2022, année de la libération du Covid et de l’envie irrépressible de consommer ? Oui, mais aussi l’année où d’intouchables géants de la grande distribution sont tombés de leur piédestal – d’Amazon à Colruyt –, où même le papier toilette a menacé de devenir un problème.
Des envies irrépressibles, juste un peu différentes
Vous vous rappelez ? Il y a un an, il fallait encore porter un masque pour se rendre au supermarché et aux Pays-Bas, il n’était carrément pas possible de se rendre dans un magasin. La fin de la pandémie n’a pas été joyeuse. Il a fallu attendre mars pour enfin pouvoir retirer son masque. Sauf que cette envie irrépressible de consommer a pris un tout autre sens le 24 février, quand la Russie a envahi l’Ukraine. Non seulement les retailers, marques et fabricants ont subitement perdu d’importants débouchés, mais la guerre a tout aussi rapidement compromis l’approvisionnement en matières premières. Nous avons donc recommencé à nous rationner et à constituer des réserves, cette fois d’huile et de farine.
Dans le même temps, l’inflation atteignait des sommets inégalés, comme les prix de l’énergie et des produits de base. Tout le monde, des producteurs de petits pois aux boulangers en passant par les fabricants de papier toilette, a été contraint de – littéralement – tirer la prise au moins un temps. Et les consommateurs de sombrer dans une « crise du pouvoir d’achat ». On peut en sourire aujourd’hui, mais en avril dernier, nous avons tous paniqué face à des hausses de prix moyennes de 6% dans les supermarchés. En décembre, elles atteignaient 18% – et ce n’est pas fini. La période aurait pu être très favorable au hard-discounter Mere, sauf que personne ne voulait encore s’afficher avec des Russes.
Se battre pour chaque centime
Collaborer était de toute manière difficile, malgré les supplications de notre Captain of Retail Jorg Snoeck. Même les organisations d’achat tanguaient. Car dans un paysage où chacun se bat pour le moindre centime, il est plus facile de trouver des boucs émissaires. C’est ainsi que la mayonnaise, les biscuits et le shampooing ont parfois disparu de nos rayons. Sans oublier le chocolat. Mais la cause était cette fois différente : on a subitement découvert des salmonelles chez Ferrero et chez Barry Callebaut, ainsi que des E. coli dans des pizzas. Exactement ce qui manquait.
Pour le personnel aussi, l’année s’est résumée à un long combat. Car 2022 a aussi été l’année des journées de grève nationale et des pénuries de personnel, notamment dans le retail et l’horeca. Incertitude et craintes de récession ont pesé sur les collaborateurs, alors que les retailers ont éprouvé les pires difficultés à encore trouver des employés. Ce, même si les réorganisations et autres restructurations se sont multipliées. Henkel : 2000 emplois supprimés. H&M : 1500 licenciements. Unilever : 1500. Amazon: 10.000 pertes d’emploi évoquées. Hema, Bol.com, C&A et Ekoplaza se sont également joints à la danse.
La chute des géants
Il est à noter que la crise a avant tout frappé des rois de l’e-commerce qui se croyaient intouchables depuis la pandémie. Les consommateurs ont fait leur retour dans les magasins physiques et la bulle a éclaté. Alors qu’ils enregistraient toujours des résultats records début 2022, Amazon, Alibaba, Zalando, Coolblue et même Bol.com ont vu leurs bénéfices fondre comme neige au soleil. Après ces « pertes historiques », Zalando a remis au placard ses plans de conquête des États-Unis, comme Bol.com ses projets d’entrée en Bourse. Amazon a fermé des magasins physiques et même le lancement tant attendu de leur plate-forme en Belgique s’est déroulé en mode mineur.
Même le fier pionnier de la vente directe aux consommateurs Made.com a coulé, alors que les « livreurs express » ont disparu aussi vite qu’ils étaient apparus. Le début d’année avait pourtant été prometteur pour Gorillas, avec le partenariat signé avec Jumbo, mais la société a fini par être engloutie par son concurrent Getir – à moitié du prix. L’année a été ainsi marquée par une grosse consolidation dans les deux-roues, qu’il s’agisse des coursiers à vélo ou des magasins de cycles. On notera donc les premiers tours de roue dans la course opposant Lucien, Bike Republic et le nouveau venu Raida, qui se poursuivra sans aucun doute en 2023. Côté coursiers à vélo, il était surtout question de réduire les pertes et de trouver de petits compromis avec la concurrence.
