La blockchain renferme des solutions particulièrement intéressantes pour le commerce. Présentant un outil pour le distributeur, elle risque aussi de le conduire à la disparition.
Chaîne transparente : suivez le poulet jusqu’à votre assiette
La blockchain permet de retracer aisément l’origine des produits : les supermarchés français Carrefour usent déjà de cette technologie pour rendre leur chaîne d’approvisionnement de plusieurs catégories de produits totalement transparente. En enregistrant chaque maillon de la chaîne dans une base de données décentralisée, les clients connaissent l’intégralité du parcours suivi par le produit et savent en gros tout sur le poulet qu’ils mangent.
C’est dans cette même optique que les fabricants de produits alimentaires, Dole, Unilever, Nestlé et d’autres s’engagent avec IBM pour rendre les opérations dans la chaîne d’approvisionnement plus efficaces et plus transparentes. En juin 2017, Walmart annonçait que son adhésion au système d’IBM lui permettait de retracer l’origine des mangues en 2,2 jours contre 7 auparavant.
Alibaba aussi investit beaucoup dans la blockchain pour lutter contre la contrefaçon. L’avantage de la blockchain est que ni un maillon ni une personne ne peuvent modifier ou falsifier les données, protégeant le système contre la fraude.
Suppression du supermarché : du producteur au consommateur
La jeune entreprise russe, INS Ecosystem, envisage de supprimer les supermarchés, un intermédiaire jugé trop onéreux entre le producteur et le consommateur. Peter Fedchenkov et Dmitry Zhulin, les fondateurs et créateurs du service de livraison à domicile Instamart, sont persuadés que leur plateforme électronique peut réduire le prix des courses jusqu’à 30 %.
Les géants des PGC, à savoir Unilever, Mars, FrieslandCampina et Reckitt Benckiser, ont déjà conclu des accords de coopération tout comme les fabricants de produits pharmaceutiques et les marques de produits alimentaires et non alimentaires locales. De Durex à Gaviscon, toutes croient en la plateforme électronique décentralisée d’INS. Selon les initiateurs, sept des vingt grands fabricants de PGC dans le monde seraient très intéressés.
Certes, la chaîne courte existe déjà, affirme-t-on chez INS Ecosystem, mais la blockchain favorise plus que jamais son développement. Selon le fondateur, Peter Fedchenkov, le système de données décentralisé permet une relation commerciale sécurisée, efficace et avantageuse entre le producteur et le consommateur, sans l’intervention du supermarché.
À quoi sert la blockchain ? D’après les fondateurs, la blockchain et les smart contracts (contrats intelligents) permettent une nouvelle génération de plateformes. Elles facilitent la transparence dans la chaîne d’approvisionnement et l’édition d’une monnaie virtuelle, l’INS token, offre aux clients un programme de fidélité et de récompense.
Même si les clients règleront leurs courses avec plusieurs monnaies, toutes les campagnes marketing et de fidélité se dérouleront avec l’INS token. Le système est comparable à celui des points ciel des compagnies aériennes, mais grâce aux smart contracts (une programmation qui attribue automatiquement les tokens) dans la blockchain, le programme est plus avancé et son fonctionnement est plus avantageux et personnalisé.
INS prélève une commission de seulement 1 % sur toutes les transactions ; cette faible marge n’est possible que si le système est aussi autonome et avantageux que possible. L’intervention d’INS comme agrégateur doit donc être limitée au maximum, mais la technologie de la blockchain le permet.
Le déploiement se fera en premier lieu à Moscou et à Amsterdam : Moscou comme point d’attache de la crypto-entreprise et Amsterdam où l’accord avec PostNL, service des postes néerlandais, fonctionne comme tierce partie pour la logistique et les livraisons dans le Benelux. INS Ecosystem attache une grande importance à ce « dernier » fournisseur car il réunit littéralement le monde numérique et le monde physique, se situant entre la plateforme et le consommateur.
Amazon investit dans la cryptographie et devient sa propre banque
Pourquoi Amazon n’a pas encore commencé ? Soyez rassuré, l’enseigne l’a certainement déjà lancée. Amazon a réservé plusieurs noms de domaine qui renvoient à des crypto-monnaies, peut-être pour devancer les faux-monnayeurs, mais il se passe sans doute autre chose. La blockchain pourrait rendre l’écosystème d’Amazon plus puissant encore, comme INS Ecosystem.
