À Anvers cette semaine, le pop-up shop français King Colis vend des colis e-commerce perdus. Une loterie, mais aussi une histoire circulaire selon le détaillant, qui ne nie pas l’ironie du modèle : « Même nos propres colis se perdent parfois. »
Prix au poids
Mardi matin, au centre commercial Grand Bazar d’Anvers, plusieurs dizaines d’acheteurs faisaient déjà la queue devant le pop-up de King Colis, une startup française qui vend les commandes en ligne perdues sous forme de colis surprise afin qu’elles ne soient pas détruites. Du 18 au 22 février, les acheteurs peuvent venir fouiller dans des bacs en bois sur palettes. Au total, King Colis vise à vendre environ 10 tonnes de colis. L’entreprise a déjà ouvert des pop-up stores en Allemagne, au Luxembourg, au Danemark, aux Pays-Bas, en Italie, en Suède et en Autriche.
La visite du pop-up ne ressemblera pas à une séance de shopping classique. Les personnes qui souhaitent tenter leur chance doivent d’abord s’inscrire et accepter le règlement du concours. Ensuite, ils disposent de 10 minutes pour choisir des paquets. L’ouverture n’est autorisée qu’après paiement. Pour un paquet perdu « standard », vous payez 1,99 euro pour 100 grammes, les paquets premium coûtent 2,79 euros par 100 grammes. Le contenu des colis est un mystère, tant pour le client que pour King Colis, même si l’entreprise laisse entendre dans ses communications qu’il peut s’agir de produits high-tech, de vêtements de marque, de chaussures, de montres, de maroquinerie, de gadgets et même de jeux vidéo. Les prix bas et l’aspect ludique expliquent en partie l’attrait du concept.
« Un événement »
RetailDetail s’est entretenu avec le cofondateur Killian Denis. « Nous sommes toujours une start-up, mais une multinationale », explique-t-il. « Mon associé se trouve actuellement à Milan, où nous avons aussi un pop-up. L’objectif est d’en ouvrir huit par mois. Nous n’y sommes pas encore tout à fait : nous en sommes plutôt à six ou sept. Nous nous limitons à une semaine à chaque fois ; cela doit rester un événement, un peu comme le cirque qui vient en ville. Nous envisageons d’ouvrir plus tard des boutiques permanentes, mais aujourd’hui nous portons le concept un peu partout en Europe. »
En quoi ce concept est-il unique ? Il semble facile à copier ?
« C’est vrai, quand quelque chose marche bien, on est copié. Nous avons déjà un concurrent en France. Pas encore dans d’autres pays, mais cela viendra. Mais nous avons été les premiers, nous avons une longueur d’avance, nous avons acquis pas mal d’expérience entre-temps. »
Les colis viennent-ils de France ?
« Ils viennent de toute l’Europe. Nous avons deux types de colis : les colis standards que nous achetons à de grandes plateformes logistiques qui gèrent l’importation de colis en provenance du monde entier. En effet, 80 % des commandes en ligne proviennent de l’extérieur de l’Europe, principalement d’Asie. Les colis premium proviennent principalement d’Amazon – bien que nous n’ayons pas le droit d’indiquer ce nom sur l’emballage. Nous les vendons un peu plus cher parce que nous les achetons également plus cher. Les paquets standard sont plus une loterie, avec une plus grande chance d’avoir un contenu sans valeur ».
Lutte contre le gaspillage
Les chances de « gagner » sont-elles minces ?
« Nous ne promettons rien, juste que ce sera excitant et sympa. Mais c’est mieux qu’une loterie : si vous perdez à la loterie, vous n’avez rien. Avec nous, vous avez toujours quelque chose dans la main ».
D’où le prix bas ?
« Ce prix nous permet de vendre avec une certaine marge. Nous avons pas mal de frais : il est complexe d’acheminer les produits ici, nous recrutons des personnes locales pour faire tourner la boutique. Et le matériel de présentation, en carton recyclé, doit être renouvelé à chaque fois. Nous avons essayé de fixer un prix équitable. Pour un kilo, vous payez environ 20 euros, ce qui correspond à une moyenne de trois ou quatre paquets. »
Vous mettez également l’accent sur la durabilité dans votre histoire ?
« Tout à fait. J’ai eu l’idée de ce concept pendant les confinements. J’étais coincée à la maison avec mes deux filles, et j’avais l’habitude de commander des jouets et d’autres articles en ligne. Mais de nombreux colis n’arrivaient jamais. Il y avait un pic de commandes, et donc plus de problèmes de livraison. Nous avons été remboursés pour les colis perdus, mais j’ai commencé à me demander : où sont donc ces colis ? J’ai découvert qu’ils étaient détruits parce qu’il est trop coûteux de les renvoyer en Chine. Des tonnes de colis sont détruits chaque mois. Cela n’a aucun sens : ils contiennent de bons produits. L’empreinte carbone est énorme. Nous réinjectons de bons produits dans l’économie et nous en sommes fiers. Nous ne sommes pas une organisation caritative, mais nous faisons quelque chose de bien pour la planète. »
Mauvaises habitudes
Il existe bien une législation interdisant la destruction des colis ?
« Oui, en France, il s’agit de la loi AGEC, qui interdit de détruire les invendus non alimentaires pour éviter le gaspillage. Cette loi n’est pas respectée par tous, elle est aussi difficilement contrôlable. Nous luttons contre ce gaspillage : il faut faire quelque chose de ces produits, et nous avons trouvé un moyen de les vendre à bas prix, peut-être un dixième du prix normal pour les packs premium. Ce serait mieux si les gens ne commandaient pas autant, nous avons tous de mauvaises habitudes. Nous achetons des choses dont nous n’avons pas besoin et si nous ne sommes pas satisfaits, nous les renvoyons ».
Mais chez King Colis, les gens ne viennent-ils pas pour acheter des choses dont ils n’ont pas besoin ?
« Je pense que les gens viennent pour trois raisons. Premièrement : parce que c’est un jeu, ce qui fait appel à l’enfant qui est en nous. Deuxièmement, parce que c’est nouveau, quelque chose qu’ils n’ont jamais vu auparavant. Et trois : parce qu’ils viennent à la chasse au trésor. D’ailleurs, nous vendons aussi en ligne. C’est assez ironique : nous vendons parfois des paquets de plusieurs kilos, avec un mélange de colis perdus. Et il arrive que ceux-ci se perdent aussi… »
Les gens doivent s’enregistrer avant d’acheter. Ces données font-elles partie du modèle commercial ?
« C’est uniquement pour que les gens acceptent nos conditions de vente. Celles-ci sont particulières : comme nous ne savons pas ce que contiennent les colis, nous ne sommes pas non plus responsables de leur contenu. Si vous n’aimez pas le produit ou s’il est cassé, vous ne serez pas remboursé. Si vous trouvez des contrefaçons, nous vous demandons de les détruire. Nous constituons une base de données, mais vous pouvez choisir de ne pas recevoir nos offres. Nous utilisons principalement les données pour informer les gens d’un nouvel emplacement lorsque nous revenons dans un pays. »