Quels ont été les événements, tendances ou développements les plus marquants dans le retail en 2017 et quelles évolutions se poursuivront en 2018 ? Y a-t-il lieu d’être optimiste ? RetailDetail a interrogé 5 experts en retail. Voici leurs prédictions.
« Une excellente année pour les gagnants »
Gino Van Ossel, professeur à la Vlerick Business School : « En 2017 les grands moments du retail ont été la reprise de Whole Foods par Amazon et les investissements des géants chinois Alibaba et JD.com dans des magasins physiques. »
Les tendances marquantes ? « Le retail sera toujours un secteur avec des gagnants et des perdants. Songez à Action versus Blokker, Torfs/Brantano versus Euro Shoe ou encore Inditex versus Cortefiel. Côté online, on constate que les leaders du marché (Amazon. Bol.com, Coolblue, Zalando, …) ne cessent de gagner des parts marché au détriment des challengers. Le discount (Action, Primark, Lidl, …) continue de faire pression sur le segment moyen, avec pour conséquence des marges en baisse. Et les rues exclusives des grandes villes connaissent un taux d’inoccupation minime, alors que les plus petites villes tentent de sauver ce qu’il reste à sauver. »
Quelles évolutions se poursuivront ? « Nous continuons de surestimer l’impact de la technologie à court terme et de le sous-estimer à long terme. Curieux de savoir si d’autres collègues experts prédiront la percée de l’intelligence artificielle. N’en croyez rien : cela viendra, mais pas encore maintenant. Je suis également curieux de voir comment le GDPR interviendra dans la tendance de la personnalisation et comment Google, Amazon, Facebook et Apple tenteront d’échapper aux règles européennes. Amazon ciblera davantage les Pays-Bas et la Flandre, mais cela reste une tentative vacillante parce qu’ils n’opéreront pas entièrement en néerlandais. Et même si en tant que Flamand vous achetez une enceinte Echo, Alexa ne parlera ou ne comprendra pas le néerlandais. Le français par contre est en préparation. »
2018 sera-t-elle une bonne année ? « Le marché dans son ensemble croîtra certainement, mais vu la pression sur les marges, seules les entreprises à potentiel de croissance seront à la fête par un accroissement d’échelle. En d’autres termes : pour les gagnants 2018 sera une excellente année, mais nous devrons à nouveau faire nos adieux à certains perdants. »
« La fin du 1+1 gratuit »
Claude Boffa, professeur en retail à la Solvay Brussels School of Economics and Management : « Je ne vois pas ‘un’ moment déterminant pour le retail en 2017, mais différents événements importants, notamment l’arrivée en Europe de Costco, deuxième retailer au monde ; le rachat de Whole Foods par Amazon ; le premier Black Friday dans le commerce belge ; la quasi-disparition de Blokker ; et la mise sous tutelle de Delhaize. »
Claude Boffa a constaté une tendance préoccupante en 2017 : « Après le 6+1, le 5+1, le 4+1, le 3+1, le 2+1 on en est arrivé au 1+1 gratuit ! Ou pire: 2+2 gratuits dans des domaines où l’on ne stocke pas comme les produits frais ! Ou dans des secteurs qui avaient encore de la valeur perçue, comme le sans gluten, etc. Quel manque d’imagination ! Et quel drame pour les marges … de tout le monde … Et pour l’image de valeur des produits ! Il y a une fin à cette tendance : c’est quand plus personne ne fait de profit ! C’est ce qui va amener certains producteurs à renforcer leur présence sur le net et à vendre en direct au consommateur sans passer par la négociation ‘coup de poing’ annuelle avec les distributeurs justement sur ce genre de conditions d’achat. »
« Une nouvelle tendance qui j’espère va se développer est l’arrivée du produit ‘c’est qui le patron ?’ où le consommateur fixe lui-même le prix raisonnable qu’il est prêt à payer au producteur et au magasin parce qu’il accorde de la valeur au fait que cela soit produit dans le respect du travail de l’artisan et des normes de qualité, de durabilité, d’éthique, … auxquelles il adhère. Je pense aussi qu’on va voir arriver de plus en plus la ‘file unique’ aux caisses et le développement de parties de magasin réservées à du Food Service afin de redonner un peu de plaisir d’être là aux acheteurs. »
Bref : « Je suis optimiste pour 2018 car si moi je ne le suis pas qui le sera? Mais je pense aussi que l’on voit la fin de cette atmosphère de morosité liée à la ‘crise’ dont on commence à se rendre compte que rien ne justifie cette appellation aujourd’hui. »
« Le client aux commandes »
Jean-Pierre Roelands, consultant en retail (ex Colruyt Group): « Pour moi ‘le’ moment du retail de 2017 n’était pas tant la fusion entre Delhaize et Ahold, mais plutôt la disparition de l’avant-dernier vrai retailer belge qui a découlé de ce rapprochement. Les Hollandais prennent les rênes et mettent un Français et un Hollandais aux commandes. Mais le retail c’est du détail et cela reste un business local, n’est-ce pas ? »
« La tendance de 2017 ? Nous avons vu la suite des hostilités entre les concurrents. Stratégique, toujours l’un CONTRE l’autre plutôt que POUR le consommateur. Je considère que cet ancien modèle touche à sa fin et qu’en 2018 le client sera réellement aux commandes. Il faudra faire en sorte que ce client vous choisisse en fonction de ses besoins et valeurs, qui visent plutôt le bien-être. Je pense également que la combinaison ‘bricks & clicks’, l’inline, continueront d’évoluer de manière positive. »
