Combien d’impôts paye Amazon ? Personne ne le sait, et c’est bien le but de la place de marché en ligne. En Europe, le géant du Web ne paie pas d’impôt malgré un chiffre d’affaires faramineux. De nouvelles études expliquent le modus operandi.
Tampon fiscal de plusieurs milliards
Amazon n’a pas dû payer d’impôts en Europe l’année dernière, alors que la société a bouclé une année record. Le chiffre d’affaires est passé de 12 milliards d’euros à 44 milliards d’euros, mais la branche européenne a enregistré une perte de 1,2 milliard d’euros. Toutefois, cela ne signifie pas que l’entreprise ne fait pas de bénéfices. Au contraire : les bénéfices ont dépassé la barre des 14 milliards d’euros, mais les autorités fiscales n’en ont jamais vu la couleur.
Comment est-ce possible ? Des chercheurs de la City University de Londres se sont penchés sur la question, pour le compte de l’aile gauche au Parlement européen. Le fait qu’Amazon ait échappé à une amende monstre pour réductions fiscales illégales au Grand-Duché de Luxembourg ne les étonne pas.
En effet, l’étude identifie clairement le Luxembourg comme épicentre, Amazon s’appuyant principalement sur une politique fiscale américaine très accommodante pour les multinationales. L’entreprise de Jeff Bezos joue beaucoup sur un système de crédits d’impôt qui lui permet, aux États-Unis, de déduire de son bilan global les pertes subies à l’étranger. Ces crédits sont délibérément constitués comme un tampon : Amazon aurait encore 13,4 milliards de dollars de crédits d’impôt, qu’il pourra également utiliser ultérieurement.
Profits et pertes simultanés
L’étude appelle l’Europe à se pencher sur « l’augmentation simultanée des pertes internationales et des bénéfices non rapatriés coordonnés au Luxembourg », et affirme qu’Amazon a déjà réalisé plus de bénéfices non imposés que le montant total des impôts dûs jusqu’à présent.
Car malgré les lourdes pertes d’Amazon à l’échelle internationale, la société affiche également 17,2 milliards de dollars (14,2 milliards d’euros) de bénéfices non rapatriés dans son segment international. « Comment Amazon a pu afficher des pertes aussi importantes tout en accumulant des bénéfices non rapatriés ? C’est un mystère », indique le rapport.
Il convient également de noter que l’acteur du commerce électronique au Luxembourg est assis sur une montagne de liquidités, accumulées minutieusement au fil des années. Les pertes les plus importantes ne concernent pas l’Europe, mais les sociétés en Inde et en Chine. Ce qui étonne les chercheurs, c’est que le rapport entre les revenus et les dépenses y reste toujours constant. Peu importe les évolutions au cours de la dernière décennie, les coûts valent toujours le double des revenus. « Cela a fait naître un doute, les pertes déclarées sont-elles des pertes réelles », a déclaré le professeur Ronen Palan, responsable de l’enquête, au Irish Times.
L’Europe trompée
Ce que fait Amazon n’est pas illégal en soi : de nombreuses entreprises et multinationales américaines jouent le même jeu arbitraire. Mais Amazon y joue particulièrement bien. Les auteurs de l’étude reprochent à l’entreprise de présenter des rapports délibérément confus pour masquer sa stratégie fiscale douteuse. Le fait que tous les pays n’attendent pas le même rapport est plutôt pratique : tout ce qui ne peut pas être dévoilé reste bien dissimulé.
Par conséquent, il est impossible de savoir combien d’impôts le géant du Web paie réellement. Juste qu’il en paye très peu, évidemment. Par conséquent, quiconque voudra condamner Amazon à une amende devra s’y prendre autrement, conclut le rapport. L’aile gauche demande maintenant la réouverture de l’enquête et l’imposition fixe d’un impôt minimum de 25 % pour les multinationales.
Parallèlement, l’Allemagne ouvre également une nouvelle enquête sur le géant du Web, cette fois-ci pour un potentiel abus de pouvoir. Depuis le début de l’année, une nouvelle législation antitrust pour les entreprises numériques est entrée en vigueur dans le pays, donnant à l’autorité de la concurrence plus de poids pour prendre des mesures contre les entreprises qui faussent la concurrence sur le marché libre.