L’arrivée d’Amazon au Benelux provoque un bouleversement. Les experts sont assez pessimistes : un assortiment incommensurable, des prix extrêmement bas et un abonnement Prime bon marché, voilà tous les ingrédients d’un écosystème mortellement efficace. Que peuvent faire les acteurs locaux face à cela ?
Une épée à double tranchant
Le moment ne pouvait pas être mieux choisi : la boutique en ligne néerlandaise d’Amazon démarre en pleine crise du coronavirus, maintenant que le chiffre d’affaires du commerce électronique connait partout une forte croissance. C’est ce qui s’appelle « avoir le vent en poupe ». Une concurrence féroce avec des acteurs locaux comme Coolblue et bol.com semble inévitable. « Surtout sur le prix, mais aussi sur l’assortiment : après tout, il est tellement large qu’on peut commander littéralement n’importe quoi. Ce n’est pas pour rien qu’on surnomme Amazon le “Everything Store” (“la boutique à tout vendre”) », explique Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail. Plus de cent millions d’articles sont déjà disponibles sur amazon.nl : c’est presque cinq fois plus que sur bol.com. En tant que moteur de recherche pour les produits, Amazon est déjà plus important que Google.
La moitié de cette vaste gamme est fournie par des partenaires commerciaux externes : des milliers d’entrepreneurs néerlandais vendent déjà leurs produits sur la plateforme, déclare le nouveau venu dans son message de lancement. Ils comptent sur des opportunités de vente supplémentaires, mais pour survivre, ils doivent afficher une offre unique : « Amazon dispose de toutes les données. Ils peuvent voir quels produits sont populaires, et quels sont les produits les plus vendus qu’ils peuvent ensuite eux-mêmes proposer », craint Jorg Snoeck. C’est donc une épée à double tranchant.
Stimulant pour le secteur du commerce électronique
Pour le spécialiste néerlandais d’Amazon, Rishi Kartaram, il sera extrêmement compliqué pour les partenaires locaux de se distinguer dans l’énorme offre excédentaire. Le réseau international d’Amazon est un grand atout, affirme-t-il : les fournisseurs proviennent de pays comme l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et le Royaume-Uni. Ils se font concurrence sur les prix, de sorte que la plateforme en ligne peut garantir des prix plus bas que, par exemple, bol.com. Ce qui engendre alors aussi un rétrécissement des marges pour tous.
Mais tout le monde n’a pas peur : selon Greet Dekocker, directrice de l’association sectorielle belge SafeShops.be, l’arrivée d’Amazon au Benelux pourrait être un stimulant pour l’ensemble du secteur du commerce électronique. « Dans d’autres pays, nous avons constaté que le lancement d’une nouvelle marketplace avait souvent un effet positif sur les ventes d’autres boutiques en ligne, car les consommateurs prennent l’habitude de faire des recherches en ligne. De nombreux membres estiment également que cela peut être une opportunité en soi d’exporter via Amazon ou d’autres places de marché. »
Prévoir les comportements d’achat
L’intelligence artificielle n’est pas un vain mot chez Amazon : la société possède une richesse incroyable de données clients et investit des milliards dans l’analyse des données. Ils sont donc en mesure de prévoir les comportements d’achat. « Supposons que vous achetiez du shampoing sur leur site web. Par quelques questions simples et en quelques clics, ils connaissent la composition de votre famille », explique M. Kartaram. « Bien sûr, ils savent combien de bouteilles shampoing vous avez achetées et, sur la base de ces données, ils peuvent calculer quand celles-ci seront à peu près vides. Vous pouvez être sûr que vous serez alors bombardé de promotions le moment venu. » Essayez un peu de concurrencer cela…
Et puis il y a Amazon Prime : ce service qui combine une offre de streaming à prix très compétitif avec toutes sortes d’avantages supplémentaires tels que la livraison rapide et gratuite. Selon Rishi Kartaram, c’est une histoire intelligente : « Une fois que vous aurez souscrit à un tel abonnement, vous commanderez plus rapidement sur Amazon. Après tout, vous ne payez plus de frais d’expédition. Je pensais que cela coûterait 5 euros en combinaison avec la livraison gratuite, mais c’est bien pire : le premier mois est gratuit et vous ne payez ensuite que 2,99 euros par mois. »
Arme fatale
C’est peut-être la véritable arme fatale d’Amazon. Le service d’abonnement enferme, pour ainsi dire, les clients dans l’écosystème du géant de l’Internet. Les abonnés de Prime dépensent la majeure partie de leur budget sur Amazon. « Cela devient la clé du marché », pense aussi le fondateur de RetailDetail. Amazon.nl va bouleverser le marché du commerce électronique au Benelux, cela ne fait aucun doute : « Cette année, ils seront numéro un, peut-être deux à trois fois plus importants que tous les autres réunis. »En Wallonie, où bol.com et Coolblue ne sont actifs que depuis peu, Amazon France est depuis longtemps le leader incontesté du marché.
