L’année 2024, qui a commencé avec des protestations agricoles et des troubles en mer Rouge, fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour bon nombre de détaillants. Pourtant, bien d’autres ont réussi à faire un retour en force grâce à l’intelligence artificielle ou à une approche plus écoresponsable. Voici les cinq grandes tendances du retail de 2024.
1. Le vent souffle de l’Est
Lorsque le stratège en retail Gino Van Ossel a déclaré que « le commerce électronique a perdu ses poils follets », il semblait que l’époque des grandes surprises était terminée. Mais la réalité de 2024 a prouvé le contraire : l’arrivée de nouveaux acteurs puissants venus d’Asie, comme Temu, a bouleversé le marché.
Malgré les controverses, leur impact est indéniable. Temu a marqué l’actualité de l’année, souvent dans un contexte de tentatives pour freiner sa progression. L’expansion a même suscité des réactions politiques, comme en France où des amendes sévères sont envisagées pour les entreprises de fast fashion, tandis que l’Union européenne a lancé plusieurs enquêtes pour créer un terrain de jeu plus équitable.
Malgré les efforts, tous — de Bol aux petits commerçants locaux comme Akiba, aujourd’hui disparu — ont ressenti la concurrence chinoise. Non seulement Temu, mais aussi AliExpress et surtout Shein, ont réalisé des succès notables. Ce dernier a bénéficié de Temu comme paratonnerre et a fidélisé une clientèle parmi la génération Z, la nouvelle cible privilégiée des marques et des détaillants.
« Sur TikTok, nous atteignons les jeunes que les retailers ont perdus », affirment les fondateurs de Promojagers. Des initiatives surprenantes, comme celles de Standaard Boekhandel, ont réussi à séduire cette génération, alors que Zalando et Amazon ont tenté avec ardeur des formats d’achat sur les réseaux sociaux. Parallèlement, la tendance des « kidults » a boosté l’industrie du jouet avec des produits nostalgiques offrant du réconfort en ces temps incertains.
2. Intelligence artificielle ou naturelle ?
Quel détaillant n’a pas mentionné l’intelligence artificielle en 2024 ? Même ChatGPT n’en trouve pas. D’Ikea avec son décorateur virtuel à la chaîne belge e5 qui cherche à réguler la surabondance de l’offre de mode, l’IA s’est imposée sous de nombreuses formes.
Cependant, la technologie a connu des hauts et des bas. Alors que certains se montraient optimistes, d’autres ont éprouvé des déceptions. Jumbo, par exemple, est passée de projets ambitieux pour lutter contre le vol en magasin à « préférer le contrôle humain et le contact visuel ». Malgré son potentiel, l’IA a parfois montré ses limites. Tandis qu’Uniqlo vantait les bienfaits de l’IA, Kruidvat et Coolblue ont reçu des amendes pour avoir abusé des données. Les cyberattaques ont aussi mis en lumière les vulnérabilités technologiques de nombreux détaillants.
Même les magasins sans caisses, autrefois si prometteurs, sont tombés de leur piédestal cette année. Chez Amazon, la technologie autonome Just Walk Out semblait encore reposer principalement sur les épaules de travailleurs informatiques indiens – eux-mêmes peu autonomes. Bien que cette lacune aurait été comblée depuis, Amazon réduit progressivement ses magasins de proximité Go et ses supermarchés réservés aux commandes à emporter. Le géant du commerce électronique a dû se concentrer sur une contre-offensive de Temu, sous la forme du site marchand chinois Amazon Haul.
3. Le retail de la mode s’effondre
2024 a été une mauvaise année pour le secteur de la mode : Esprit, Terre Bleue, entre autres, ont disparu, et H&M et Nike ont procédé a des réorganisations. Patagonia a même licencié du personnel, ce que la marque durable s’était juré d’éviter à tout prix. Les montagnes de dettes accumulées pendant la période Covid se sont écroulées, les consommateurs ont gardé la main sur les cordons de la bourse et la hausse des coûts a finalement tué des petites chaînes.
Il s’est avéré que la majorité des détaillants belges du secteur de la mode avaient des difficultés de trésorerie. Seul un quart des boutiques multimarques indépendantes sont encore rentables. Planifier les soldes un peu plus tard est-il la solution miracle ? Ou y a-t-il autre chose, puisque même le marché du luxe s’effondre comme un flan ? Macy’s a fermé 150 grands magasins, Galeria, Selfridges et Inno ont heureusement trouvé de nouveaux investisseurs à temps, même si Hans Eysink Smeets a prévenu que « les grands magasins arrivent à la fin de leur cycle de vie ».