Une propre crypto-monnaie ou monnaie virtuelle permettrait d’enrayer les problèmes liés aux effets de change au niveau mondial. Les banques ou organismes financiers externes deviendraient inutiles car elle mènerait ses propres recapitalisations la promouvant comme moyen d’investissement. L’objectif de la blockchain est de supprimer l’intervention d’une tierce partie régulatrice ; la création des crypto-monnaies conduit au boycott des banques.
Plus encore, rien n’empêche Amazon d’agir comme banque : plus de la moitié des répondants à une enquête menée parmi les clients d’Amazon (LendEDU 2018) adhéreraient à l’idée d’une monnaie Amazon et presque 45 % ouvriraient un compte chez le géant du commerce électronique. Environ 38 % des clients déclarent avoir autant de confiance en Amazon qu’en une banque et presque 30 % seraient prêts à contracter un prêt.
Cela renforcerait considérablement la puissance d’Amazon car la blockchain ne nécessite plus qu’un service de livraison : Amazon passe ainsi directement du producteur au consommateur et se passe des banques, des supermarchés et des grossistes. Si les rumeurs selon lesquelles Amazon est en train de manœuvrer pour racheter DHL, leader mondial du transport et de la logistique (Doug Stephens 2017) sont justes, le géant du web de Seattle sera aux commandes de la chaîne de A à Z.
Une chaîne continue de A à Z
Avec le temps, Amazon n’aura plus non plus besoin des nombreux commerçants et partenaires, car la blockchain lui permettra de proposer une offre illimitée au consommateur, provenant directement du producteur. Selon les fondateurs d’INS Ecosystem, le gros avantage d’une plateforme de commerce électronique par la blockchain est qu’elle peut fonctionner à partir d’un modèle du tirer.
La suppression des barrières dans la communication entre les consommateurs et les producteurs permet au consommateur d’indiquer lui-même sur la plateforme dont il a besoin. Ce ne sont plus les distributeurs qui définissent l’assortiment ; par la plateforme, le consommateur accède directement à l’intégralité de l’offre des producteurs. C’est possible sur le plan pratique, car cette courte chaîne sans intermédiaire supprime les frais de stockage, mais aussi le temps et les moyens investis dans la chaîne d’approvisionnement.
Les avantages pour les producteurs qui adhèrent sont l’accès aux données directement obtenues du consommateur et pas du distributeur, la réduction des coûts dans le canal de distribution et la suppression de la marge pour le distributeur. De plus, INS fait remarquer que la plateforme de blockchain permet plus de visibilité aux plus petites marques qui peinent à obtenir une place dans les rayons. L’objectif d’Amazon est sans doute de donner une place dominante à ses nombreuses propres marques, permettant d’atteindre directement, sans intermédiaire, le consommateur.
Des millions de magasins à la Amazon dans la blockchain ?
L’idée de créer sa crypto-plateforme n’est pas officielle mais ne fait aucun doute : outre l’émergence de l’INS Ecosystem russe, la mystérieuse crypto-monnaie Bezop fait son apparition. Ce n’est pas un hasard si les entrepreneurs blockchain américains s’appuient sur le nom du fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, pour leur monnaie virtuelle : la blockchain doit leur permettre de créer une place de marché mondiale où tous les commerçants et producteurs proposent leurs marchandises aux consommateurs, mais sans devoir créer une boutique en ligne, sans devoir investir dans un système d’encaissement et de paiement (tout se passe avec une crypto-monnaie) et sans qu’une tierce partie, comme Amazon, Alibaba ou Zalando régule les affaires et s’en va avec les marges et les données.
Bezop se définit comme « un système peer to peer décentralisé pour gérer et traiter les commandes en ligne, basé sur les smart contracts, un service de protection autonome destiné aux acheteurs et aux vendeurs et un simple système d’encaissement de la TVA – au moyen d’un réseau blockchain décentralisé ». L’entreprise a donc naturellement choisi comme slogan « Construis des magasins impressionnants à la Amazon pour des millions d’entreprises ».
Même si Bezop n’en est qu’à ses débuts actuellement et doit régulièrement endosser des critiques de la crypto-communauté, l’idée tient debout. Les géants comme Amazon et Alibaba doivent le comprendre aussi. Si Amazon investit dans la technologie, la blockchain sera logiquement l’étape suivante. Cela pourrait signifier la fin des actuelles plateformes avec les commerçants comme proposants externes. La blockchain sonne-t-elle la fin des plateformes ?