Les retailers ont fait un bon travail de communication sur la réouverture, mais les premiers faux-pas apparaissent. Se livrer à une surenchère aveugle en matière de promotions n’est pas une preuve d’empathie : « Racontez votre histoire et restez cohérents. »
Informer et rassurer
Certains ont fait preuve d’un peu plus d’empathie que d’autres, mais de manière générale, les retailers ont bien géré leur communication sur la réouverture, affirme Myriam Blanpain, l’experte en communication de l’agence AddRetail : « Ils ont compris qu’ils devaient avant tout informer et rassurer leurs clients. Il était bon de les voir remercier leurs clients pour le soutien qu’ils leur ont témoigné pendant le confinement.
C’est ce qu’a fait, entre autres, Planet Perfume : “Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin.” Torfs a préféré “Notre sourire se voit aussi à un mètre et demi”. C’est une bonne manière de renforcer ses relations avec les clients. Colruyt aussi a bien abordé le problème en mettant l’accent sur la relation entre les clients et les vendeurs. »
La chaîne d’électroménager Vanden Borre a opté pour une approche différente : dans une campagne sur les réseaux sociaux, elle a souligné que rien n’avait changé hormis quelques détails comme la distance, les masques, les paiements électroniques… « Un message original à l’heure où le discours majoritaire est que rien ne sera plus jamais comme avant. Mais il s’accorde parfaitement à Vanden Borre : avec son contrat de confiance, ce retailer est avant tout synonyme de stabilité. Vanden Borre est restée fidèle à son ADN. »
Exercice délicat
Mais le véritable défi ne fait que commencer, et il s’agira de faire preuve de prudence : communiquer reste un exercice délicat en cette période étrange et compliquée. Et l’on peut déjà observer les premiers faux pas : « J’ai vu une campagne Torfs sur les médias sociaux qui incitait les clients à revenir rapidement dans les magasins pour profiter de remises immanquables. Mais personne ne va se précipiter dans les magasins ! Au contraire : il est conseillé de ne s’y rendre qu’en cas de besoin, de ne pas y rester trop longtemps, de se désinfecter les mains, de porter un masque… C’est inconciliable avec un message du type : “Venez vite profiter d’une promotion.” Pour le consommateur, ce n’est pas crédible. »
Myriam Blanpain comprend les retailers qui empruntent cette voie, mais à ses yeux, ce n’est pas une bonne idée. « Dans les conditions actuelles, il n’y a aucun sens à investir dans des promotions pour attirer des clients dans les magasins. 90 % des clients que vous allez accueillir aujourd’hui seraient venus de toute façon parce qu’ils ont besoin d’un produit donné. Vous accordez donc des promotions à des clients qui allaient de toute façon acheter chez vous. Les autres ont toujours peur, et une promotion n’y changera rien. Ils ne se sentent pas à l’aise dans un magasin. »
Renforcer le capital de marque
Le trafic reste en deçà du niveau espéré. Mais il n’est pas très agréable de faire du shopping dans le contexte actuel : les clients ne viennent que s’ils ont besoin de quelque chose, pas pour voir ce que vous proposez. Malheureusement, cette situation pourrait encore durer un certain temps. « N’oubliez pas que de nombreux consommateurs sortent d’une période très difficile. On entend parler de burn-out, d’isolement, de violence domestique, de décès… Dans ces conditions, même une remise de 50 % n’a aucun effet. Si vos clients ne sont pas sûrs d’avoir encore un emploi dans quelques semaines, ils y réfléchiront à deux fois avant d’acheter une nouvelle télévision. Je crois beaucoup plus aux promotions en magasin pour augmenter les dépenses des clients qui s’y rendent. »
Mais il reste possible de renforcer son capital de marque tout en maniant l’arme des promotions avec intelligence. « J’en ai vu un bon exemple chez Lidl : au lieu d’offrir une simple promotion sur le poulet, le discounter a misé sur ces moments qui nous ont beaucoup manqué depuis le début de la pandémie : le délicieux vol-au-vent de grand-maman, par exemple, qu’il est maintenant possible de préparer soi-même parce que le poulet est en promotion. C’est malin. Devos Lemmens a également fait du bon travail : pendant le confinement, ils abandonné leur humour traditionnel au profit d’un “Encore tenir bon, et bientôt, on sera de nouveau tous ensemble à table.” Et maintenant, on entend “Enfin la lumière au bout du tunnel. À table.” Ils accompagnent le consommateur, c’est parfaitement conforme à leur ADN. C’est génial. »
Expérience numérique
Pendant le confinement, les retailers ont trouvé de nouveaux moyens de renforcer les liens : via le numérique. « Alors que l’expérience physique en magasin est encore limitée, il est possible de faire appel aux canaux numériques pour la prolonger en ligne. Par exemple, en rassurant les acheteurs avant qu’ils viennent au magasin, en les informant sur les produits, en laissant les vendeurs s’exprimer… »
L’enseigne wallonne de chaussures Maniet Luxus a par exemple systématiquement présenté ses vendeurs dans de brèves vidéos sur sa page Facebook, avec des conseils sur la manière de choisir des chaussures à distance. « J’ai trouvé ça malin : normalement, les clients se rendent au magasin pour les conseils des vendeurs, et comme les magasins étaient fermés, ils devaient acheter en ligne. Mais si vous n’y êtes pas habitué, ce n’est pas évident. Ils ont donc laissé leurs vendeurs s’exprimer. C’est ainsi que Maniet Luxus a mis en valeur son positionnement et l’importance du conseil. Et quand les clients reviendront dans les magasins, ils reconnaîtront le vendeur qu’ils ont vu sur Facebook, ce qui renforcera encore le lien. » Di a également donné la parole à ses employés dans une vidéo ludique sur Facebook.
