Le CEO de Carrefour Alexandre Bompard n’y est pas allé par quatre chemins lors de la présentation de son plan de transformation : le groupe est à l’aube d’une révolution culturelle. Il faut faire table rase de tous les tabous.
Trop lent
« Savez-vous combien d’étapes sont nécessaires chez nous pour faire approuver un simple folder ? 27 ! Ce n’est plus possible ! » Au cours d’un discours étoffé, Alexandre Bompard n’a pas mâché ses mots. Carrefour, avec son organisation lourde et bureaucratique, se voit confronté à une transformation brutale du paysage concurrentiel, suite à l’apparition de plateformes mondiales, de nouvelles alliances et de start-ups innovantes, ainsi qu’à l’évolution des attentes des consommateurs et de leurs habitudes alimentaires. Face à tous ces changements, Carrefour a réagi bien trop tardivement.
« Nous avons échoué avec Carrefour Drive. Nous n’avons pas suffisamment investi dans ce concept et par conséquent aujourd’hui notre part de marché se limite à 10% seulement. Nous sommes actifs dans tous les formats de magasins, mais nous ne sommes pas ‘omnicanal’. Nous profitons trop peu de notre envergure. Nos frais généraux sont excessivement élevés, notre image prix est problématique. » Une transformation radicale s’impose donc, souligne le CEO. « Nous sommes à l’aube d’une révolution culturelle sans précédent. » L’analyse semble claire, mais dans quelle mesure le plan présenté par Bompard est-il réellement radical ?
Réduire la surface des magasins
On s’attendait à ‘un bain de sang’. 2.400 postes seront supprimés aux sièges principaux : ce n’est pas rien, mais précisons qu’il ne s’agit pas de départs forcés. En outre les 273 anciens magasins DIA seront cédés ou fermés. Une organisation plus efficace devrait permettre d’économiser deux milliards d’euros par an. Quant aux hypermarchés – dont certains sont structurellement déficitaires – aucun ne fermera, même si Bompard dit vouloir s’attaquer à quatre tabous.
Si nécessaire, la surface de certains magasins sera réduite : au total il est question de 100.000 m² superflus en France (5,5% de la surface), qui pourront être loués à des tiers ou transformés en ‘dark stores’, par exemple. Dans le non-food Carrefour procède à des choix encore plus clairs : pour certaines catégories le retailer conclura des accords de collaboration avec des partenaires comme Fnac Darty. L’efficacité opérationnelle des magasins doit être améliorée. Aucun magasin ne devra fermer ses portes, mais cinq d’entre eux passeront sous le régime de la franchise.
Centralisation des achats
En tout cas c’en est terminé des grandes refontes qui ne génèrent que 5% de chiffre d’affaires en plus. Fini également les investissements dans des surfaces supplémentaires pour gagner des parts de marché. Bompard entend centraliser les achats, afin que l’organisation puisse profiter des économies d’échelle à l’international. En outre l’assortiment des magasins sera réduit de 10%. « Dans certains rayons la lisibilité devient un problème, alors que la croissance est quasi inexistante. Il nous faut donc rationnaliser pour faire de la place aux nouveaux assortiments tels que le bio, le local … . Nous examinons les choses catégorie par catégories et fabricant par fabricant. »
Carrefour investira dans les réductions de prix et les marques maison, dont la part dans le chiffre d’affaires total devra grimper de 22% à 33% (sur ce plan le retailer avait un retard). Selon le CEO, le format de proximité recèle également un potentiel de croissance : l’objectif est d’ouvrir au moins 2000 magasins de proximité dans le monde dans les cinq années à venir, principalement dans les grandes villes. Bompard envisage également le développement de concepts innovants, mais « la formule Bon’app ne me plaît, nous allons la revoir. »
Leader du e-commerce alimentaire
La condition indispensable pour un avenir fructueux, est une stratégie omnicanal à part entière, souligne le CEO. « Ceci est notre priorité et nous allons investir massivement dans ce domaine : 2,8 milliards d’euros d’ici 2022, soit six fois plus qu’aujourd’hui. L’objectif est de procurer à nos clients une expérience d’achat digitale incomparable.» Mais pour ce faire, il reste encore du pain sur la planche. « Aujourd’hui nous avons huit sites e-commerce différents, qui n’ont aucun lien entre eux. Nous voulons un webshop par pays. En France il s’agira de carrefour.fr. Nous introduirons la livraison à domicile sur rendez-vous, nous étendrons les livraisons endéans l’heure, nous ouvrirons 170 nouveaux drives. Nous voulons devenir leader du e-commerce alimentaire. »
D’ici 2022 le chiffre d’affaires alimentaire online devrait atteindre cinq milliards d’euros et la part de marché devrait dépasser les 20% en France. La moitié des investissements marketing seront consacrés aux activités digitales, contre 8% seulement aujourd’hui. L’ensemble du réseau de magasins (12.000 magasins au total) devra participer à la démarche omnicanal, notamment en tant que point de retrait ou de retour. En outre Carrefour annonce un partenariat stratégique avec Tencent : « Nous voulons jouer un rôle de leader dans l’e-commerce alimentaire en Chine. »
Par ailleurs le retailer misera pleinement sur le frais, dont la croissance doit être trois fois plus élevée que celle des aliments secs. C’est pourquoi le groupe continuera d’investir dans la Filière Qualité Carrefour, dans l’agriculture durable, dans le plus grand assortiment de poisson durable et dans une offre d’au moins 50% de fruits et légumes d’origine locale. Bompard insiste également sur l’alimentation bio, qui devrait atteindre un chiffre d’affaires de cinq milliards d’euros, mais à prix abordables. « Nous voulons être des précurseurs dans la démocratisation du bio. Cet assortiment ne peut être réservé uniquement aux citadins aisés.» Afin de garantir la qualité et la traçabilité, Carrefour investit dans le technologie blockchain.
A suivre …
Conclusion ? Nous découvrons peu de vraies surprises dans ce plan de transformation. La réduction des coûts et l’investissement massif dans la digitalisation étaient attendus et semblent justifiés. Le retailer nourrit de hautes ambitions et met la barre très haut. Mais en ce qui concerne la table rase des tabous, l’on s’attendait à pire et le CEO reste assez vague sur la façon dont il compte atteindre ses objectifs. Parviendra-t-il à rentabiliser les hypermarchés en difficultés par des ajustements somme toute assez légers ? La croissance visée dans l’e-commerce est-elle réalisable et sera-t-elle durablement rentable ? L’alimentation bio représente-t-elle réellement l’avenir ? A suivre …
Par contre pour ceux qui espéraient des infos concernant l’organisation belge, ils sont restés sur leur faim. Mais si Carrefour annonce la rationalisation tous ses sièges principaux, il est fort probable que certains emplois à Evere passent à la trappe. De plus, la volonté de Bompard de centraliser les achats, aura immanquablement un impact sur notre pays. Toutefois, en France du moins, il s’agit uniquement de départs volontaires. En outre, le CEO ne semble pas vouloir fermer d’hypermarchés, même s’ils sont structurellement déficitaires (ce qui est le cas également pour certains magasins français). Ceci serait une bonne nouvelle pour la Belgique, mais il nous faudra patienter jusqu’à jeudi midi pour en savoir plus …