Les nouvelles générations de consommateurs ont des habitudes de shopping radicalement différentes de celles de leurs parents. Les retailers se retrouvent donc contraints de se réinventer en profondeur. Mais il n’y a pas lieu d’être intimidé : la situation recèle aussi beaucoup de potentiel. « À moins que vous pensiez qu’Amazon offre une expérience en tous points satisfaisante ? »
« Évoluer tout en faisant tourner le business »
« J’aurais en fait bien voulu prendre un congé sabbatique. Malheureusement, dans notre secteur, une absence de six mois suffit à prendre un retard impossible à rattraper. Le retail est en effet le secteur le plus innovant qui soit. Ça a d’ailleurs toujours été le cas. Je me suis donc contentée d’acheter un bateau », plaisante Gwen Morrison. En tant que CEO de The Store, le retailhub de WPP, la plus grande agence publicitaire mondiale, elle parcourt le monde pour rester en prise avec les attentes volatiles du consommateur. Elle a notamment fait escale à Gand cet été. Autant dire que RetailDetail a sauté sur l’occasion !
« Nous avons assisté à une véritable révolution ces dix dernières années », raconte-t-elle. « En 2006, Microsoft, General Electric et Coca-Cola caracolaient encore en tête du classement des marques mondiales les plus valorisées. Aujourd’hui, le trio gagnant se compose d’Amazon, Apple et Google. Des marques comme Coca-Cola, Walmart, Marlboro ou Toyota ne font même plus partie du top 10. À leur place, on trouve Facebook, Alibaba et Tencent. Les vidéothèques ont disparu et tout le monde regarde Netflix. Autrefois, il existait une distinction claire entre les value formats ou concepts retail axés sur les prix d’une part, et les concepts misant sur l’expérience d’autre part. De nos jours, l’expérience a sa place dans tous les concepts, y compris chez Aldi et Lidl. Les attentes sont plus élevées et tout le monde doit saupoudrer ses concepts d’une pincée de rock’n’roll. »
On peut véritablement parler d’une fracture, insiste Morrison : « Les jeunes générations ne se comporteront jamais comme les baby-boomers en vieillissant. Les retailers doivent en être bien conscients. Les baby-boomers représentent peut-être encore aujourd’hui un important groupe cible, mais cela ne durera pas : ils perdront à assez court terme leur statut de consommateur. Les retailers font actuellement face à la nécessité de maintenir leur rentabilité semaine après semaine tout en se préparant à un avenir radicalement différent. ‘Changing while you’re still open’, tel est le grand défi. »
« Pas une question de technologie »
Comment changer de business model quand on est un retailer traditionnel ? Ce n’est pas impossible, estime notre interlocutrice. « Songez aux choix faits par Olaf Koch chez Metro : un positionnement stratégique clair sur le marché du food service impliquant l’abandon des formats non rentables. Ces années de restructuration sont douloureuses mais vous en ressortez transformé. Ce n’est pas une question de technologie. Sur les nombreuses innovations lancées dans le fameux ‘Store of the Future’ inauguré par Metro en 2003, pratiquement aucune n’a survécu à l’épreuve du temps. Nous vivons aujourd’hui dans des maisons intelligentes. Personne n’aurait pu prédire une telle évolution à l’époque. »
Elle répond ainsi du même coup à la question de savoir quelle innovation aura le plus gros impact sur le secteur du retail : « L’intelligence artificielle reliera l’employé de magasin, le magasin, le domicile et la ville. Les maisons et le retail intelligents vont conjointement donner naissance à des ‘smart cities’ où tout sera interconnecté. » Il en découle une nouvelle réalité du retail où les courses routinières seront en grande partie automatisées, et où les employés de magasin rempliront le rôle d’assistants de shopping à part entière. « Le rôle des êtres humains gagnera en importance à mesure que l’automatisation prend de l’ampleur. Depuis l’introduction des bornes de commande chez McDonald’s, il n’y a plus de longues files au comptoir et les employés ont le temps de saluer aimablement les clients. Tout le monde est content ! La technologie contribue à renforcer le rôle du personnel de magasin. Elle ne détruit pas d’emploi mais redonne au contraire plus de responsabilités aux individus. »
« Éliminer les frictions »
Gwen Morrison admet qu’elle était initialement très sceptique à l’égard des magasins sans personnel. Aujourd’hui, elle est pourtant bien obligée d’admettre qu’Amazon Go répond effectivement à un besoin chez les consommateurs. « Le concept cadre parfaitement avec le rythme trépidant de la vie urbaine. Les gens passent en coup de vent pour acheter leur lunch ou un snack par exemple. La formule séduit autant les clients que les employés. »
L’idée centrale est toujours de supprimer un maximum d’obstacles au cours du processus de shopping. Autrement dit, d’éliminer les frictions. « Voyez ce qui s’est passé en Chine. Ce pays a obligé des milliers de gens à déménager pour venir travailler dans des usines, dans des contrées dépourvues d’infrastructure retail. L’e-commerce est donc devenu essentiel pour combler leurs besoins. Alibaba a flairé le filon et a créé une solution répondant aux attentes du consommateur. »
