L’annonce de l’arrivée de Mere en Europe occidentale avait provoqué un petit tremblement de terre dans le monde du retail. Sur papier, le modèle discount pur et dur du hard-discounter russe peut s’imposer. Mais jusqu’à présent, l’entreprise semble manquer de force de frappe. RetailDetail est allé enquêter.
Modèle spartiate
Mere a annoncé ses projets pour l’Europe occidentale en mai dernier. À l’époque, la chaîne était déjà active dans 9 pays, totalisant quelque 2 000 magasins. Mais ceux-ci sont principalement situés en Russie, en Biélorussie et au Kazakhstan sous l’enseigne Svetofor. Un moloch en Europe de l’Est, donc, qui a entrevu des opportunités dans le segment inférieur du marché avec un modèle discount spartiate.
Cette vision n’était pas dénuée de sens, comme nous l’avons également évoqué précédemment. Sur le marché belge, les archétypes du hard-discount que sont Aldi et Lidl se sont peu à peu éloignés de leur modèle initial. Ils se profilent désormais comme des « smart discounters » qui accueillent aussi des marques A et des produits frais de qualité dans leur assortiment, pour ne citer que quelques exemples.
Le magasin de Valence démontre son potentiel
Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail, avait reconnu le potentiel du concept quand il s’était rendu dans le Mere à Valence. Le magasin était soigné et proposait des prix très bas sur des produits comme le Coca-Cola et les Pringles. Le reste de l’assortiment se composait de lots résiduels. Seule réserve : les modifications constamment apportées à l’assortiment ne faisaient pas de Mere un supermarché pour les courses hebdomadaires.
Jusqu’ici, tout allait bien, pourrait-on croire. Mere présente un profil clair, et est parfaitement capable d’occuper le vide laissé par Aldi et Lidl. Mais que penser des grandes ambitions de la chaîne, qui envisage des magasins au Royaume-Uni, en France, en Autriche, en Italie et désormais en Belgique ?
Deadline manquée à Opwijk
Dans notre pays, le premier magasin doit ouvrir à Opwijk, sur le site de l’ancien Red Market – le concept aujourd’hui disparu du groupe Delhaize. En mai, Claude De Gheest, a priori à la tête de l’expansion belge de Mere, avait annoncé que le magasin serait aménagé en juin et ouvrirait ses portes en septembre.
Cette première deadline est déjà manquée, comme nous avons pu le constater de visu. Dans un premier temps, même le bourgmestre d’Opwijk était tombé des nues. Mais aujourd’hui, tout semble en ordre sur le plan administratif : les permis nécessaires ont été demandés. On peut toujours apercevoir le panneau de l’agent immobilier sur le site, mais il est désormais barré d’autocollants « Loué ». Reste qu’il n’est toujours pas question de magasin aménagé. Une pile de panneaux d’isolation, un chariot élévateur et quelques outils montrent que quelque chose se trame, mais le bâtiment est loin de la ruche bourdonnante.
En ligne aussi, tout semble à l’arrêt. Le site Web ouvert au moment de l’annonce de l’arrivée en Belgique n’a pas été mis à jour depuis. Si vous voulez passer de l’affichage standard en anglais à la version néerlandaise, vous ne pourrez lire que du russe. L’offre d’emploi pour un « agent » chargé de trouver de nouveaux emplacements de magasin est toujours là. Et si vous envoyez un e-mail à l’adresse mentionnée sur le site, vous recevrez une réponse automatique indiquant que vous serez contacté un mois avant l’ouverture du magasin.
Claude De Gheest et Dmitrii Nesterov
RetailDetail a essayé de joindre Claude De Gheest par différents canaux : l’homme est aux abonnées absentes depuis son interview dans Het Nieuwsblad. Le numéro de Safir Consulting, la société que De Gheest dirige à en croire son profil LinkedIn, est erroné. Les statuts de Lightkommerz, la société via laquelle Mere s’est installée en Belgique en octobre 2020, révèlent que De Gheest en est l’unique administrateur.
Le seul autre nom figurant sur ce document est celui d’un Russe, Dmitrii Nesterov. L’acte ne précise pas son rôle exact. Il a apporté le capital de départ de la société, mais ne joue a priori aucun rôle actif dans les opérations belges. Une recherche en ligne ne révèle aucun lien entre Nesterov et Mere, Svetofor ou Torgservis, la société mère sibérienne de la chaîne.
Cinq magasins en deux ans en Allemagne
Pour être franc, tout cela semble un peu obscur. Et ne constitue pas exactement les bases auxquelles on peut s’attendre pour une expansion majeure. Reste à savoir si celle-ci se produira un jour. L’expérience allemande de Mere montre qu’il est préférable de ne pas nourrir d’attentes trop élevées. Quand Mere est arrivée en Allemagne en 2019, le succès a été fulgurant. Le premier magasin a même dû fermer temporairement après seulement 5 jours : les clients avaient vidé les rayons. Mais Mere avait aussi annoncé l’ouverture de 100 magasins en Allemagne. C’était il y a deux ans aujourd’hui et le compteur est toujours bloqué à… cinq.
Au Royaume-Uni, le premier magasin Mere est sur le point d’ouvrir. Sauf que : la chaîne est incapable de donner une date précise. En réalité, Mere est totalement tributaire des fournisseurs des produits qu’elle veut vendre. Comme le retailer n’a pas de partenaires fixes, il en est réduit à attendre qu’il y ait suffisamment de lots résiduels. Car c’est la méthode utilisée par Mere pour proposer des prix aussi bas : les fournisseurs doivent assurer eux-mêmes la livraison de leurs produits au magasin et ne sont payés que pour ce qui y est effectivement vendu.
Faut-il condamner Mere pour autant ? Ce serait trop sévère. Le concept en tant que tel a toujours sa place sur le marché. Mais y voir soudainement le grand challenger russe va assiéger les retailers occidentaux est excessif.