Tout cela n’a pas empêché le groupe Colruyt de se lancer dans l’e-commerce cette année avec l’acquisition de Newpharma et l’absorption de Smartmat. En 2022, les Hallois ont tout mis en œuvre pour démontrer qu’ils ne se résumaient pas à l’alimentation. Une stratégie d’urgence, car sur le front de l’alimentation, ce Dieu apparemment intouchable du retail a lourdement chuté de son piédestal. Il n’y a plus de certitudes désormais, même si Jumbo tente de prétendre le contraire avec désormais 27 magasins ne Belgique.
Le vert, couleur de la croissance
A-t-on assisté à un ralentissement sur le front de l’innovation et de la numérisation en 2022 ? Toujours pas, même si on est revenu à un peu plus de modestie. « Le métavers peut attendre », a-t-on ainsi entendu, malgré des projets de NFT et de métavers assez délirants chez Carrefour, Walmart et Selfridges. Ces derniers ont d’ailleurs rapidement changé d’approche : la moitié du chiffre d’affaires devra bientôt provenir de l’occasion, de la location ou de la réparation. L’innovation s’est ainsi prée de vert en 2022.
On se réjouira également du fait qu’écologique puisse désormais rimer avec économique. De Balenciaga à Decathlon en passant par Zeeman, toute enseigne de mode qui se respecte a dû jouer la carte de l’occasion cette année. Les marchés de la deuxième main ont ainsi connu une croissance sans précédent. Même si Dreambaby et Zalando ont rapidement remarqué qu’il n’était pas facile de joindre le geste à la parole dans ce domaine.
En outre, le vert s’accorde bien avec les pénuries de matières premières et la flambée des prix. Nous devons désormais nous orienter vers un modèle plus circulaire, et on l’a parfaitement compris chez Ikea, notamment. Les promesses de neutralité climatique se sont multipliées et l’adhésion des consommateurs a finalement été assez forte pour autoriser des mesures révolutionnaires : les magasins français et néerlandais garderont désormais leurs portes fermées, tandis qu’au niveau européen, on a trouvé un accord historique contre la déforestation.
Néanmoins, l’innovation technologique a également été considérable : notons le magasin sans caisses ouvert par Aldi, alors que Colruyt a préféré des camionnettes de livraison sans chauffeur. Carrefour est même venu remplir les réfrigérateurs des Français. Alibaba et M&S ont lancé des influenceurs virtuels. Sans oublier Walmart, qui a déjà livré 4 millions de foyers à l’aide de drones. Mais c’est une enseigne de mode nationale qui a fait découvrir aux Belges de 7 à 77 ans le monde merveilleux des jeux en ligne et du métavers. JBC a ainsi fait œuvre de pionnier en Belgique avec sa propre boutique virtuelle dans Fortnite et une collaboration remarquable dans Roblox. Les joueurs étrangers ont ainsi pu prendre exemple sur leur Camille virtuelle et sa collection.
De tous les peuples de la Gaule…
Il ne fallait pas sous-estimer les Belges en 2022, à condition de les laisser se débrouiller seuls. Au-delà de Mestdagh racheté par les Français d’Intermarché et de la malheureuse agonie de Makro, on a pu noter plusieurs comebacks fracassants ces douze derniers mois. Notamment celui d’Inno (oui, nous pouvons à nouveau appeler « l’Inno » comme d’antan), qui a enfin renoué avec les bénéfices après avoir a été autorisé à relancer ses activités en toute autonomie. Wibra aussi a renoué avec la croissance après un rachat par la direction. Enfin, Florapoint nourrit des ambitions nationales dans… le cannabis.
Kruidvat veut atteindre les 300 magasins en Belgique, alors que plusieurs nouveaux venus entrevoient des opportunités en Belgique – du géant américain Bath & Body Works à la marque de mode danoise Vila. Même Peek & Cloppenburg n’a pas évité la Belgique cette année. Signe que le « grand reset du retail » est finalement en marche après tout ? The future of shopping continuera en tout cas à se déployer sous nos yeux en 2023.