Pourquoi Mexx et tant d’autres ont-ils fait faillite, quelle mouche a piqué Amazon et quel avenir pour les petits commerçants ? Jorg Snoeck et Pauline Neerman de RetailDetail nous expliquent tout cela dans leur premier ouvrage, disponible dès maintenant en français !
Facteurs de changement
Les auteurs se penchent sur toutes les grandes questions qui préoccupent le secteur, de la manière dont les marques peuvent séduire le Nouveau Consommateur à l’avenir de la viande d’élevage au supermarché. Le livre a été élu ‘Management Book of the Year’ aux Pays-Bas !
Les lecteurs vous connaissent bien entendu à travers RetailDetail Magazine, les sites Web d’actualité, la newsletter Food et les nombreux événements que vous organisez. Pourquoi à présent écrire un livre ?
J.S. : « Pour nourrir le cerveau collectif du secteur incroyablement passionnant qu’est le retail et le FMCG, comme pour tout ce que fait RetailDetail d’ailleurs. C’est notre mission, notre raison d’être. Nous voulons informer les gens afin d’éviter que des magasins doivent fermer leurs portes, que des gens perdent leur emploi et que des indépendants doivent renoncer à l’œuvre de toute une vie, mais aussi pour donner envie aux entrepreneurs de se lancer dans ce secteur. Les choses évoluent tellement vite dans le retail et le FMCG – et dans d’autres branches aussi d’ailleurs – qu’il nous a semblé grand temps de proposer une synthèse claire et complète de ce qui se passe dans le secteur. »
P.N. : « Dans ce livre, nous nous intéressons aux principaux facteurs de changement et à leurs conséquences. Où se situent les opportunités ? Comment les entreprises peuvent-elles réagir à ces changements afin de faire face à l’avenir ? Grâce aux contributions des meilleurs journalistes et connaisseurs du secteur, le livre constitue un ouvrage de référence pratique couvrant tous les thèmes que nous abordons quotidiennement chez RetailDetail : il forme un cadre qui permet de mieux comprendre les phénomènes à l’œuvre dans le secteur, des faillites à l’éclatant succès des marques de distributeurs. Les entreprises et les professionnels sont ainsi mieux armés pour livrer bataille. »
Vous dites que les commerçants doivent s’armer pour la bataille. De quelle bataille s’agit-il exactement ?
P.N. : « La bataille fait rage sur plusieurs fronts. Il est de bon ton de tout mettre sur le dos de l’e-commerce, et plus précisément d’Amazon ou de Bol.com, mais c’est trop simpliste. C’est quelque chose que nous tenons aussi à souligner dans notre livre : on observe d’énormes changements dans le comportement d’achat des consommateurs, mais aussi dans leur mode de vie et leurs attentes… »
J.S. : « Internet joue un rôle facilitateur et a accéléré le changement, mais l’ampleur du soi-disant ‘problème’ dépasse de loin la seule menace posée par des acteurs comme Amazon. La quatrième révolution industrielle est en marche ! »
Quel est impact de cette quatrième révolution industrielle sur le retail ?
J.S. : « Dans l’univers du retail et du FMCG, ce sont surtout l’assertivité du consommateur, les technologies de rupture et les nouveaux modèles d’affaires qui ont le plus d’impact. Ils résultent de changements que nous observons tout autour de nous : les êtres humains, la technologie et la planète sont tous interconnectés et les changements survenant partout dans le monde se renforcent mutuellement. »
P.N. : « Le point essentiel à retenir est en effet que nous vivons dans un monde totalement connecté. Le marché actuel est mondialisé. Cela signifie que l’agitation politique au Moyen-Orient a autant d’impact chez nous que l’essor de la classe moyenne en Chine. Sur le plan humain, cela se traduit par une intensification des flux migratoires et donc une diversification des consommateurs, mais aussi par une pénurie de matières premières dans la mesure où les pays en développement font augmenter la demande de tous types de produits, du charbon aux mandarines. »
J.S. : « Un autre facteur est le vieillissement de la population en Occident : le consommateur de demain sera majoritairement âgé. Les innovations technologiques jouent ici aussi un rôle : nous vivons plus longtemps grâce aux avancées de la médecine. La technologie modifie bien entendu aussi de manière plus directe la manière dont nous faisons nos achats : n’importe quel support peut se transformer en magasin, à commencer par notre smartphone qui ne nous quitte jamais, jusqu’aux mondes en réalité virtuelle et aux assistants virtuels qui font les courses à notre place. »
Une écononomie de plate-forme
Assistants et mondes virtuels… On se croirait dans un film de science-fiction. L’avenir du commerce sera-t-il à ce point high-tech et futuriste ?