Retour aux racines
Le chiffre d’affaires de l’e-commerce électronique va légèrement diminuer avec la réouverture des magasins, mais il ne fait aucun doute que nous continuerons à acheter davantage en ligne qu’avant le confinement, poursuit Myriam Blanpain. « Il est donc crucial que les retailers soient très attentifs à l’expérience qu’ils proposent dans leurs magasins. Jusqu’à l’apparition du virus, les retailers belges avaient tendance à sous-estimer le numérique. Aujourd’hui, ils ont été contraints d’adopter l’e-commerce. Mais ils détiennent un superpouvoir par rapport aux acteurs 100 % numériques : leurs magasins physiques. Je suis convaincu de l’importance d’un magasin physique en plus du numérique. »
Les librairies devront donner envie aux clients de revenir par exemple en leur donnant la possibilité de rencontrer des auteurs, d’assister à des séances de dédicaces, de participer à des ateliers… Aujourd’hui, il est encore difficile de toucher et d’essayer des vêtements dans les boutiques d’habillement, mais dès que ce sera à nouveau possible, les magasins devront exploiter au maximum cet atout : c’est leur principal avantage par rapport aux acteurs en ligne. « Le livestream shopping est en plein essor, mais cela reste un gadget qui s’adresse surtout aux jeunes, pas aux plus de 40 ans. Le numérique ne peut pas tout remplacer. Mais il peut compléter le magasin physique et faciliter la vie du consommateur. »
Le prix revient au premier plan
Ces dernières semaines, nous avons constaté une attention accrue pour une consommation plus responsable, plus réfléchie. Est-ce une tendance à long terme ? « Mon opinion est que cette tendance va rapidement faiblir parce que les consommateurs se concentrent toujours sur leur plus gros problème du moment. Jusqu’à il y a quatre mois, le climat était la priorité. Il y a deux mois, c’est devenu la santé. Et d’ici quelques mois, dans un contexte économique difficile, le pouvoir d’achat reviendra au premier plan. Il s’agira avant tout de pouvoir donner à manger aux enfants. La solidarité et le local seront alors relégués au second plan, même si les consommateurs sont pleins de bonnes intentions. Une partie de la population restera engagée, mais les moins bien lotis se tourneront vers les discounters. »
Le prix fera ainsi son retour au premier plan. Mais cela ne signifie pas qu’un retailer devra par définition axer sa communication sur cet aspect. Si ce n’est pas dans votre ADN, inutile d’insister. Il faut avant tout rester cohérent : « Comparez AS Adventure et Decathlon, par exemple. La mission de Decathlon est de mettre le sport à la portée de tous, tandis qu’AS Adventure s’adresse aux passionnés de plein air. AS Adventure ne va pas communiquer excessivement sur le prix, cela n’aurait aucun sens. Ils doivent partager leur passion, et ils le font bien. Sans quoi ils vont perdre leur clientèle qui conserve un certain pouvoir d’achat. Les amateurs de voyage en sac à dos devront peut-être changer de destination, mais ils continueront à voyager en sac à dos, si nécessaire en Belgique. » Pour résumer : restez fidèle à votre ADN, soyez cohérent, faites preuve d’empathie et restaurez votre relation avec le consommateur.