amplifié et renforcé les tendances préexistantes. « La personnalisation, la commodité, les achats locaux et l’expérience client sont autant de tendances qui ont pris de l’ampleur l’année dernière. La situation est très difficile aujourd’hui, et le restera au début de 2021. Même si les mesures sont assouplies, par habitude, les consommateurs resteront peut-être quelque peu plus réticents. »
« 2021 sera une année de transition. La suppression des mesures strictes sera progressive et, pendant un certain temps, les consommateurs continueront probablement à respecter la distanciation sociale et à se soucier davantage de l’hygiène. L’habitude de faire les choses différemment, y compris de faire des achats rapides, en maintenant des distances et en ligne, ne disparaitra pas instantanément. »
Quelles seront les tendances déterminantes durant cette nouvelle année ? « Les composantes qui rendent le processus d’achat hygiénique et sûr gagneront du terrain en 2021. Mais ce qui motivera les achats dans ce contexte, ce sera davantage la commodité que la préoccupation pour la santé. Pour rendre les achats hygiéniques et sûrs, nous privilégions les transactions sans contact. Il suffit de penser au self-scanning, au paiement sans contact, à l’utilisation des codes QR et aux commandes en ligne. Ces pratiques se généralisent et deviennent ainsi plus faciles. »
Selon Els Breugelmans, les initiatives en ligne vont perdurer. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de place pour les magasins physiques, mais qu’ils auront peut-être un autre rôle à jouer. « Je ne pense pas que les magasins disparaîtront, mais je crois qu’ils rempliront une autre fonction. Je pense à un espace d’achat plus compact, qui ne soit pas seulement un lieu de transaction où l’on achète/vend des produits, mais aussi un espace rattaché à des outils en ligne. Ceux-ci peuvent simplifier les achats, avec des suggestions et des conseils personnalisés. »
« En plus de la vente, les magasins pourraient également offrir d’autres services. Le personnel du magasin jouera donc également un autre rôle. Au-delà de la simple fonction de vendeurs, les membres du personnels devront aider, inspirer, offrir un service sur mesure et contribuer à construire l’identité de marque. »
« Le Covid-19 accélérera la disparition du commerce de détail ‘médiocre’ »
L’experte britannique en commerce de détail, Natalie Berg, a constaté que bon nombre des tendances qu’elle avait prédites il y a un an ont persisté et même augmenté l’année dernière. Cependant, elle avait également prédit qu’ Amazon atteindrait son apogée en 2020, ce qui n’est manifestement pas le cas. « Amazon est incontestablement le grand gagnant de la pandémie. Ce n’est pas demain la veille que l’entreprise perdra sa place parmi les plus grands détaillants du monde. »
« Le Covid-19 a été une mauvaise surprise, mais ce n’est certainement pas la première fois que le secteur du commerce de détail est chamboulé. Avant la pandémie, Amazon était le catalyseur qui a contraint les détaillants à s’adapter, et c’est cette menace qui les a indirectement aidés à survivre pendant cette crise. Mais le virus donnera le coup de pouce final à la transformation numérique lancée par Amazon. Comme le dit le dicton : « La nécessité est la mère de l’invention. »
Quelles tendances perdureront en 2021 ? « La fusion des opérations physiques et numériques va s’accélérer. Les technologies qui rendent les achats plus sûrs se multiplient. En prévision du lancement d’Amazon Go, de nombreux magasins développent actuellement leur version de scan & go. M&S l’a récemment introduit dans tous ses magasins au Royaume-Uni. »
« Le click & collect va également se généraliser. Ce système existe depuis un certain temps déjà mais, depuis la pandémie, même les magasins qui ne voulaient jusque-là pas en entendre parler se tournent vers cette technologie. À l’avenir, davantage de magasins s’associeront autour de ce système. Pensez à la collaboration entre Sweaty Betty et Waitrose, permettant au client de commander des articles auprès du détaillant de prêt-à-porter et de les récupérer au supermarché. »
Selon Natalie Berg, une plus grande attention sera accordée à l’expérience d’achat numérique optimale. « Au cours de la dernière décennie, l’accent a été mis sur la fluidité, la rapidité et la facilité des transactions. Maintenant que ces objectifs ont été atteints, l’expérience d’achat en ligne doit également être plus colorée et plus amusante. Par exemple, certains magasins de vêtements présentent déjà leur collection dans un showroom virtuel. »
Une chose est sûre : en 2021, il n’y aura plus de place pour les retardataires : « Le Covid-19 accélérera la disparition du commerce de détail ‘médiocre’. Bon nombre de détaillants n’ont pas su s’adapter et évoluer avec l’ère du numérique. La semaine dernière, nous en avons déjà vu l’impact pour Arcadia et Debenhams, qui doivent (presque) déposer le bilan. C’est ce que j’appelle le darwinisme de détail sous stéroïdes. »
« Le fossé entre les riches et les pauvres va se creuser »