P.N. : « Il est loin d’être aussi futuriste que cela. Nous avons désormais pratiquement tous un assistant virtuel en poche. L’assistant vocal d’Apple se nomme Siri, celui d’Amazon Alexa. Les propriétaires d’une enceinte Amazon Echo trouvent absolument normal de demander à Alexa de leur jouer de la musique. Ces assistants se trouvent déjà dans votre téléphone ou dans votre salon, et nous pensons que leur emploi et leur champ d’application vont encore s’étendre à l’avenir, y compris dans le retail. »
J.S. : « Demandez à Amazon Echo de vous commander un article – chez Amazon évidemment – et il se fera un plaisir de vous obéir. Aujourd’hui, il faut encore formuler la demande mais, dans un avenir proche, Amazon s’en chargera pour vous, avant même que vous vous en rendiez compte : grâce à toutes les informations client recueillies par Amazon et aux appareils ménagers connectés à Internet, on vous livrera du produit de lessive avant même que vous constatiez qu’il ne vous en reste presque plus.
Le prophète américain du retail Doug Stephens prédit que 40 % des achats s’effectueront à l’avenir de machine à machine. Votre machine à café pourra par exemple commander de nouvelles capsules et votre frigo se réapprovisionner en yaourts frais une fois la date de péremption de vos réserves dépassée. Le chercheur Scott Galloway va même plus loin : d’après lui, Amazon envisagerait de livrer automatiquement une sélection de produits dont vous pourriez avoir besoin avec une boîte dans laquelle retourner les articles qui ne conviendraient pas. À l’avenir, ce ne sera donc plus vous qui ferez vos achats, mais Amazon ! »
P.N. : « Cela signifie également que les retailers et bon nombre de marques sont mis à l’écart : à partir du moment où l’achat se déroule automatiquement sans intervention du consommateur, on ne peut plus parler de processus de choix et d’achat. Sa pose alors la question de savoir comment encore toucher le consommateur. »
Amazon représente-t-elle la plus grande menace pour le retail tel que nous le connaissons aujourd’hui ?
J.S. : « Amazon est actuellement le concurrent le plus redoutable, mais il n’est pas le seul. Nous nous dirigeons vers une économie de plate-forme, avec les places de marché d’Amazon et d’Alibaba comme principaux acteurs dans le retail. Leur point fort est qu’elles ne doivent pratiquement pas constituer de stocks. Elles collectent toutes sortes d’informations utiles à propos des shoppers et gagnent facilement de l’argent en permettant à des prestataires externes de vendre par l’intermédiaire de leur plate-forme.
Google et Facebook se fraient aussi petit à petit un chemin jusqu’au portefeuille du shopper. Toutes ces entreprises se lancent dans le retail sans être à proprement parler des retailers. Google a son comparateur Google Shopping, Facebook propose sa propre Marketplace, mais leur point fort à tous les deux tient avant tout à leur hégémonie dans tous les domaines.
Le moteur de recherche de Google détient plus de 90 % de part de marché, une force de frappe que l’entreprise monnaie auprès des retailers et des marques sous la forme d’AdWords. Ceux-ci financent ainsi leur propre concurrence, puisque Google utilise ces rentrées d’argent pour imaginer des moyens de les court-circuiter et de servir directement le consommateur.
Amazon multiplie aussi les lancements de marques propres, se posant ainsi en concurrent direct des fabricants FMCG et des commerçants sur leur propre terrain. Il en résulte une concentration du pouvoir aux mains de quelques géants, pendant que les retailers et les marques creusent involontairement leur propre tombe. »
De quelle couleur s’annonce l’avenir des retailers : rose ou rouge sang ?
P.N. : « Rose, sans aucun doute. Nos propos semblent peut-être à première vue de mauvais augure, mais il ne tient en fait qu’aux marques et aux retailers de changer leur fusil d’épaule. Si tout le monde – y compris les principaux acteurs technologiques – se transforme en retailer, que doivent faire les vrais retailers ? Arrêter de raisonner comme des retailers !
