La loi belge sur les baux commerciaux prévoit une procédure de révision du loyer tous les trois ans. Cette procédure est rarement utilisée, mais la crise du coronavirus pourrait changer la donne.
Devant le juge de paix
La loi belge sur les baux commerciaux prévoit une procédure de révision triennale du loyer.
Au cours des 3 derniers mois de chaque triennat, tant le bailleur que le preneur ont le droit d’introduire devant le juge de paix une demande en révision du loyer applicable, à condition de prouver que, en raison de circonstances nouvelles, la valeur locative normale actuelle des lieux loués est supérieure ou inférieure d’au moins 15% au loyer contractuel applicable tel que déterminé dans le contrat de bail.
Ces dernières années, cette procédure en révision était en réalité peu utilisée, la démonstration de circonstances dites « nouvelles » et d’un écart de plus de 15% étant appréciés relativement strictement.
Dans le contexte actuel, un petit rappel des deux principales conditions applicables nous parait opportun.
Condition n° 1 : une variation de plus de 15%
La loi sur les baux commerciaux impose la démonstration d’une variation de plus de 15 % entre (i) la valeur locative normale actuelle et (ii) le loyer contractuel applicable.
La valeur locative normale actuelle
La valeur locative normale se réfère au loyer qui pourrait être obtenu pour les lieux loués au moment de la révision en tenant compte de la localisation du bien, de l’offre et de la demande et de la situation économique générale. Il s’agit du loyer dit « de marché ». Il est à noter qu’en principe, il n’est tenu compte ni de La nature de l’activité du preneur en place ni du niveau de rentabilité effectif de son activité.
La valeur locative actuelle normale se réfère au loyer applicable à l’expiration de la période de trois ans. Le juge de paix n’est pas censé tenir compte des circonstances postérieures à la période de trois ans.
En pratique, le juge nommera un expert immobilier qui fixera la valeur de marché du bien, essentiellement sur base de points de comparaison dans la zone concernée. L’exercice est plus délicat pour les actifs dit « monovalent », à savoir les locaux construits en vue d’une seule utilisation et qui ne pourraient recevoir une autre affectation que moyennant d’importants et couteux travaux de transformation. Le juge suit généralement très étroitement l’avis de l’expert.
Le loyer contractuel applicable
Le loyer contractuel applicable se réfère au loyer qui est effectivement payé par le locataire au moment de la demande de révision.
Pour évaluer le loyer contractuel, il convient de prendre en compte tous les éléments composant le loyer, c’est-à-dire notamment les indexations, les charges particulières payées par le locataire (y compris le précompte mobilier) et un éventuel pas-de-porte.
Condition n° 2 : circonstances nouvelles
Il n’y a pas de définition légale des « circonstances nouvelles ». L’appréciation de celles-ci par la jurisprudence belge a évolué au cours du temps jusqu’à un arrêt de la Cour de cassation belge qui considère que les circonstances nouvelles sont « des circonstances objectives qui ont un impact durable sur la valeur locative de l’immeuble, mais qui n’existaient pas lors de la détermination du loyer et qui se sont produites depuis lors, de sorte qu’elles ne pouvaient pas être prises en compte lors de la détermination du loyer. La loi n’exige pas que les nouvelles circonstances […] soient imprévisibles ».
En d’autres termes, une circonstance nouvelle est considérée comme tout élément objectif qui a une incidence sur la valeur locative, à condition qu’elle réponde aux critères mentionnés ci-dessous:
-
la circonstance nouvelle doit être indépendante de la volonté des parties ;
-
la circonstance nouvelle ne peut pas exister au moment de la détermination du loyer ; en d’autres termes, la procédure de révision du loyer ne peut pas être utilisée pour corriger une erreur commise ou un avantage accordé initialement dans le contrat de bail, lors de sa conclusion ;
-
la circonstance nouvelle doit avoir un impact durable sur la valeur locative des lieux loués. Selon la Cour de cassation, la circonstance nouvelle doit présenter « un caractère de continuité telle qu’elle justifie la fixation d’un nouveau loyer pour toute la durée du triennat suivant ».
Il existe une certaine jurisprudence concernant les critères d’appréciation de « circonstances nouvelles » mais celle-ci est relativement disparate et dépend de chaque juge de paix et de chaque situation de fait.
Quid du Covid 19 ?
L’on peut évidemment se demander si l’apparition du virus SARS-CoV-2 pouvant engendrer la maladie Covid 19 doit être considérée comme une circonstance nouvelle. A notre connaissance, aucun juge de paix ne s’est encore prononcé sur la question. Il est toutefois probable que des demandes en ce sens seront introduites dans un avenir proche.
L’élément clé sera très certainement la démonstration de l’impact durable ou non du virus sur la valeur de marché locative du commerce concerné. Les débats seront très certainement ouverts, tant les points de vue peuvent diverger sur ce point.
D’aucuns soutiendront que cette crise n’est que passagère et que son impact est limité à la période de fermeture obligatoire des magasins non essentiels décidée le 18 mars par le gouvernement belge ; de ce point de vue, le caractère de continuité et d’impact sur un triennat entier fait visiblement défaut.
D’autres défendront que l’impact est bien durable et sera perceptible au moins un triennat voir plus ; ils argueront que l’émergence du virus a considérablement et durablement impacté les habitudes de consommation, notamment en donnant un coup d’accélérateur sans précédent – et peut-être sans retour – au développement du commerce en ligne.
Le débat variera selon les localisations des commerces en centre-ville ou en périphérie, leurs tailles et leur caractère monovalent ou pas.
Concernant ce dernier point, l’on ne peut s’empêcher de penser aux hôtels. Lorsque la relation entre l’opérateur et le propriétaire des murs est structurée sous forme de bail commercial, la question d’une révision triennale pourrait être posée. L’analyse du caractère durable ou non de l’impact impliquera la prise en compte de plus nombreux facteurs, touchant notamment au tourisme et à la « fermeture » de certaines frontières pour une durée difficilement prévisible.
Pierre-Axel Chabot est Partner chez CMS De Backer.