Le Black Friday sera-t-il un jour noir en cette période de confinement ? Les néerlandais demandent de « ne pas brader la santé publique », les détaillants français réclament même son interdiction.
Incompatible avec le confinement ?
Le monde du retail est en plein doute : que faire des grandes journées de ventes comme le Singles’ Day et le Black Friday qui sont prévues ce mois-ci ? Novembre est le mois des bonnes affaires, a calculé BeCommerce : en ligne, il est même meilleur que la première semaine de soldes et plus important que tout autre mois. Une bonne nouvelle pour le commerce de détail qui ploie sous le poids des mesures sanitaires, pourrait-on penser.
Mais organiser une journée des bonnes affaires en plein confinement en choque d’autres. « Il est déjà question d’un confinement partiel. Le Black Friday est incompatible avec une telle situation », déclare le syndicat néerlandais du commerce de détail FNV. « Le Black Friday, c’est du funshopping. Pendant cette journée, la fréquentation des magasins ne fera qu’augmenter, car il n’y a pas d’autres façons de se distraire. »
Une inégalité scandaleuse
Les dirigeants syndicaux appellent à « ne pas brader la santé publique ». Ils déconseillent aux commerçants d’y participer et demandent des actions qui permettent d’étaler l’arrivée de clients. De plus, l’inégalité entre l’e-commerce et les magasins physiques est une fois de plus évidente : le funshopping en ligne est évidemment totalement sûr et toutes les boutiques seront ouvertes.
Mais la problématique s’étend également aux centres de distribution : si la cohue empêche de suivre les mesures sanitaires dans les magasins, c’est également le cas dans les centres de distribution, note le FNV : « Des situations très indésirables y sont inévitables. » En France, quatre grandes fédérations professionnelles lancent donc un appel commun sans précédent : interdisez le Black Friday, y compris en ligne. Plus encore : elles veulent également interdire la vente de produits non essentiels en ligne.
« Les dispositions prises pour juguler la propagation du virus ne font qu’accroître la scandaleuse inégalité de traitement préexistante entre les commerçants physiques et les marchands du Web, au péril des premiers et au profit exclusif des seconds », déplorent les fédérations professionnelles. Comme ce n’est pas réalisable dans la pratique sur le Web, l’alternative est simple : il faut autoriser la réouverture des commerces non essentiels à partir du 12 novembre, affirment les Français.
Acheter ne rend pas (plus) heureux
Les consommateurs attendent-ils vraiment de bonnes affaires ? Le professeur néerlandais de commerce Cor Molenaar n’en est pas convaincu. « Le Black Friday et le Singles Day seront moins importants vu les circonstances. Nous avons d’autres priorités et préoccupations que le shopping. Et même quand nous recommencerons à nous sentir mieux, nous resterons conscients du fait que ce qui nous rend vraiment heureux, ce n’est pas (seulement) consommer. »
Il est vrai que les Néerlandais achètent moins depuis la crise sanitaire, même si les ventes en ligne ont progressé de de 38% dans le pays. Cor Molenaar y voit la fin de « l’économie de la prospérité » et du consumérisme : « On trouvait le bonheur en consommant, en achetant pour Noël ou pour la Saint-Nicolas. Mais c’était avant le corona. »
Les « verts » suivent le mouvement : alors que Bol.com propose déjà de très bonnes affaires pour le Singles Day avec des réductions allant jusqu’à 50%, Dille & Kamille a décidé de planter des arbres pour le Green Friday et Ikea de racheter de vieux meubles – en échange d’un bon d’achat évidemment, ils ne se sont pas non plus transformés en association caritative.
Noël n’est jamais arrivé aussi tôt
La nouvelle normalité sera-t-elle post-matérialiste ? En Chine où la reprise est en avance, Alibaba constate exactement le contraire : le géant de l’e-commerce observe surtout de grandes envies d’acheter refoulées que les consommateurs pourront assouvir deux fois cette année lors du « 11.11 Global Shopping Festival », plus connu sous le nom de « Singles’ Day ». Cette année, la fête de la Saint-Valentin pour les célibataires chinois sera célébrée non pas sur un seul week-end, mais sur deux – avec un faste inédit et une foule de nouveautés occidentales.
Amazon aussi se frotte déjà les mains : jamais les achats de Noël n’ont commencé aussi tôt dans l’année – même les vendeurs de sapins de Noël en conviennent. Jeff Bezos prévoit déjà un Noël record. Et si les promotions agressives du Black Friday doivent donner un dernier coup de pouce, les Américains n’hésiteront pas.
Mais cessez de faire d’Amazon le bouc émissaire, soupire le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire : après tout, elle ne représente « que » 20% du commerce électronique en France. Et déployez vos activités en ligne, poursuit le ministre, qui va jouer lui-même au Saint-Nicolas en offrant à chaque magasin actuellement fermé en raison du confinement – et qui n’est pas encore présent en ligne – 500 euros à investir dans la numérisation. Parce que c’est désormais la seule issue, non ?