Ils doivent se demander comment servir au mieux leurs clients, comment leur faciliter la vie ou la leur rendre plus agréable. Autrement dit, il faut absolument qu’ils s’interrogent sur leur valeur ajoutée. Et à l’avenir, celle-ci ne proviendra plus de la simple vente de produits. Ce rôle de ‘box-mover’ va disparaître puisque toutes les marchandises sont désormais disponibles en ligne. »
J.S. : « Le ‘purchase funnel’ s’est inversé. Par le passé, les entreprises adoptaient une approche top-down : elles développaient des produits et essayaient ensuite de les commercialiser en convainquant un groupe cible de leur nécessité. Aujourd’hui, ce modèle push fait place à un modèle pull. Les consommateurs font eux-mêmes savoir ce dont ils ont besoin : ils décident du rôle que votre marque peut jouer dans leur vie. Ils contribuent aussi volontiers à façonner l’offre en personnalisant ou créant les produits. »
Canal médiatique
Qu’en est-il du magasin physique ?
J.S. : « Il ne fait aucun doute que le magasin physique a encore un bel avenir devant lui, mais dans un autre rôle : le magasin se transforme en canal médiatique ; il devient l’un des éléments du mix de communication des marques et des retailers. Il n’existe en effet pas de meilleure vitrine pour communiquer vos valeurs et votre message que le magasin physique, temple de l’expérience multisensorielle. Le magasin n’est plus le canal de vente par excellence, mais l’un des nombreux points de contact (touchpoints), vecteur idéal d’expérience et de service. »
P.N. : « En tant que canal médiatique, le magasin physique peut aussi être conçu tout à fait autrement. Les magasins doivent supprimer de l’expérience d’achat tout ce qui n’apporte pas une plus-value directe : les shoppers sont soit à la recherche de rapidité et de commodité, soit d’une expérience personnalisée. À chacun de faire un choix, car les propositions intermédiaires n’auront plus leur place à l’avenir. »
Le sous-titre du livre s’intitule ‘Tous ensemble dans le retail’. Que voulez-vous dire ?
P.N. : « N’importe qui peut s’improviser concurrent des retailers. Les marques et les producteurs ouvrent des flagship stores ou des webshops et assument ainsi le rôle de retailer. Même les consommateurs se transforment en commerçants. On recense de plus en plus de plates-formes de partage où les consommateurs vendent directement les uns aux autres, que ce soit les légumes de leur potager ou des biens de deuxième main sur 2ememain.be ou des bijoux faits main sur Etsy. »
J.S. : « S’ajoutent à cela les grandes entreprises technologiques qui exploitent les possibilités de la vente en ligne. La position des commerçants modernes n’a pratiquement plus rien à voir avec celle qu’ils tenaient il y a un siècle… Si elles veulent continuer à rivaliser, les entreprises doivent d’urgence en prendre conscience. »
Nous vivons à l’ère du numérique et vous choisissez de publier un livre… N’est-ce pas un peu paradoxal ? À qui ce livre est-il destiné ?
J.S. : « Il existe bien entendu aussi une version e-book ! (rires) C’est justement parce que nous nous trouvons à l’ère du numérique que le support physique revêt une plus-value, au même titre que les magasins en dur vis-à-vis de l’e-commerce. Ce livre s’adresse à tous ceux qui s’intéressent aux évolutions radicales survenant dans le secteur des biens de consommation. The Future of Shopping souhaite inspirer le lecteur à travers de nombreux exemples concrets. Nous avons aussi compilé la théorie de la manière la plus claire possible afin que chacun puisse, rapidement et simplement, se faire une idée des grandes évolutions en cours.
Nous espérons aussi toucher toutes les personnes passionnées par le retail et le FMCG : le livre est rédigé en termes accessibles, de sorte que les personnes ne possédant pas de connaissances spécifiques en gestion du retail et en marketing puissent s’y retrouver. Mais les managers de niveau C pourront eux aussi découvrir de nouveaux points de vue et innovations intéressants. Bref, c’est le cadeau de Noël idéal pour toute personne concernée par le retail et le FMCG. »
« Le Futur du Shopping : tous ensemble dans le retail » est paru chez la maison d’édition Lannoo Campus en Belgique. Des versions en anglais et en chinois paraîtront plus tard cette année. .