La chaîne de magasins de chaussures Sacha a fait ses adieux à tous ses magasins. The Body Shop et Ted Baker n’envisagent eux aussi un avenir que s’ils doivent supporter eux-mêmes le moins de coûts possible : par le biais du commerce de gros, des magasins intégrés et des franchises, en d’autres termes. Est-ce la fin du magasin phare ? La fin tant redoutée du commerce de détail physique est-elle en vue ? Quoi qu’il en soit, 2024 a creusé de nouveaux cratères dans les rues commerçantes. Et pas seulement dans le secteur de la mode : en 20 ans, le nombre de kiosques à journaux a diminué de trois quarts en Belgique.
Fait remarquable, 2024 a également été l’occasion d’investir massivement dans de nouveaux concepts de magasins et dans le design des commerces de détail. Contrairement aux démissionnaires, un certain nombre de détaillants ont heureusement appuyé sur l’accélérateur. Coolblue et Juttu se sont implantés en Wallonie, ZEB en France. C&A a ouvert de plus petits magasins dans les villes, Kiabi et Decathlon ont opté pour un atelier de réparation, Mango cherche son salut auprès des adolescents et Decathlon a commencé à réorganiser tous ses magasins ; en fait, toutes sortes de choses ont été essayées. Nous devons « repenser le modèle du retail », a résumé à juste titre A.S. Adventure.
4. Durabilité de la seconde main
A.S. Adventure a ouvert un « centre d’entretien et de réparation » pour « créer de la valeur à long terme ». Des initiatives de seconde main aux modèles commerciaux circulaires, les grands noms comme les plus petits acteurs misent sur la valeur à long terme et l’innovation respectueuse de l’environnement en 2024. Tout le monde surveillant les coûts, ce n’était pas l’année des grandes déclarations ou des promesses spectaculaires, mais plutôt l’année des mesures réalistes et pertinentes en matière de durabilité.
Il le faut, puisque près de la moitié des Belges achètent déjà des produits d’occasion. Les plateformes de vente de seconde main jouent un rôle crucial à cet égard : elles devraient croître cinq fois plus vite que l’ensemble du marché du retail en 2025. En effet, pratiquement tous les retailers dignes de ce nom se lancent aujourd’hui dans la vente d’articles d’occasion.
Outre les initiatives des entreprises, la réglementation joue un rôle important : le fait que la durabilité soit un investissement stratégique est en train de s’imposer. Bien qu’édulcorée, la loi européenne sur le devoir de diligence a finalement vu le jour : les entreprises seront bientôt obligées d’assumer la responsabilité de l’ensemble du cycle de vie de leurs produits.
Les entreprises de mode belges ne sont pas en reste. Entre autres, la société mère de JBC, CRG, et A.S. Adventure ont lancé leurs propres initiatives pour réduire les déchets et promouvoir des pratiques de mode plus réfléchies, tandis que sept acteurs majeurs se sont engagés à rendre la chaîne d’approvisionnement plus durable, à la suite d’une visite au Ghana qui a donné lieu à des confrontations. Ils promettent une « gestion responsable et transparente de la chaîne d’approvisionnement », tant au niveau de la production que du service après-vente.
5. L’année des « comeback kids »
Pour un nombre de retailers, 2024 a été, malgré tout, « la meilleure année jamais enregistrée ». La marque danoise Søstrene Grene a enregistré un chiffre d’affaires record, tout comme le géant de la mode Inditex et la chaîne de magasins à prix cassés Takko. Il est certain que les formats discount ont continué à bien se porter : d’Action à Primark en passant par Wibra, les consommateurs aiment les bonnes affaires. Les Belges sont encore plus friands de bonnes affaires que les Néerlandais, savent-ils chez Kruidvat.
L’année écoulée a également marqué une période de redressement pour de nombreuses entreprises. Colruyt a procédé à un grand nettoyage de sa gamme non alimentaire, tandis qu’Adidas a profité du ralentissement de Nike pour gagner des parts de marché. Hema s’est enfin sentie « à nouveau vraiment Hema » et a doublé ses bénéfices, et Blokker a même vécu un véritable miracle de Noël.
Zalando, Orchestra-Prémaman et Abercrombie & Fitch, entre autres, ont également fait leur retour. 2024 a montré que l’innovation et l’adaptabilité fonctionnent : Ikea a continué à lancer de nouveaux concepts, tandis que ToyChamp s’est imposé sur un marché du jouet en difficulté. Les contrastes sont notables : alors que Casa est en difficulté, JYSK bat à nouveau des records ; alors que Krëfel décide de quitter les cuisines, les concurrents s’installent en Espagne.
MediaMarkt a ouvert le plus grand magasin électroménager d’Europe à Hambourg, équipé de sept zones d’expérience. Cette approche souligne l’importance des magasins physiques en tant que destination pour l’interaction et l’inspiration, même dans un monde de plus en plus numérisé. Que ce soit en termes de ventes record, de pertinence renouvelée ou de projets innovants, on se souviendra de 2024 comme d’une année où les « comeback kids » ont pris le devant de la scène et ont réussi à inspirer une fois de plus le monde du retail.