Que nous apprend l’année 2020 sur l’avenir du commerce de détail ? Une vague de consolidation devra permettre de faire face aux écosystèmes titanesques, estime Marc-André Kamel, responsable du département international du commerce de détail du cabinet de conseil Bain & Co.
Titans contre auto-stoppeurs
Tout d’abord, rien de nouveau sous le soleil : les tendances qui provoquaient déjà de fortes perturbations par le passé ont été projetées au premier plan en 2020. En période de coronavirus, nous avons peut-être moins parlé des changements sociodémographiques , tels que le vieillissement de la population et l’urbanisation, mais il en sera de même pour les 20 prochaines années.
Ce qui a particulièrement retenu notre attention, c’est la rupture provoquée par les « écosystèmes titanesques », comme Amazon et Alibaba. Ce sont les grands gagnants de la crise du coronavirus bien que, selon Marc-André Kamel, d’ autres détaillants peuvent également en ressortir gagnants. Le consultant en commerce de détail de Bain & Co les a répartis en quatre catégories à la demande du Harvard Business Review.
Première catégorie, les « perles locales » : grâce à des liens très étroits avec leurs clients et à une bonne proposition de valeur, ces détaillants sont très bien positionnés dans leur région. Kamel pense principalement à des acteurs actifs dans des pays où Amazon n’est pas encore dominant, comme Bol.com au Benelux ; même si Jeff Bezos tente d’y remédier sans tarder.
Les « auto-stoppeurs » s’en sortent également bien. Ils surfent sur le succès des plateformes en les utilisant pour vendre leurs produits, par exemple. Ce sont des acteurs qui n’ont ni les ressources, ni l’envergure nécessaires pour lutter, contrairement aux « combattants d’échelle » comme Walmart, et qui se joignent donc aux grands gagnants. Enfin, dans le contexte actuel, les véritables discounters, tels qu’ Aldi, Primark et Action, continuent également à progresser.
Toutes les innovations ne sont pas durables
Et comment caractériser les perdants ? Il est plutôt étonnant de constater qu’ils se situent à deux pôles opposés : d’une part, les « legacy laggards » (les détaillants qui avaient bien réussi mais qui sont désormais à la traîne), qui perdent du terrain à cause du poids de leur histoire et, d’autre part, un groupe moins visible d’ « innovateurs non durables » également en difficulté. Il s’agit d’entreprises qui lancent un projet passionnant dans le monde numérique, mais qui ne trouvent jamais vraiment le chemin de la rentabilité. Avec le temps, soit elles échouent, soit elles sont rachetées par des combattants d’échelle qui s’inspirent de leur modèle. Le meilleur exemple est l’échec de Jet.com, un concurrent d’Amazon, qui a finalement été repris (et abandonné) par Walmart.
La difficulté pour les « legacy laggards », c’est qu’ils doivent à la fois diriger et faire évoluer leur entreprise. Même sans le coronavirus, c’est déjà un défi de taille : sous la pression du marché et de leurs actionnaires, ils tentent de réduire les coûts et de préserver leurs marges. Cela entraîne cependant une diminution des investissements, ce qui détériore inévitablement la situation. En règle générale, si de telles entreprises ne parviennent pas à se consolider, elles font faillite. Une réalité crue, selon Kamel : aux États-Unis et en Europe occidentale, plus d’un détaillant sur trois sont dans cette situation.
S’associer ou échouer
Les détaillants à la traine peuvent-ils encore inverser la tendance ? Oui, estime le spécialiste de commerce de détail, à condition de bien connaître leurs clients : « Différenciation et proposition de valeur adaptée au segment de clientèle à séduire sont le point de départ. » La première étape est donc de définir précisément ses ambitions, et surtout de cibler ses clients. Parfois, il peut être utile de proposer des services en plus des produits, ou de s’associer avec une autre entreprise.
Compter uniquement sur le vaccin et croire que tout va redevenir comme avant est incontestablement un pari risqué. La consommation est peut-être rapidement repartie à la hausse en Chine, mais le consultant de Bain souligne que la génération Z est moins matérialiste. En outre, lorsqu’on sait qu’Amazon investira 100 milliards de dollars de plus dans le numérique que tout autre détaillant du top 10 entre 2019 et 2024, on comprend que le combat ne sera jamais loyal.
Kamel : « Je pense que nous sommes au début d’une grande vague de consolidation dans le commerce de détail. Certaines entreprises feront faillite et disparaîtront, mais le commerce de détail est agglutinant. « Plutôt que de s’effondrer, les entreprises vont se regrouper. »