En 2020, Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail, a comme toujours distingué des gagnants et des perdants. « Les dégâts arrivent toujours plus tard. Les entreprises de la « bulle » s’en sont très bien sorties. Pour celles qui n’en faisaient pas partie, 2020 a été une annus horribilis. »
« La mondialisation et la numérisation font pression sur le chiffre d’affaires et les marges, provoquant une augmentation des niveaux de stock. Cette tendance existait déjà avant la pandémie. Il faut davantage de fonds de roulement, ce qui pèse sur la trésorerie. Les entreprises saines se retrouvent ainsi en difficulté, en sachant que les banques d’affaires font la sourde oreille. L’attitude des banques sera donc largement déterminante pour l’année 2021. »
« Avec un crédit coronavirus de 12 mois, nous n’y arriverons pas ! Ce délai est trop court. Il faut une extension à trois ans, et c’est là que le bât blesse. Les échos provenant du marché suggèrent que les banques ne sont pas disposées à accorder des financements. »
« Si les choses ne changent pas rapidement, je prédis une vague de disparition sans précédent. Les courageux seront massacrés et, au terme de la crise du coronavirus, les rues commerçantes seront encore plus vides qu’elles ne le sont déjà. Ce sont principalement les villes intermédiaires et les zones de commerces secondaires qui entreront dans un cercle vicieux : pas de magasins, pas d’horeca, pas de passage. L’activité se déplacera vers les quelques villes qui auront su conserver un peu de vie. Les gagnants de l’e-commerce sont des acteurs mondiaux qui ne garantissent pas l’emploi et ne paient pas d’impôts. »
Les effets concrets de la crise du coronavirus ? « Le nombre d’employés va diminuer à cause des faillites et des entreprises qui réduisent leurs coûts. Le risque d’inflation sera donc bien réel, avec les conséquences que nous lui connaissons, telles que la hausse des taux d’intérêt et l’augmentation du coût de la vie. Le fossé entre les riches et les pauvres va se creuser, et je pense que les salaires seront plus bas en 2021 en raison de l’augmentation de l’offre. »
« Pour faire démarrer le moteur économique, nous devons nous remettre en marche. Une vaccination massive des groupes de population active redonnerait rapidement une bouffée d’oxygène à l’économie, mais ce scénario me semble peu probable. Ce serait irréalisable sur le plan politique, car cela signifierait que les groupes plus âgés et vulnérables ne seraient pas protégés aussi vite. Donner la priorité à ceux qui contribuent à l’économie ne sera pas à l’ordre du jour. »
« L’absence d’un marché du commerce électronique mature est notre plus grande faiblesse »
2020 a été l’année du commerce électronique, estime Sofie Geeroms de BeCommerce. « Il y a eu beaucoup d’achats en ligne cette année. Plus de consommateurs se sont tournés vers Internet, et les consommateurs y ont trouvé plus de produits. Des articles qu’ils achetaient auparavant dans des magasins physiques, comme des piscines, des barbecues et du mobilier de jardin, ils les ont achetés en ligne. Ce sont principalement les personnes âgées, qui ne pensaient jamais à acheter en ligne, qui ont vraiment découvert le commerce électronique pendant cette crise. »
Mais cette explosion du commerce électronique n’est pas suffisante pour compenser la perte de revenus dans d’autres secteurs. « Le secteur des services en ligne s’est complètement effondré. Les recettes du secteur des voyages et du secteur du divertissement, par exemple, sont à zéro. Aux Pays-Bas, ils compensent cette perte par l’augmentation des revenus sur les produits. En Belgique, ce n’est pas le cas. »
« Cette crise a mis en lumière notre plus grande faiblesse, l’absence d’un marché du commerce électronique mature. La seule raison pour laquelle les gens ont acheté trop peu localement pendant la crise est tout simplement le manque d’acteurs du e-commerce dans notre pays. Le fait de devoir appeler les clients à faire leurs achats localement témoigne de la faiblesse du système. »
« L’idée selon laquelle le commerce électronique nuit aux magasins physiques, et vice versa, est erronée. Ils sont complémentaires et remplissent une fonction différente. Nous faisons du shopping dans les magasins physiques avec des amis ou notre partenaire, ce qui en fait une importante activité sociale. En revanche, nous faisons des achats en ligne seuls, depuis notre canapé ou en déplacement. C’est aussi la raison pour laquelle les détaillants omnicanaux enregistrent un plus grand nombre d’acheteurs physiques le week-end, et plus d’acheteurs en ligne le soir en semaine. »
Afin de mieux résister à une crise similaire à l’avenir, nous devons voir la réalité en face, dit-elle. « Nous ne pouvons plus nous permettre de considérer les plateformes comme des ennemies. Nous ferions mieux de nous en inspirer. Plutôt que de nous plaindre, pourquoi ne pas lancer notre propre Bol.com ou Zalando ? Outre un investissement, cela demande du talent et une perspective à long terme, et nous en avons. Bien sûr, c’est une question de volonté. »
« Tous les grands acteurs se sont lancés dans le commerce électronique il y a 20 ans. La Belgique ne l’a fait qu’en 2014, au plus tôt. Pour réussir aujourd’hui, il faut un bilan, et il est grand temps que nous le comprenions. »