Seule la coopération pourra sauver les commerçants dans la « période compliquée » qui s’annonce. Ce n’est pas dans leurs habitudes, mais en 2023, les commerçants devront absolument s’ouvrir à la jeune garde, au monde numérique – en croissante constante – et aux consommateurs. C’est du moins ce qu’annonce la boule de cristal de Cor Molenaar, professeur associé d’eMarketing à l’Université Erasmus de Rotterdam.
Le fossé se creuse
« Nous nous trouvons à l’aube d’une époque compliquée », prévient le professeur Cor Molenaar. La période de Noël a jusqu’à présent occulté ce phénomène classique, mais pendant les jours les plus sombres de l’année, nous avons traditionnellement tendance à moins dépenser, à nous sentir un peu déprimés – sans compter les craintes liées à l’énergie et au pouvoir d’achat qui remontent à la surface. Résultat : toutes les dépenses qui peuvent l’être seront reportées au moins jusque début 2023. Et ceci s’applique tant aux entreprises qu’aux consommateurs. « Surtout pour tout ce qui n’est pas vraiment indispensable. Les coûts fixes sont en forte hausse, les budgets sont serrés. Les consommateurs sont de plus en plus exigeants, mais les entreprises aussi soumettent leurs coûts et investissements à une analyse encore plus critique. »
Cor Molenaar s’attend ainsi à une vague de fermetures dans les rues commerçantes. Des boucheries, des friteries, mais aussi des boutiques de mode vont disparaître des centres-villes, tandis que les grandes enseignes sont en train de revoir leur politique d’implantation. « Je m’attends à une diminution du nombre de magasins. Et que fait le gouvernement ? Il semble avoir des priorités très différentes, ce qui se traduit par une adhésion très faible à la politique menée. Le fossé se creuse, les consommateurs ont de plus en plus peur et la contestation prend de l’ampleur. »
Cor Molenaar considère également la durabilité comme une question très complexe, car elle est principalement mise à l’ordre du jour sous la pression de petits groupes activistes et du gouvernement. « Le durable attire certes une partie de la population, mais il crée aussi un écart de prospérité imposé par le gouvernement. Or la première préoccupation des consommateurs a toujours été leur porte-monnaie. » Il en va autrement pour les vêtements d’occasion : « Faites-en quelque chose ! Les commerçants peuvent par exemple accorder des bons d’achat aux clients qui leur rapportent des vêtements usagés. C’est un incitant à continuer à acheter, et ils se créent ainsi deux groupes cibles : leurs clients habituels et des nouveaux qui n’achèteraient pas chez eux sinon, éventuellement faute de moyens. »
Vieux croûtons
Heureusement, une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs ose encore ouvrir des magasins avec un assortiment distinctif. Cor Molenaar voit ainsi apparaître de nouveaux « mom & pop stores » créatifs. « Les jeunes peuvent se passer d’argent pendant un an ou deux. Ce sont les seuls qui osent/peuvent encore entreprendre. »
Dans le retail, un grand nombre de ces nouveaux entrepreneurs surfent également sur la vague des plateformes. « Des plateformes comme Amazon et Bol.com continuent à gagner en puissance parce qu’elles disposent d’énormément de données », argumente le professeur de Rotterdam. Résultat : on ne constate actuellement aucun ralentissement dans l’essor de ces géants de l’Internet. Au contraire, nous ne savons pas encore jusqu’où va s’étendre leur domination.
Il est donc excessif d’affirmer que l’e-commerce a déçu en 2022. Aux Pays-Bas par exemple, il affiche encore une croissance d’environ 30% par rapport aux dernières années d’avant la pandémie. La récente stabilisation est en partie due à l’inflation, qui est un problème général en Europe. Et fait d’ailleurs qu’il n’y a actuellement aucun avantage à acheter à l’étranger, ce qui était pourtant un des arguments en faveur de l’e-commerce. Cor Molenaar s’attend donc à ce que cette stabilisation se poursuive en 2023.
Mais il n’en reste pas moins que les achats en ligne font désormais partie intégrante du comportement des consommateurs. Car les changements d’habitudes prennent souvent beaucoup de temps, ces deux années de crise sanitaire ont quand même eu un impact sur tout le monde. Nous attachons plus d’importance au temps libre, à notre vie sociale, à nos hobbies et à la famille. Et commander en ligne nous permet justement de nous acheter du temps libre, de créer plus de temps pour nous.
Il y a même beaucoup à attendre de TikTok, estime Cor Molenaar. « C’est un média très particulier. Bien que je le trouve moi-même assez sexiste, les enfants l’adorent pour se divertir et chasser l’ennui. Mais attention : les vieux croûtons n’y sont pas les bienvenus. Rares sont les initiatives commerciales adaptées et la pub y est surtout irritante. »
Trop conservateurs
Tout cela se traduira par une diminution du nombre de commerces physiques. Et nous continuons pourtant à faire la sourde oreille, note le spécialiste du retail. Les magasins étaient autrefois les grands pôles d’attraction des centres-villes : ce n’est plus le cas. Si un peu de shopping vient s’y greffer, on se rend avant tout en ville pour les centres historiques, l’offre cultuelle, les restaurants, etc. « Le magasin perd de son attrait, il est temps d’en prendre conscience. Si elles veulent toujours attirer des fans de shopping, les villes doivent au moins supprimer les parkings payants. »
Cor Molenaar n’hésite pas non plus à qualifier les commerçants de « trop conservateurs ». « Les entrepreneurs ont l’habitude de tout faire eux-mêmes. Souvent, ils ne veulent pas changer. Ils doivent néanmoins se poser deux questions : qu’est-ce que l’Internet peut m’apporter ? Et qu’est-ce que les autres peuvent m’apporter ? » Les commerçants doivent collaborer beaucoup plus, estime ainsi l’expert en marketing. Ils pourront ainsi jouer davantage sur la communication personnelle, motiver davantage les consommateurs à venir vers eux. On peut par exemple imaginer le boulanger local offrir un bon pour un café gratuit au restaurant du coin. D’autant que l’agrégation des données le permet, et que l’Internet peut s’inscrire dans un tel projet. « Connaître son client et mettre en place une communication personnalisée : cela reste la base du commerce. »