Les jeunes dépensent leur argent de poche pour des vêtements qu’ils ne peuvent pas porter. On commence à manger des grillons parce que les Chinois s’emparent de notre viande. Et nous sommes si nombreux sur cette planète que les maladies paralysent l’ensemble du commerce mondial. Que nous arrive-t-il ? À quoi ressemblera le « futur du shopping » ?
Un Re-set, un Re-made du Re-tail
Cinq ans après « The Future of Shopping : tous ensemble dans le retail », livre de gestion de l’année 2018, nous vivons dans un monde totalement différent. « Nous sommes confrontés à des défis planétaires. C’était déjà le cas mais, aujourd’hui, agir est plus urgent que jamais », déclare Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail. Il est donc grand temps de publier une nouvelle version du guide primé de la vente au détail : les co-auteurs Jorg Snoeck et Pauline Neerman présentent « The Future of Shopping : Re-set Re-made Retail ».
Cette fois-ci en édition festive et dorée. Y a-t-il quelque chose à fêter ?
J.S. : « En réalité, oui : c’est une époque glorieuse pour l’innovation. Nous ne vivons pas une ère de changement, mais nous changeons d’ère. Même le pape François le dit. Ces années 20 sont les ‘années 20 de la transition’, au cours desquelles nous évoluons vers un système fondamentalement nouveau. »
P.N. : « Notre livre n’a pas pour but de susciter la panique, mais de proposer des outils et des conseils concrets. Seules les connaissances et les mesures nous permettent d’agir, comme le dit très justement le fondateur de Obi, Manfred Maus, sur la couverture du livre. On peut avoir l’impression que nous avons déjà beaucoup (voire trop) de choses sur les bras, mais si nous ne regardons pas vers l’avant, la montagne ne fera que croître. »
Alors que les défis logistiques, la guerre et l’incertitude dominent désormais le panorama, le métavers est également un sujet d’actualité brûlante. Allons-nous bientôt fuir en masse vers une nouvelle réalité numérique ?
P.N. : « Le métavers n’est pas tant une fuite que l’exemple ultime de l’imbrication des mondes numérique et physique. Se réunir avec ses collègues dans une salle en 3D avec des lunettes de réalité virtuelle, ce n’est pas très différent des appels Zoom d’aujourd’hui. La grande différence, c’est que l’on peut désormais facilement faire des afterworks, du shopping ou une partie de squash pendant la pause déjeuner avec ses collègues. Le tout sans quitter son domicile. »
J.S. : « Des jeux comme Fortnite et Roblox se rapprochent déjà de cette expérience, mais le métavers va bientôt aller beaucoup plus loin. Sur Decentraland, on trouve déjà des flagship stores spectaculaires de Dolce & Gabana et Selfridges, et Carrefour est en train de s’implanter. Les internautes peuvent y acheter deux types de vêtements : des vêtements physiques ou des vêtements virtuels, ces derniers ne pouvant être portés qu’en ligne et pas dans le monde réel. C’est plus respectueux de l’environnement, apparemment, mais c’est aussi une façon unique de se démarquer. Les NFT, des conceptions numériques sécurisées d’un sac à main Gucci ou d’une robe Paco Rabane, par exemple, constituent désormais un meilleur investissement que les cryptomonnaies. Une économie entièrement numérique va émerger, dans laquelle il n’y aura même pas d’usines. »
Quel sera l’impact de cette évolution sur la consommation physique ? Les magasins seront-ils encore nécessaires ?
J.S. : « Les jeunes qui sont les plus actifs en ligne aujourd’hui sont aussi les plus grands adeptes du shopping physique. Les deux vont de pair. L’expérience physique est irremplaçable, en particulier dans un monde hautement numérisé. Cela signifie néanmoins que les magasins physiques auront des rôles différents. »
P.N. : « En fait, les magasins sont comme des églises. Comme les églises, les magasins jouent le double rôle de lieux de rencontre et de vitrines. C’est dans les magasins que les marques et les détaillants s’affichent devant le public dans toute leur splendeur. Ils offrent visibilité, perception et spectacle. De cette manière, ils encouragent également les consommateurs à adhérer, à ‘croire’ en la marque. Parallèlement, l’accès aux magasins est indispensable : pour rencontrer des personnes partageant les mêmes valeurs, pour bénéficier d’aide et de conseils, pour se sentir membre de la communauté. Les magasins sont la cheville ouvrière du récit de marque, pour ainsi dire. »
Vous parlez des jeunes, mais ils sont de moins en moins nombreux en Occident. Que se passe-t-il ?
