En Europe aussi, les concepts de magasins sans personnel ou sans caisse, comme Amazon Go, vont percer : il s’agit d’un processus progressif dans lequel les détaillants remplacent progressivement les employés par la technologie. La question est : quelle technologie ?
Forte croissance en vue
Dans le monde entier, de plus en plus de détaillants testent le potentiel des magasins sans personnel ou automatisés. Aux États-Unis, Amazon a bien sûr été le principal instigateur avec le lancement d’Amazon Go en janvier 2018. En Europe, Albert Heijn, Auchan, Carrefour, Edeka, Migros, Tegut et Valora , entre autres, ont depuis adopté des concepts de magasins plus ou moins similaires.
Le secteur pèse-t-il dans la branche du commerce de détail ? Selon le bureau d’études Research and Markets, le marché des magasins sans personnel a représenté un chiffre d’affaires de 67,5 millions de dollars (57 millions d’euros) en 2019 et devrait atteindre un chiffre d’affaires de 1,64 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros) en 2027 grâce à une croissance annuelle de 52 %. La plupart des magasins automatisés se trouveraient en Asie.
Grâce au coronavirus
Du côté de la demande, la tendance aux magasins sans personnel est stimulée par les attentes croissantes des consommateurs en expérience d’achat fluide, horaires d’ouverture étendus, emplacements accessibles et disponibilité des produits. Les consommateurs de tous âges sont de plus en plus familiers et à l’aise avec la technologie. La pandémie du coronavirus a également donné une impulsion supplémentaire à la demande en concepts de magasins sans contact.
Tandis que pour les détaillants, la recherche d’employés est laborieuse et les coûts de personnel sont élevés, alors que la technologie devient de moins en moins chère. Toutefois, le chemin à parcourir avant d’assister à un déploiement de masse est encore long : dans la plupart des cas, il s’agit de projets pilotes, et ils le resteront.
Besoin d’approfondir les connaissances
Plusieurs projets très médiatisés n’ont pas eu de suite : par exemple, le Moby Mart qui a ouvert ses portes à Shanghai en 2017. Ce magasin proposait des produits destinés à la consommation directe, tels que du lait, des plats préparés et des médicaments. Les clients entraient, prenaient ce dont ils avaient besoin et repartaient. Il s’agissait d’un projet de la start-up suédoise Wheelys, en partenariat avec l’université de technologie chinoise de Hefei. L’expansion promise ne s’est pas concrétisée.
Plus près de chez nous, Albert Heijn s’en tient pour l’instant à un seul magasin numérique AH to go container, d’abord testé au siège social, puis à l’aéroport de Schiphol . De son côté, malgré ses grandes ambitions, Amazon Go ne compte encore qu’une trentaine de succursales, dont cinq à Londres. Les détaillants ne savent peut-être pas encore quels modèles séduisent le plus les consommateurs. Une récente étude menée par le professeur Sabine Benoit de l’université du Surrey, à la demande du Competence Center for on-the-go Consumption, permet de dresser un tableau de cette branche relativement nouvelle du commerce de détail.
Gradations
De quoi s’agit-il exactement ? Les magasins sans personnel sont des magasins où les clients peuvent tout faire eux-mêmes, sans l’intervention de personnel. Bien entendu, les magasins ne sont pas vraiment ou pas complètement sans personnel : le réapprovisionnement des stocks, par exemple, est assuré par des employés, tout comme le service à la clientèle. Ainsi, beaucoup d’employés s’affairent dans un magasin Amazon Go. Cependant, puisqu’ils ne travaillent aux caisses, ils peuvent se consacrer à d’autres tâches.
La principale différence avec les distributeurs automatiques réside dans le fait que les clients ont un accès libre aux produits et qu’ils doivent procéder à un check-in et à un check-out pour entrer et sortir du magasin. Il n’y a pas vraiment de division stricte entre les magasins avec et sans personnel, mais plutôt des gradations ; pensez par exemple aux magasins avec du personnel fonctionnant avec des caisses de self-scanning. La tendance aux magasins sans personnel va donc s’accentuer progressivement : les magasins seront en partie sans personnel, ou à temps partiel.
Des besoins différents
Les magasins sans personnel apparaissent dans des endroits très divers, répondant à des besoins différents. Par exemple dans des zones de transit, comme les aéroports ou les gares. Ahold Delhaize teste actuellement un petit magasin conteneur sans personnel de 14 m² (avec la technologie chinoise d’AiFi) à l’aéroport de Schiphol. En 2019, le groupe suisse Valora a ouvert un magasin de proximité sans caisse, « avecbox » dans la gare centrale de Zurich et sur un campus universitaire. Le magasin propose une gamme minutieusement sélectionnée d’environ un millier de références. Il s’agit principalement d’aliments frais à manger sur le pouce, d’articles quotidiens comme du café et de produits ménagers de première nécessité.
