Les géants de la distribution comme Target, McDonald’s, Walmart et Amazon réduisent tous leurs politiques d’inclusion. Les entreprises européennes ressentent elles aussi la pression, mais que doivent-elle faire ? Un avion s’est-il écrasé la semaine dernière (comme l’a insinué Trump) à cause d’une politique de diversité absurde, ou allons-nous justement vers un crash en l’absence de celle-ci ?
L’inclusion est-elle une notion dépassée ?
C’est devenu un thème récurrent dans le discours du président Trump : la DE&I (Diversité, Équité et Inclusion) ne serait pas seulement responsable du déclin moral et économique, mais, selon lui, serait même l’une des raisons pour lesquelles un hélicoptère militaire et un avion de ligne seraient entrés en collision la semaine dernière, causant la mort de 67 personnes.
Ce qui est frappant, c’est à quel point ce discours trouve un écho chez les grands retailers, notamment parce que les influenceurs anti-woke sur les réseaux sociaux appellent au boycott d’entreprises comme Harley-Davidson ou Lowe’s. Les mois passés, McDonald’s, Amazon et Walmart, entre autres, ont déjà reduit leurs programmes de diversité, et Target a suivi leur exemple il y a quelques semaines. Amazon a qualifié ses programmes pour les minorités spécifiques de « dépassés », McDonald’s ne fixe plus d’objectifs de diversité et Walmart a promis d’éliminer progressivement les termes « diversité, équité et inclusion » de ses documents d’entreprise.
Walmart et Target, en particulier, tournent à tout vent, car en 2020 encore, ces géants du commerce de détail avaient embrassé le mouvement Black Lives Matter en réponse aux émeutes qui avaient également pris pour cible leurs magasins. Plutôt que de réagir avec indignation, ils avaient introduit non seulement des initiatives DE&I, mais aussi des fonds de soutien et des programmes communautaires pour lutter contre les inégalités raciales. Mais l’époque a changé. L’année dernière, Target a également renoncé, pour la première fois, à une gamme de produits ou à des activations liées au « pride month« .
Frans Muller : « Pourquoi la DE&I est importante »
Quand il pleut en Amérique, il bruine en Europe. Pour les grandes multinationales actives sur les deux continents, le dilemme est bien réel. Il reste à voir ce que feront des entreprises comme Ahold Delhaize, Aldi, Lidl, H&M et Inditex, surtout comme l’Union européenne les pousse au contraire à assumer davantage de responsabilités sociales et environnementales.
Ahold Delhaize affiche clairement sa position sur son site web avec le titre : « Why DE&I matters ». “Nous savons que la diversité stimule l’innovation et favorise la croissance des entreprises. La diversité est fondamentale à chaque aspect de notre stratégie Leading Together. Elle aide nos marques à mieux servir les clients, à soutenir les communautés et à créer un excellent environnement de travail pour nos employés”, peut-on lire.
« À mesure que notre clientèle devient plus diversifiée, nous croyons qu’une main-d’œuvre diversifiée accroît la satisfaction des clients », affirme aussi Costco. “Un personnel varié contribue notamment à apporter originalité et créativité à notre offre. Il nous aide aussi à mieux comprendre les goûts et préférences de nos membres. Et nous croyons (et les retours de nos membres le montrent) que beaucoup d’entre eux aiment se voir reflétés dans les personnes avec lesquelles ils interagissent. Nous pensons que cela favorise la créativité et l’innovation dans les produits et services que nous offrons.”
Pas un luxe, mais une nécessité économique
La clientèle devient indéniablement plus diversifiée. Nous sommes en pleine transition démographique mondiale, qui redessine profondément la population mondiale, comme nous l’avons déjà écrit dans les livres The Future of Shopping. Le marché du travail devient lui aussi plus diversifié – et plus âgé. C’est pourquoi les retailers se réjouissent des réformes du marché du travail et du système de retraite mises en place par le tout nouveau gouvernement fédéral.
En raison du vieillissement de la population, l’avenir repose entre les mains d’une main-d’œuvre en diminution. Aujourd’hui, seule une petite majorité d’Européens (59 %) est en âge de travailler, et une nouvelle génération peine à prendre la relève. La population active est en déclin depuis dix ans et devrait avoir diminué de 18 % d’ici 2070. Attirer et retenir des talents rares devient donc un défi croissant pour les employeurs.
Dans cette « guerre des talents », il devient essentiel d’embrasser la diversité : alors que la population active diminue, il est crucial que tout le monde puisse travailler. Miser sur la diversité en entreprise n’est donc pas une question de « wokeness », mais bien une nécessité pour trouver un personnel suffisamment qualifié.
Indiscutable ou indispensable ?
Le nombre de travailleurs âgés va augmenter, mais la plupart des employeurs n’ont actuellement aucune stratégie pour y faire face. Il en va de même pour l’intégration des groupes de population encore sous-représentés sur le marché du travail, qu’il s’agisse de personnes peu qualifiées, d’allophones ou de personnes en situation de handicap. En 2019, même en Europe, 12 % de femmes en moins étaient actives sur le marché du travail par rapport aux hommes. Par ailleurs, la jeune génération de travailleurs est de plus en plus internationale : plus de la moitié des diplômés vivent désormais dans des marchés émergents.
Si les entreprises veulent s’assurer d’avoir suffisamment de personnel compétent, elles devront s’adapter à un vivier de travailleurs beaucoup plus diversifié, pour lequel les pratiques RH vieilles de plusieurs décennies et basées sur un modèle « taille unique » ne suffisent plus. Dans une société diversifiée, un lieu de travail inclusif et varié représente d’ailleurs un atout économique : la multiplicité des perspectives apportée par des parcours, des caractéristiques physiques, des expériences de vie et des personnalités variées nourrit la créativité.