Le Prime Day en juillet, la version d’Amazon du Black Friday, sera un moment important : 48 heures d’offres spéciales et d’actions promotionnelles combinées à une offre d’essai gratuit de 30 jours pour Amazon Prime. Cela devrait booster fortement l’entreprise dans le Benelux. D’ici le vrai Black Friaday, le 27 novembre, le géant sera déjà devenu un leader du marché. D’autres boutiques en ligne devront participer à une spirale de prix négatifs, qui entraînera la fonte des marges et accentuera la pression sur les fournisseurs. De belles perspectives…
Le facteur sympathie suffit-il ?
Les concurrents locaux ne restent cependant pas inactifs : bol.com propose dorénavant une offre de mode et a réduit la commission de ses partenaires commerciaux. Une nouvelle campagne valorisant les partenaires locaux est en cours. Officiellement, ces initiatives n’ont rien à voir avec l’arrivée d’Amazon, mais personne n’est dupe. Ahold Delhaize ne s’inquiète pas et rappelle les chiffres forts : bol.com compte 10 millions de clients et 27 000 partenaires, la croissance annuelle atteint les 30 %. En revanche, sur les chiffres des bénéfices, s’il y en a, l’entreprise ne dit mot.
De nombreux observateurs ne comprennent pas pourquoi Ahold Delhaize n’intègre pas davantage l’activité de bol.com dans la stratégie de ses chaînes de supermarchés, qui accueillent des millions de clients chaque semaine. Les magasins font effectivement office de points de collecte, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant de parvenir à un véritable écosystème à part entière. « Il faut chercher loin pour trouver la synergie », confirme Snoeck : « Ils restent des îles. Albert Heijn et Delhaize ne sont pas encore en mesure de travailler ensemble, et donc encore moins d’intégrer bol.com. »
Bol.com espère tenir bon en se concentrant encore davantage sur la proximité et les partenariats locaux. La marque peut en effet compter sur une forte clientèle locale et une grande confiance des consommateurs. Coolblue compte également sur ce « facteur sympathie », l’attachement de la clientèle locale. Les deux sociétés offrent également un niveau de service élevé. Mais cela suffira-t-il ? Pour Wehkamp, les observateurs prévoient les plus gros problèmes : l’entreprise ne sait pas suffisamment se diversifier et pourrait être la première victime de la concurrence accrue.
Ce qu’Amazon ne sait pas faire
Enfin, la question clé est de savoir ce que cette nouvelle vague de croissance de l’e-commerce peut signifier pour les rues commerçantes, où le taux d’inoccupation bat déjà des records. D’autres coupes sombres sont-elles à prévoir ? L’apocalypse pour le commerce de détail au Benelux ? « Le seul avantage de la rue commerçante reste le contact personnel avec les clients », déclare Jorg Snoeck. « Les magasins sans valeur ajoutée sont éliminés. Sur l’assortiment et le prix, vous ne pouvez pas gagner. Il faut se concentrer sur “ce qu’Amazon ne pas faire” : décentraliser, placer l’être humain au centre. Établissez une relation de confiance avec votre clientèle et maintenez le meilleur contact possible. »
C’est aussi ce que pense Natalie Berg, auteur du livre « Amazon : de retailer die alles op zijn kop zet » (« Amazon : le retailer qui chamboule tout ») : « Amazon a aussi des faiblesses. Il a anéanti toute forme de plaisir dans le shopping, parce que tout est purement fonctionnel et transactionnel. Sur Amazon, on achète, mais on ne fait pas du shopping. La boutique en ligne élimine les frictions, mais aussi l’expérience. Concentrez-vous donc sur ce qu’Amazon ne sait pas offrir : l’expérience, la curation, le service, la communauté, la découverte… C’est là que résident vos opportunités. Reposez-vous sur vos propres forces : vos magasins et vos équipes. »