Tout ce qui est aujourd’hui monnaie courante sur la toile, nous le devons à Amazon. Mais pour croître davantage, l’empire de Jeff Bezos devra également se faire une place dans les secteurs de la mode et de l’alimentation. Et, comme l’explique Nathalie Berg, experte en commerce de détail chez NBK Retail, cela n’est possible qu’avec des magasins physiques.
Le darwinisme du commerce de détail
Quelle est la meilleure stratégie des détaillants du Benelux face à l’arrivée du géant du Web ? L’auteure du livre « Amazon : le retailer qui chamboule tout» a partagé sa vision lors du congrès Omnichannel & E-Commerce de RetailDetail le 6 février. Son constat n’est pas négatif : Amazon est certes une entreprise puissante, mais grâce à elle de nombreuses évolutions bénéfiques ont vu le jour. Et l’entreprise n’étant pas parfaite, ses lacunes offrent des opportunités.
« Nous avons assisté à des changements incroyables au cours des dix dernières années. Le shopping n’est plus ce qu’il était : plus besoin de magasins, ni même d’un écran. De plus, le magasin n’est désormais plus un point de vente : la possession devient disponibilité, les produits deviennent des services. Nous constatons un changement fondamental dans la manière dont nous achetons et dans ce que nous achetons. Les consommateurs privilégient désormais la perception à la possession. « En conséquence, nous vivons actuellement une période de darwinisme du commerce de détail », dit-elle. « Soit vous êtes à l’origine des perturbations, soit vous en êtes victime. »
Pas d’apocalypse
Sommes-nous réellement en train de vivre une apocalypse du commerce de détail, comme certains le prétendent ? Il est vrai que des magasins ferment et qu’il y a trop de mètres carrés qui ne sont pas utilisés de manière optimale, mais ce n’est pas nécessairement la faute d’Amazon. Les détaillants font faillite pour diverses raisons. Par exemple, parce que leur secteur d’activité est passé en ligne : c’est ce qu’il s’est passé avec les vidéos, et en partie avec les livres. Ou parce qu’ils doivent faire face à des concurrents plus forts qu’eux : c’est notamment le cas de Gap, Forever 21 et Abercrombie & Fitch… D’autres détaillants sont mis à mal par une trop grande surface et un manque de pertinence, comme Macy’s, Debenhams ou Mothercare.
Après tout, la règle d’or perdure : dans le commerce de détail, il faut répondre aux attentes de ses clients. « Distinguez-vous de vos concurrents. Amazon tue le commerce de détail de piètre valeur ajoutée. Tout ce qui est aujourd’hui monnaie courante sur la toile, c’est à Amazon que nous le devons : les livraisons gratuites et rapides, les paiements en un clic, l’assistance vocale, l’importance des avis… En outre, le détaillant a également fait entrer le magasin physique dans l’ère du XXIe siècle. Amazon a fait de nous de meilleurs détaillants et a amélioré l’expérience client. »
Obsession pour le client
Mais l’entreprise Amazon est-elle vraiment un détaillant ? Plus de la moitié de ce que vend Amazon provient de partenaires sur le marché. « D’ici à 2021, l’essentiel du chiffre d’affaires sera issu de la vente de services et non de produits. Pensez à ses services cloud, à ses publicités… La plateforme a largement gagné la confiance des consommateurs, et peut désormais en bénéficier pour se développer dans d’autres secteurs, comme le secteur bancaire. Et l’abonnement Prime est l’ancre de l’écosystème. »
Alors, à quoi ce géant doit-il son succès ? « Amazon est obsédé par le client. L’entreprise ne se contente pas du statu quo, elle cherche sans cesse à améliorer l’expérience client. C’est pourquoi Amazon se concentre sur la manière de vendre, et non sur le produit à vendre. Parfois, les innovations simples sont les meilleures : par exemple, l’e-commerçant avait installé des casiers au festival de Coachella. Les visiteurs pouvaient y retirer leurs commandes. C’est suivre le client, au sens le plus littéral. »
« Amazon investit plus que toute autre entreprise dans la recherche et le développement. L’entreprise ne craint pas l’échec. Et elle a le luxe de pouvoir penser à long terme. En 1997, Jeff Bezos avait déjà déclaré : « Nous ne serons pas rentables avant un bon moment. L’entreprise a continué à investir dans la croissance et la technologie. Ce n’est que depuis ces dernières années qu’elle réalise des bénéfices, principalement grâce aux services cloud. Et cette stratégie a payé en bourse : en termes de capitalisation boursière, l’entreprise pèse aujourd’hui plus de mille milliards de dollars. »
Tournant
Parallèlement, Amazon est à un tournant. Pour devenir encore plus grand, Amazon doit réussir à s’imposer dans la mode et l’alimentation. C’est difficile, et cela ne peut se faire sans magasins physiques : être actif en ligne ne suffit plus. En Chine, JD.com et Alibaba montrent la voie avec leur approche de « la nouvelle vente au détail ».