P.N. : « Nous assistons à ce que les scientifiques appellent la ‘deuxième transition démographique’. C’est précisément en raison du bien-être, de la numérisation et de l’automatisation que la population occidentale vieillit rapidement. Il y a eu tellement de progrès dans le secteur des soins de santé, de la science et du bien-être que les gens vivent beaucoup plus longtemps, tout en ayant moins d’enfants (et plus tard). »
J.S. : « Mais cela ne signifie pas que la population mondiale décroît. Au contraire, nous sommes de plus en plus nombreux sur cette planète, qui commence à atteindre ses limites. Alors que la population diminue en Europe, elle va doubler en Afrique d’ici à 2050. Le Japonais moyen aura alors 53 ans, contre 21 ans seulement pour le Nigérian moyen. En d’autres termes, de grandes différences apparaissent.
En 2050, nous serons 9,7 milliards sur Terre. Mais ce qui est vraiment étonnant, c’est que cela signifie que la demande en nourriture va augmenter de plus de 50 %. Et ça, notre planète bleue ne pourra pas le supporter si nous ne changeons pas nos habitudes. Il n’y a tout simplement pas assez de surfaces agricoles et nous épuisons déjà rapidement toutes les autres ressources naturelles. »
Nous devons consommer différemment et moins, donc. Un message fou dans un livre sur la vente au détail ?
J.S. : « Pas du tout, car c’est précisément là que se trouvent les opportunités pour les détaillants et les producteurs de produits de grande consommation. Nous devons tendre vers un nouveau système alimentaire plus durable, comme Stefan (Van Rompaey) et moi-même l’avons décrit dans le livre « The Future of Food ». Tout cela est possible en consommant moins de viande et plus de produits végétaux, et en s’attachant à des méthodes de production plus efficaces et plus écologiques. Des avancées majeures sont actuellement réalisées dans le domaine de la viande de culture et des insectes pour la consommation humaine, par exemple. Avez-vous déjà goûté aux barres de grillons ? Venez nous rendre visite dans notre Retailhub , vous allez voir ! »
P.N. : « Le secteur non-alimentaire a également beaucoup à gagner d’une approche plus circulaire. Les articles de seconde main n’ont jamais eu autant de succès, tandis que les matières premières deviennent si chères et si rares qu’il faut bien leur donner une seconde (et troisième et quatrième) vie. L’apport en matières premières deviendra problématique, c’est donc aussi une question de nécessité. Nous ne pouvons tout simplement plus nous permettre de gaspiller, pour des considérations morales d’une part, mais également financières d’autre part. »
Quel est le rapport entre la rareté des matières premières et la Chine ? Le pays revient souvent dans le livre.
P.N. : « La crise du coronavirus et la guerre en Ukraine ont fait ressortir la rareté des matières premières, mais ce n’est pas un phénomène récent. Les Chinois l’ont compris depuis longtemps. Dès 2017, l’ex-PDG d’Albert Heijn, Wouter Kolk, avait signalé que les Chinois convoitaient ‘ses’ fournisseurs mandarins, ce qui risquait d’entraîner des pénuries. Pourquoi ? D’ici à 2030, la Chine et l’Inde représenteront 66 % de la classe moyenne mondiale, soit près de 60 % de la consommation totale de la classe moyenne. »
J.S. : « Le président Xi Jinping a été nommé à vie, il pense donc sur le long terme. Il se tourne vers l’avenir et donne un nouveau souffle à l’historique route de la soie. Seulement que maintenant, il n’y en a pas qu’une, mais quatre. La plus connue est la route terrestre, avec des projets d’infrastructure à grande échelle dans plus de 60 pays. Ce n’est pas un hasard s’il s’agit de pays de plus en plus pauvres, avec des infrastructures insuffisantes mais des matières premières intéressantes. Par la mer, il y a la route de la soie maritime, et il y aura aussi une route de la soie polaire. La fonte des glaces libère des voies d’eau et des minéraux qui deviennent intéressants.
Mais la quatrième, la route de la soie numérique, est peut-être encore plus importante. Outre les voies commerciales physiques, le président Xi Jinping construit également une voie numérique, en utilisant les données, la technologie et le commerce électronique. En ligne, il n’y a pas de frontières nationales, ce qui ouvre la porte à une expansion littéralement illimitée. La Chine s’efforce donc de dominer le monde numérique. Le centre névralgique de cette ligne numérique à grande vitesse ? La Belgique, plus précisément Liège Airport. »