Un exemple quelque peu extrême est celui du distributeur automatique de voitures de Ford et Alibaba, à Guangzhou. « Les concessionnaires automobiles reçoivent le plus de clients après les heures de bureau. Or, ces clients n’ont pas envie d’être dérangés par les vendeurs, mais ils veulent réserver un tour d’essai. Il leur suffit désormais de s’inscrire en ligne, de choisir un modèle et de le tester sur la route… »
« Les Jeux Olympiques des marques »
La Chine est incontestablement à l’avant-garde de la révolution retail. Le Single’s Day est aujourd’hui un événement interactif de portée mondiale, qui ne tourne pas seulement autour des réductions mais aussi des lancements de produits et du divertissement. « Il s’agit des Jeux Olympiques des marques à l’ère du numérique ! C’est en Chine que Starbucks a développé ses spectaculaires flagship stores Starbucks Reserve Roastery avant qu’ils débarquent en Occident. »
Y a-t-il d’autres leçons à tirer de l’exemple chinois ? « Les citoyens du monde entier vouent une véritable fascination aux réseaux sociaux. Tout le monde se promène avec un smartphone au creux de la main et partage allègrement stories et selfies. Les marques gagnantes seront celles qui parviendront à concilier commerce et contenu. Les réseaux sociaux se muent en instrument d’étude de marché. Ils permettent de recevoir du feedback en temps réel : les gens sont-ils enthousiastes à propos de votre produit ? Le shopping social devient réalité : tout peut désormais s’acheter. Votre marque est-elle prête pour ça ? Si la réponse est non, vous allez devoir investir. » Elle fait référence au Virtual Artist de Sephora, une app qui permet aux shoppeuses de tester virtuellement du maquillage. Ou encore au chatbot intelligent de Lego, à l’emploi de la réalité augmentée dans les magasins Adidas ou aux boutiques éphémères Google Hardware Store, qui n’ont rien à voir avec les magasins de technologie classiques, mais présentent les appareils dans un cadre chaleureux.
« Un service exubérant »
Nous avons demandé à Gwen Morrison de nous donner quelques exemples inspirants de retailers en phase avec leur temps. « J’admire la manière dont le retailer en électronique Best Buy a réussi à se réinventer. Il était pratiquement mort et enterré. C’était écoper ou couler. Il doit son salut aux collaborations nouées avec de grandes marques technologiques disposant des moyens d’investir. Apple, Samsung et d’autres ont loué l’espace de magasin pour présenter leurs produits. L’enseigne a trouvé un nouveau modèle de revenus. Comparé à elle, il me semble que MediaMarkt n’a pas une stratégie aussi aboutie en Europe. »
L’incontournable Zappos ne pouvait pas non plus manquer à l’appel. L’entreprise a été rachetée par Amazon, mais a conservé sa culture particulière. « Zappos offre vraiment un service clientèle exubérant. Vous pouvez les appeler, vous vous rendez compte ! Il y a des gens qui téléphonent rien que pour entendre la blague du jour… Amazon ne tient pas du tout à recevoir vos appels, pas plus que nombre d’autres retailers. »
Enfin, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les comportements de consommation n’ont pas changé à cause d’Amazon, mais bien d’une redistribution des dépenses : les gens consacrent aujourd’hui plus d’argent aux services, au divertissement et à une économie de partage en plein essor. « Amazon est d’ailleurs loin d’avoir tout bon. Elle n’offre absolument pas la meilleure expérience de shopping. Les résultats de recherche dans le webshop d’Amazon fournissent souvent des informations erronées ou non pertinentes. Cela montre à quel point l’entreprise est toujours dépendante des revenus publicitaires. Il y a là des opportunités à saisir. » Un dernier conseil ? « Cherchez l’inspiration en dehors de votre secteur plutôt que chez vos concurrents. Entreprenez des actions à forte valeur conversationnelle. Faites en sorte de rendre les gens heureux. Cela ne doit pas coûter des fortunes. »
À propos de The Store
The Store est la branche retail internationale de WPP, la plus grande agence publicitaire au monde. Depuis les bureaux de Londres et de Chicago, l’entreprise partage connaissances et meilleures pratiques du secteur retail afin d’améliorer l’expertise du groupe en la matière et d’aider les clients à réussir sur un marché en profonde évolution. Le hub de connaissances rassemble des insights à propos des consommateurs, du commerce de détail, des marques, de la technologie et du shopper marketing. The Store partage ces connaissances avec un large public au sein de WPP et en dehors sous la forme de conférences, d’articles, de webinaires, de cours dans les universités et de publications numériques. Gwen Morrison est CEO pour les deux Amériques depuis 2002.
Experts en communication instore
Gwen Morrison était à Gand en tant qu’invitée à la 52e conférence annuelle de Global Instore Communication, un réseau international d’experts dans le domaine de la communication instore. L’organisation compte des membres dans 17 pays. Ceux-ci échangent des idées et des expériences afin d’aider les marques à déployer des campagnes de communication internationales dans les points de vente. La conférence, qui s’est tenue à Gand, était organisée par le membre belge, Mojo Retail Designers.