Ce que l’on redoutait depuis le début s’est produit : la reprise des magasins Blokker en Belgique n’était rien d’autre qu’une farce. Même si, bien entendu, le coronavirus a également joué des tours à Mega World.
Une affaire crapuleuse
Le récit de la faillite de la chaîne de magasins Mega World se lit comme la chronique d’une mort annoncée. En 2019, bon nombre d’observateurs ne misaient déjà plus sur la survie de Blokker en Belgique : bien que le propriétaire, Michiel Witteveen, et le directeur de Blokker Belgique de l’époque, Geert Kampschoër, aient maintes fois insisté sur l’avenir de la chaîne en Belgique, les doutes ont toujours persisté. La vente des magasins belges en février 2020 n’a donc pas été une surprise.
Contrairement au repreneur : l’entrepreneur Dirk Bron était peut-être connu comme le fondateur de la chaîne sportive hollandaise Aktiesport, mais il s’était depuis lors surtout fait remarqué dans la vente de stocks excédentaires et quelques contrats de reprise infructueux, notamment avec l’affaire particulièrement crapuleuse de l’acquisition de quinze magasins Superconfex en 2006. La crédibilité du repreneur a donc été immédiatement mise en doute.
« Participer ou partir »
L’homme d’affaires ne manquait pourtant pas d’ambition : il avait promis de maintenir tous les magasins ouverts et de garder tous les employés pendant au moins un an. Et il ne comptait pas s’arrêter là : il devait concurrencer Action et entrevoyait à terme un potentiel de pas moins de 250 succursales. Celles-ci devaient vendre des produits de marque à des prix sacrifiés dans une formule au « look américain ». Peut-être faisait-il allusion aux enseignes clinquantes qu’il avait imaginées pour sa chaîne, également à un prix sacrifié ?
Mais il a également donné le ton avec une approche commerciale pour le moins tranchée. Il a exigé six mois de loyer gratuit aux propriétaires des magasins. « Pourquoi devrais-je prendre tous les risques, alors qu’ils restent assis sur leur chaise à encaisser les loyers ? Les propriétaires immobiliers ont maintenant la possibilité de collaborer ou de récupérer leur local vide d’ici un an », avait-il prévenu. Les employés n’ont également pas tardé à savoir à qui ils avaient affaire : « Ces 30 ans de Blokker, j’arriverai bien à les extraire de leur ADN. C’est participer ou partir. »
Dossiers frauduleux
Parallèlement, les médias hollandais et belges ont fait écho de plus en plus d’histoires douteuses sur Dirk Bron. Il serait impliqué dans des affaires de faillite frauduleuses et devrait comparaître en justice pour « non-paiement de la TVA, détournement de fonds, blanchiment d’argent et escroquerie. » Les syndicats étaient méfiants et avaient immédiatement lancé des menaces de grève. Mais l’entrepreneur a démenti ces accusations une à une.
Mega World aurait dû célébrer la grande inauguration le 7 mai. La réouverture était prête, tout comme les conteneurs remplis de stocks. Mais le 18 mars, tous les magasins non essentiels ont dû fermer en Belgique. Bron avait alors promis qu’il n’aurait pas recours au chômage partiel avant la fin du mois de mars : tous les salaires seraient payés en intégralité. Mais en raison des mesures anti-coronavirus, la chaîne s’est vue contrainte de reporter la réouverture au mois de juin. Toute l’équipe de direction belge a tiré ses conclusions et a démissionné.
Factures impayées
Pendant quelques mois, tout semblait aller bien : les magasins avaient finalement rouvert, avec cette enseigne aux allures américaines, et ils ont commencé par vendre le stock de l’ancien Blokker, ainsi que de nouveaux stocks excédentaires. Des publicités accrocheuses sont apparues dans les journaux, promettant des réductions particulièrement intéressantes. Les rumeurs se sont tues, les médias se sont concentrés sur les conséquences de la pandémie de coronavirus et sur cette autre affaire frauduleuse dans la vente au détail : l’effondrement de FNG.
Mais cela ne pouvait pas durer. Après l’été, les rumeurs sur des factures impayées et des problèmes financiers sont reparties de plus belle. Celles-ci ont été rapidement confirmées : le 12 octobre, le détaillant a demandé la protection contre ses créanciers. Le réviseur chargé d’approuver le rapport annuel n’a pas eu accès à l’ensemble des chiffres et a démissionné pour abus de confiance. Pendant tout ce temps, Mega World n’aurait pas payé la TVA, le précompte professionnel ni les cotisations de sécurité sociale. Dirk Bron a finalement été contraint de l’admettre, il n’avait pas de plan de relance.
Faux en écriture
Il a donc contre-attaqué : il s’est dit victime d’une « mauvaise affaire » et a accusé le propriétaire du Blokker, Michiel Witteveen, d’avoir vidé les caisses de l’entreprise avant la vente. L’entreprise n’était « pas viable », selon l’entrepreneur. Dans une série de rebondissements pour le moins déroutante, Bron a nommé un nouveau PDG, après avoir d’abord changé d’avis, puis s’être finalement ravisé : Rudy Claes, de la société de transport Corneel Geerts. Qui a prétendu avoir préparé un plan de relance qui ne prévoyait ni fermeture de magasin ni licenciement.
Les syndicats n’en croyaient rien, pas plus que le juge, à en croire la décision du 2 novembre : la demande de protection contre les créanciers a été déclarée irrecevable, les administrateurs provisoires devaient sauver ce qui pouvait encore l’être en période difficile de confinement… ou préparer la faillite. L’affaire ne s’est pas arrêtée là : Dirk Bron a encore le parquet à ses trousses, une enquête pénale a d’ailleurs été ouverte. L’entrepreneur est soupçonné de faux en écriture, d’usage de faux, de falsification des comptes annuels et d’abus de biens sociaux. Il encourt ainsi une peine de cinq ans de prison.
Une histoire cynique
Néanmoins, Dirk Bron s’est débattu comme un beau diable jusqu’à la fin. Il a exigé la réouverture de ses magasins et a également fait appel de la décision de ne pas accorder à son entreprise une protection contre les créanciers. Malin : il a ainsi obtenu le report du dépôt de bilan. Mais le report n’était pas la solution miracle : la décision définitive a rapidement été annoncée par la cour d’appel le 21 décembre…
Pour les plus de 650 employés de l’ancien Blokker Belgique, la pilule est difficile à avaler. Ils étaient plongés dans une profonde incertitude depuis des mois et devaient travailler dans des conditions particulièrement ingrates. Il semblerait qu’ils soient devenus les pions d’une partie de spéculation financière qui se jouait au sommet. Peut-être le plan n’a-t-il jamais été la réussite de Mega World. Le propriétaire Bron n’a jamais essayé de restructurer la société et laisse derrière lui une montagne de dettes de plus de 40 millions d’euros, alors qu’il avait repris une société non endettée.
Comment est-ce possible ? Eh bien, le propriétaire de Blokker, Michiel Witteveen, voulait à tout prix se débarrasser de son canard boiteux belge et, faute de mieux, a cédé le groupe à un personnage douteux, avec suffisamment d’argent (5 millions d’euros, d’après les rumeurs) pour maintenir les magasins ouverts assez longtemps. Une stratégie apprise de la famille Blokker : elle lui avait en effet également cédé l’entreprise de détail avec une « dot » de 280 millions d’euros. C’est peut-être le seul gagnant de cette cynique histoire. Reste à savoir si Dirk Bron s’en sortira une fois de plus : l’enquête pénale est toujours en cours.