Pourquoi Amazon devrait-il sortir du monde virtuel ? Selon Natalie Berg, pour cinq raisons : les avantages structurels de ne plus être en ligne ; les magasins physiques permettent à Amazon de se rapprocher des consommateurs (avec des points de ramassage, par exemple) et les magasins font la publicité de la marque ; l’avenir du commerce de détail est à la croisée du monde réel et du monde virtuel ; les magasins sont prêts à subir des perturbations (qui souhaite encore faire la file à la caisse ?) et enfin, les magasins contribuent également à renforcer l’écosystème d’Amazon. « Pourquoi Amazon s’est-il lancé dans la vente de haut-parleurs intelligents Echo chez Whole Foods ? Les gens qui achètent un haut-parleur Echo deviennent membres Amazon Prime et achèteront donc encore plus chez Amazon. » En bref : « Amazon réalise désormais que les magasins sont l’avenir du e-commerce. »
« Coopétition »
L’entreprise va certainement changer radicalement notre façon de faire nos courses. « Elle démocratise le e-commerce dans l’alimentation et utilise la technologie pour éliminer les désagréments des magasins. Amazon supprime la routine des courses. Il va certainement s’imposer dans le secteur alimentaire, car l’alimentation est synonyme de fréquence : nous faisons des courses au moins une fois par semaine. Cela renforce à nouveau l’écosystème Prime. »
Comment réagir en tant que concurrent, en tant que détaillant alimentaire ? La « coopétition » sera une option : collaborer avec Amazon, votre grand concurrent. « Cette stratégie comporte des risques, mais elle offre aussi des opportunités : vous élargissez votre portée. Au Royaume-Uni, Morrisons a sauté le pas : l’entreprise profite d’une technologie innovante et augmente le trafic dans ses magasins en devenant un point de ramassage pour Amazon. Cela améliore également l’expérience client. Il faut toutefois être prudent : Kohl’s, aux Etats-Unis, a créé un programme de retour avec Amazon et les gens y viennent surtout pour Amazon… »
Ce qu’Amazon ne peut pas faire
Comment survivre en tant que détaillant dans ce nouveau monde d’Amazon ? Berg nous rassure : Amazon a aussi ses faiblesses. « Amazon a anéanti toute forme de plaisir dans le shopping, parce que tout est purement fonctionnel et transactionnel. Sur Amazon, on achète mais on ne fait pas du shopping. Amazon élimine les désagréments, mais aussi la perception. Cette tendance va se poursuivre : à l’avenir, nous passerons encore moins de temps à acheter des produits essentiels, grâce à des innovations comme l’assistance vocale et les maisons intelligentes. L’achat fonctionnel est automatisé et c’est là-dessus que mise Amazon. Mais cela creuse aussi le fossé entre l’achat fonctionnel et le fun shopping : c’est là qu’il y a des opportunités à saisir.
« Concentrez-vous donc sur ce qu’Amazon ne peut pas offrir : l’expérience, la curation, le service, la communauté, la découverte… C’est là que sont vos opportunités. Les magasins physiques doivent également radicalement changer : offrir une expérience irréprochable, se concentrer sur le client, collaborer, personnaliser. »
Le dernier conseil pour les détaillants du Benelux ? « N’essayez pas d’être Amazon, engagez-vous dans la « coopétition » en étant conscient des risques, concentrez-vous sur ce qu’Amazon ne peut pas offrir. Reposez-vous sur vos propres forces : vos magasins et vos équipes. »