Des magasins sans personnel ouvrent également dans des endroits où il y a beaucoup de passage. Lidl a ouvert un magasin de proximité autonome « shop.box » en combinaison avec un point de retrait sur le campus universitaire de Heilbronn. Les employés et les étudiants peuvent choisir parmi 250 à 300 produits. Le groupe chinois Sun Art Retail Group a déjà ouvert plus de 500 magasins conteneurs sous le nom de BingoBox. Ils proposent une gamme de produits de commodité de 500 à 800 références. Les clients y accèdent grâce à une application et à la reconnaissance faciale, une technologie qui n’est pas envisageable en Europe en raison des règles du GDPR.
Pop-up stores
Les magasins sans personnel peuvent également être une solution pour les « déserts alimentaires » : des zones à très faible densité de population où les détaillants peinent à exploiter des magasins physiques de manière rentable et où la population n’a donc pas accès à des aliments frais. C’est le cas dans certaines régions en Suède (Coop) et en Finlande.
Les détaillants testent leurs concepts sans personnel à la fois dans des magasins physiques, dans des locaux ordinaires, et dans des versions mobiles, comme des conteneurs. Ces derniers présentent l’avantage de pouvoir être déplacés : le concept est adapté aux pop-up stores temporaires, comme dans des centres de vacances pendant la haute saison. La gamme de produits varie en fonction de l’emplacement et de la fonction du magasin : dans les zones résidentielles ou les « déserts alimentaires », il s’agira plutôt d’une gamme couvrant les besoins quotidiens, tandis que dans les zones de transit et les lieux très fréquentés, l’offre en produits à emporter sera plus importante.
Questions sur le respect de la vie privée
Que pensent les consommateurs des magasins sans personnel ? Des recherches menées en Allemagne montrent qu’une majorité des personnes interrogées ont une opinion positive ou neutre sur ce phénomène. Les acheteurs sont ouverts à la technologie et curieux, mais ils veulent trouver des produits et des prix similaires à ceux des magasins traditionnels. Le fait que tout contact avec le personnel puisse être évité est un avantage en période de coronavirus.
Les acheteurs qui émettent un avis plus négatif à l’égard des magasins sans personnel apprécient davantage l’interaction personnelle avec les employés des magasins. Ils redoutent les problèmes techniques, se posent des questions sur la sécurité et le respect de la vie privée (en raison de la présence de caméras) et craignent également que la technologie n’entraîne, à terme, une perte d’emploi.
Quels sont les principaux groupes cibles des magasins sans personnel ? Dans les endroits où il existe suffisamment d’alternatives (les centres-villes, par exemple), les magasins sans personnel attireront principalement les jeunes consommateurs familiers avec la technologie numérique. Ailleurs, tout le monde est un client potentiel, surtout après le coronavirus.
Transition graduelle
La question est de savoir quelle technologie offre les meilleurs atouts. L’approche « just walk out » d’Amazon Go est une solution très facile, transparente et inviolable qui nécessite toutefois des coûts d’investissement élevés, qui poussent les observateurs à se demander si elle sera un jour rentable. Amazon peut vendre la technologie à d’autres acteurs : Hudson en particulier, un exploitant américain de boutiques d’aéroport, utilisera la solution dans ses magasins de proximité. En Chine, la société de logiciels AiFi vend notamment sa technologie de caméra à Ahold Delhaize et à Wundermart, qui déploie des magasins de bureau sans personnel. En partenariat avec la start-up portugaise Sensei, Continente a ouvert à Lisbonne le premier magasin de proximité automatique sur le continent européen.
Mais aucun modèle n’est parfait : il s’agit de trouver le bon concept de magasin au bon endroit. Par ailleurs, tout n’est pas noir ou blanc : nous assistons à une transition graduelle des magasins avec personnel aux magasins sans personnel. Rewe, par exemple, teste actuellement à Cologne un magasin doté de la technologie autonome « Pick & Go », où les clients qui le souhaitent peuvent continuer à faire leurs achats de manière traditionnelle. Certains magasins fonctionnent temporairement sans personnel, la nuit par exemple, mais avec du personnel pendant la journée. D’autres fonctionnent sans personnel en continu. On observe également une transition des distributeurs automatiques vers des magasins sans personnel à part entière.
Processus de changement
Conclusions ? La tendance aux magasins sans personnel va se poursuivre en Europe, mais l’évolution sera progressive. Selon les chercheurs, les détaillants vont progressivement remplacer les employés par la technologie. Les magasins fonctionneront à temps partiel sans personnel, ou certaines composantes seront automatisées. D’autre part, les distributeurs automatiques se développent et prennent des allures de magasin à part entière. Les points de retrait sans personnel pour les commandes en ligne sont également de plus en plus fréquents. Au cours de ce processus de changement, nous ne devons pas considérer les magasins comme fonctionnant avec ou sans personnel, mais comme fonctionnant avec plus ou moins de personnel.
Actuellement, le secteur est encore dans une phase de concurrence des technologies. Amazon tentera de vendre sa solution transparente « just walk out » à d’autres détaillants. Cette technologie pourrait ainsi devenir la norme du secteur.