« La logistique est devenue du marketing », observe Heleen Buldeo Rai, chercheuse en logistique urbaine à l’Université Gustave Eiffel. La livraison doit être gratuite et de préférence le jour même, car c’est ce qu’attendent les consommateurs. Mais est-ce vraiment le cas ?
Les consommateurs sont assez flexibles
Lorsqu’il est question d’e-commerce et de durabilité, le « dernier kilomètre » attire invariablement l’attention. À tort ou à raison ? En effet, la livraison au consommateur reste la partie la plus coûteuse, la plus importante et la plus polluante de la chaîne d’approvisionnement. Telle est la conclusion d’une récente étude menée par Heleen Buldeo Rai, qui travaille comme chercheuse postdoctorale à la chaire Logistics City de l’Université Gustave Eiffel à Paris. Elle a également publié récemment un livre sur l’e-commerce et la durabilité intitulé « Duurzaam online shoppen, praktijkgids voor e-commerce van morgen » (« Les achats en ligne durables, un guide pratique pour l’e-commerce de demain »).
Faire payer la livraison aux consommateurs est, selon les idées reçues, tout simplement inenvisageable, et ceux qui ne proposent pas la « livraison le lendemain » sont désespérément à la traîne. « C’est l’idée qu’on se fait, alors que ce n’est pas forcément ce qu’attend le consommateur. Une norme de marché a été établie et les petits acteurs du commerce électronique, en particulier, ne peuvent guère se permettre de s’en écarter. La logistique est devenue du marketing. »
Cependant, le consommateur n’exige pas une telle rapidité. « Il ressort d’études internationales que les consommateurs sont assez flexibles, surtout lorsque c’est gratuit. Les acheteurs en ligne se soucient du prix, ce facteur reste donc le plus important. » En outre, les consommateurs ont d’autres attentes, qui sont beaucoup moins prises en compte. Par exemple, ils préfèrent attendre leur commande un jour de plus plutôt que de recevoir de très gros paquets ou des colis fractionnés. Buldeo Rai constate également que les consommateurs sont demandeurs d’une livraison le jour de leur choix, par exemple lorsqu’ils sont certains d’être chez eux.
Les places de marché mondiales polluent davantage
Alors, comment faire des choix plus durables sur ce dernier kilomètre ? En tant que détaillant, il existe plusieurs façons de convaincre les consommateurs. La première est d’ordre financier : livraison et retour gratuits pour les clients qui peuvent attendre plus longtemps ou une réduction sur la livraison durable. Mais il existe aussi d’autres options très intéressantes, trop peu mises en pratique selon Buldeo Rai. Par exemple, le supermarché en ligne britannique Ocado indique l’efficacité écologique des créneaux horaires au moyen de différentes couleurs. De même, indiquer la différence en émissions de CO2 entre les différentes options de livraison, ou même simplement indiquer quelle est l’option la plus écologique avec une feuille verte, par exemple, est réellement efficace. « Engagez le dialogue avec les consommateurs, la communication fait vraiment la différence. »
Cependant, la phase en amont des grandes plateformes mondiales telles qu’Amazon et AliExpress est également bien plus polluante que le commerce physique local. L’empreinte de ces grandes plateformes est très différente de celle, par exemple, des commandes en ligne d’un détaillant comme Schoenen Torfs, qui dispose d’un seul centre de stockage et d’expédition. L’argument selon lequel les plateformes éliminent les intermédiaires est donc un argument économique plutôt qu’écologique.
« Chez AliExpress, les colis sont envoyés dans le monde entier depuis la Chine. Heureusement, pas toujours par avion, mais les plateformes B2C se sentent contraintes de faire parvenir les commandes aux consommateurs le plus rapidement possible, ce qui pousse à l’utilisation de moyens de transport polluants », explique Buldeo Rai. Les stocks des magasins physiques proviennent également d’Extrême-Orient, bien sûr, mais la différence avec les expéditions B2B réside dans le regroupement. « Il y a moins d’emballages, l’espace de transport dans les bateaux ou les trains est optimisé et le transport est plus efficace. »
Retour au magasin
Si aller retirer son colis au magasin est réellement une meilleure option que la livraison à domicile ? Il est encore trop tôt pour y répondre. Toutefois, les premiers résultats suggèrent une différence : lorsque les consommateurs se rendent dans un magasin pour retirer une commande, leurs déplacements sont quelque peu plus réfléchis que lorsqu’ils font des achats pour le plaisir. Ils choisissent plutôt le lieu et l’heure de retrait en fonction de leur itinéraire habituel, par exemple lorsqu’ils se rendent au travail.
Le magasin physique est particulièrement important pour les retours. « Les retours doivent surtout être reproposés à la vente le plus rapidement possible. C’est l’avantage du ‘click&collect inversé’ : les magasins de vêtements peuvent directement remettre en rayon les articles rapportés. L’expédition de retour doit être au moins aussi efficace que l’expédition de livraison, et c’est loin d’être le cas. »
Et avoir le moins de retours possible est important, bien entendu. « Les retours polluent deux fois. La marge de manœuvre pour faire en sorte que les consommateurs passent moins de mauvaises commandes est encore large, qu’il s’agisse de fournir davantage d’informations sur la personnalisation ou de l’exploitation de la réalité artificielle et ajoutée. Je connais même un détaillant omnicanal belge qui appelle les clients lorsqu’ils mettent beaucoup de vêtements de différentes tailles dans leur panier, pour leur demander s’ils ont besoin d’aide. Mais il ne faut pas nier l’évidence : la première étape consiste à faire évoluer le comportement des consommateurs. Trop souvent, ils commandent en sachant pertinemment qu’ils retourneront les articles. C’est un comportement qu’il faut décourager. »
Les détaillants alimentaires montrent la voie
Quelques bons exemples qui montrent la voie ? Le commerce de détail alimentaire semble être le meilleur élève, constate Buldeo Rai. Ces acteurs prennent souvent leur logistique en main. Par exemple, le fournisseur belge de boxes repas Foodbag s’appuie sur ses Foodwheels, ce qui lui permet de communiquer de façon claire avec les clients. « Bien présenté, les consommateurs comprennent l’argument de la durabilité. Mais la qualité du service doit toujours être à la hauteur, bien entendu. Les consommateurs veulent un équilibre entre le service et l’écologie ; l’un ne doit pas prendre le pas sur l’autre. »
Le supermarché en ligne hollandais Picnic se distingue également. Toutes les livraisons sont effectuées par des véhicules électriques, tandis que la formule s’efforce de planifier les itinéraires les plus efficaces possibles ; et elle le communique très bien aux consommateurs. En outre, Picnic exploite de plus en plus la capacité de transport libérée vers la fin des trajets en prenant également en charge les retours.
Même des mesures relativement modestes, comme le chargement optimal des camions et les emballages réutilisables testés par RePack, peuvent faire une grande différence. En d’autres termes, les possibilités de rendre le commerce électronique plus durable sont nombreuses.