« Finalement je suis plutôt optimiste. Nous vivons dans un monde débordant de nouvelles opportunités et possibilités. Il suffit de voir, plutôt que de se contenter de regarder. D’agir plutôt que de réagir trop tard. »
« Solutionner la stagnation »
Aline Julia, conseillère et professeur en retail : « En ce qui me concerne ‘la’ tendance est que tout stagne. Les villes commerçantes et les retailers en sont en grande partie responsables. Très souvent ils continuent d’opter pour l’accès en voiture, de préférence jusque devant la porte du magasin. Je ne vois pas de réelle volonté de faire du centre-ville une zone sans voitures, où le shopping deviendrait un véritable événement. Lorsque les gens vont à Disneyland, ils trouvent normal qu’il n’y ait pas de voitures et qu’ils doivent marcher une demi-heure du parking jusqu’à la première attraction. Mais maintenant Anvers veut bannir les cyclistes du Meir, comme s’il n’y avait pas d’autres priorités … Ainsi la ville rend son paradis commercial moins attrayant pour le public – et l’on sait que les cyclistes dépensent en général plus. »
N’y a-t-il donc aucune raison d’être optimiste ? « Je m’inquiète surtout du dernier kilomètre dans l’e-commerce. Le trafic ne cesse d’augmenter dans nos villes, les chauffeurs sont sous pression, ils sont souvent sous-payés et stressés. Ce n’est pas une évolution positive, nous devons trouver des solutions. A Paris il y a déjà des quartiers où les livraisons ne peuvent s’effectuer qu’à pied. On pourrait également envisager de regrouper les courses. »
Autre point d’attention pour 2018 selon Aline Julia : les processus parfois rigides auxquels sont confrontés de nombreux retailers, même de grands retailers. « Serait-ce de l’arrogance ? Nous sommes déjà clients chez IKEA depuis 17 ans, mais dernièrement mon mari a dû attendre trois-quarts d’heure à l’accueil pour obtenir de nouveaux filtres pour la hotte. Ce n’est pas agréable. Leur système d’ordinateur est défaillant, leurs processus sont dépassés. Et à quand l’e-commerce chez IKEA Belgique ? J’attends davantage. Dans ce cas, il est normal que le client recherche d’autres alternatives online. Dernièrement l’achat d’un fauteuil chez Sofacompany a été une expérience positive. »
Car Aline aime faire du shopping. « ‘Le’ moment du retail en 2017, je l’ai vécu lorsque par hasard je suis entrée chez Gaest.design à Anvers. Il y avait là une horloge qui correspondait exactement à ce que je cherchais. Comme elle n’était pas en stock, on m’a proposé le modèle d’exposition avec une belle ristourne, batteries comprises. Essayez d’obtenir un modèle d’exposition chez IKEA : impossible ! Voilà du retail physique selon les règles de l’art : un service super aimable, une réponse immédiate, pas de processus rigides, mais une approche axée sur le client. Je suis sortie du magasin endéans les 5 minutes, sans perdre de temps. Cela me fait sauter de joie !
« Opportunités pour les acteurs de niche »
Katelijn Quartier, professeur en retail design à l’Université de Hasselt : « Pour moi ‘le’ moment du retail en 2017 a été l’ouverture de Hudson’s Bay à Amsterdam. Les investissements de ce retailer canadien dans ses magasins physiques sont phénoménaux. Admettons, leur portefeuille de marques n’est pas encore au point, mais leur ambition et leur vision sur le rôle du magasin physique est vraiment inspirante, tout comme leur témoignage à ce sujet lors de Shoptalk Europe. Là aussi l’histoire de Harrod’s a été révélatrice. Ils se détournent des développements en ligne et se concentrent entièrement sur l’expérience en magasin. Certes, leur magasin est emblématique et grâce à leur clientèle ils peuvent se permettre de rester offline. Néanmoins ils parviennent à rendre leur histoire offline passionnante et maintenir la fidélité de leurs clients : un exemple à suivre. »
« En matière de design de magasin et de développement de concept un mot sort du lot : niche. Au plus niche, au mieux, semble-t-il. Songez par exemple au magasin dédié aux ‘granulés’ ou à celui consacré au ‘beurre de cacahuètes’ à Amsterdam ou encore au tutushop : excellez dans une seule chose, telle semble être la clé du succès pour les petits indépendants. A l’opposé il y a le développement des grandes puissances, comme Google et Amazon. Il semble que les grands deviennent encore plus grands et les petits encore plus petits, du moins en termes de portefeuille de produits. »
« L’an dernier j’ai prudemment prédit que le rôle du magasin physique reprendrait de l’importance et c’est effectivement ce qui s’est passé. Je pense que cette tendance se poursuivra en 2018. Il n’y a pas que les grands retailers, comme Hudson’s Bay, qui investissent dans leurs magasins, les petits retailers, les indépendants, eux aussi, mettent tout en œuvre pour ouvrir plus qu’un simple magasin. Même si aujourd’hui l’expression à la mode ‘expérience en magasin’ peut sembler creuse, les retailers continuent de s’y atteler. D’autres termes, comme ‘curated experiences’ ou ‘me-tail’, conviendraient peut-être mieux. Mais quoi qu’il en soit, tout tourne autour du consommateur. Le retailer qui osera entreprendre et être différent, parviendra à fidéliser sa clientèle. »
« Je suis plutôt optimiste. Comme l’indiquaient les actions à la clôture de 2017, l’économie remonte la pente. L’indexation des salaires en témoigne également. Ces petits signaux positifs stimuleront très certainement l’envie des consommateurs à faire du shopping. »