C’est plus que jamais le consommateur qui décide de l’orientation prise par le secteur du retail. Les chaînes de magasins doivent se réinventer et remettre leurs concepts en question, selon Jean Baheux et Jonathan Delguste de Cushman & Wakefield.
Nouveaux comportements d’achat
Le marché de l’immobilier commercial a radicalement changé, constatent nos interlocuteurs. « Avant la crise financière de 2008, nous avions affaire à un marché de propriétaires et de promoteurs qui faisaient la loi. Après 2008, les retailers ont pris le contrôle. Mais depuis 2016, suite à l’essor de l’e-commerce et à l’évolution des comportements d’achat, nous sommes en présence d’un marché de consommateurs. Le shopper est aux commandes et les retailers doivent tous se réinventer pour continuer à répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Ceux qui ne le font pas disparaissent ou perdent des parts de marché. Prenez Charles Vögele, MS Mode, Blokker… En conséquence, les propriétaires, promoteurs et agents immobiliers doivent eux aussi se remettre en question. »
L’alimentaire, vecteur d’expérience
Personne n’échappe à ces tendances. Aujourd’hui, même un acteur aussi puissant et réputé intouchable que H&M doit rectifier le tir. L’enseigne annonce des fermetures, va intensifier ses investissements dans l’e-commerce et lance la formule outlet Afound. « Il s’agit en fait de mesures d’optimisation », relativise Jean Baheux. « Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’entreprise crée sa propre concurrence en lançant de nouvelles formules destinées à des groupes cibles spécifiques : COS, & Other Stories, Monki, Weekday, Arket, Nyden… »
Le secteur du détail reste fondamentalement dynamique et accueille quantité de nouveaux protagonistes internationaux, ce qui maintient la demande à un niveau assez élevé. La multiplication des concepts food & beverage est notamment remarquable : Burger King, Five Guys, KFC, Be Burger… Autant d’enseignes qui répondent à la demande croissante d’expérience. « Tous les complexes de magasins devraient en fait miser là-dessus et se profiler en tant que lieux de rencontre. Le commerce pur n’a pas d’avenir. Il faut proposer des services complémentaires. »
De nouveaux acteurs venus de France
Ça se bouscule aussi sur le marché de la chaussure. JD Sports est particulièrement active. Chaussea poursuit son expansion, on a vu l’arrivée de vanHaren et Snipes, de The Athlete’s Foot, le repositionnement de Brantano…
La France est aussi à l’origine d’une vive activité. Kiabi obtient de bons résultats et va ouvrir de nouvelles filiales. Maisons du Monde continue aussi sur sa lancée. Electro Dépot est un intéressant nouveau venu qui ne manque pas d’ambition, tout comme La Foir’Fouille. La marque de mode française IRO s’est installée à Anvers et à Bruxelles, Majestic Filatures a ouvert des boutiques dans la rue Dansaert et sur l’avenue Louise, et Bonton (vêtements pour enfants) s’est elle aussi établie dans la capitale. La marque premium italienne Dsquared2 (du groupe Yoox Net-a-Porter) a quant à elle choisi la Schuttershofstraat à Anvers.
En revanche, Pimkie a fermé quelques magasins, de même que Promod. « Les chaînes opèrent des arbitrages, évaluent leur réseau de magasins d’un œil critique et remettent leurs concepts en question. De nombreux retailers mènent une stratégie de downsizing. Esprit a déménagé de la rue Neuve vers un plus petit espace dans The Mint. À l’autre extrémité du spectre, des enseignes telles que H&M et Zara préfèrent ouvrir un immense flagship store de 3 000 m² que trois magasins de 1 000 m². »
Concepts innovants
« Les retailers se montrent plus prudents, ils font leurs calculs. Ils ne prennent une décision qu’après une analyse approfondie et en concertation avec nous. Nous remplissons de plus en plus une véritable mission de conseil. Nous intégrons davantage de recherche dans nos analyses. Nous connaissons le marché local. Nous savons par exemple que la population de Bruxelles va fortement augmenter ces prochaines années – la ville fait partie des cinq métropoles d’Europe connaissant l’expansion la plus rapide. »
« Nous surveillons aussi les zones commerciales situées en dehors des principales artères commerçantes. La Luxemburgstraat par exemple, où il ne se passait rien il y a vingt ans, accueille aujourd’hui un large éventail de commerces répondant aux besoins des nombreux employés de bureau travaillant dans le quartier. La proximité devient un atout. »
À l’échelle internationale, on assiste à l’émergence de retailers défendant des concepts tout à fait innovants. Le magasin sans caisse Amazon Go en est un excellent exemple. Il est possible que nous voyions à l’avenir davantage de magasins sans caisse, moins spacieux et employant moins de personnel. Zara a ouvert à Londres un concept store numérique où les clients peuvent voir et essayer les vêtements, mais pas les emporter sur place : les achats s’effectuent en ligne, le paiement se fait via Bluetooth, des apps ou une caisse en libre-service, et les commandes sont livrées à domicile le jour même ou peuvent être récupérées dans des casiers.
Climat positif
Que faut-il penser des dernières statistiques de l’inoccupation qui continuent d’augmenter ? « L’inoccupation commerciale est surtout un problème dans les petites villes provinciales, où l’accessibilité n’est pas toujours optimale et les espaces commerciaux trop exigus. Lorsqu’un acteur comme H&M se voit contraint de délocaliser vers la périphérie, il en entraîne d’autres dans son sillage. » Les cellules commerciales restent aussi vacantes plus longtemps dans certaines rues commerçantes en vue : dans la rue Neuve, la Veldstraat ou en Vinâve d’Île. « Le rapport entre l’offre et la demande y est quelque peu déséquilibré. Certains locaux ne répondent plus aux attentes des retailers en termes de superficie ou de bail. Les retailers attendent qu’une correction se produise. »
Que nous réserve 2018 ? « Les tendances majeures devraient se poursuivre. Le climat est positif, mais il ne faut pas non plus céder à l’euphorie. De nouveaux acteurs et concepts vont débarquer en Belgique, entre autres en provenance de France, mais il est trop tôt pour dévoiler des noms concrets. La bonne nouvelle, c’est que City 2 va être rénové en profondeur, avec un nouveau food court, et que le piétonnier bruxellois va être aménagé. Le projet Crystal City, d’une superficie de 2 500 m², va s’installer sur le boulevard Anspach. »
Dans la périphérie, on attend l’ouverture de The Leaf, le projet de Redevco à Ternat regroupant un beau mélange d’enseignes de premier plan sur 27 000 m². « Avec son excellente situation dans une région où l’offre commerciale est insuffisante, c’est le succès assuré. »