Du blé aux tomates, pénuries et hausses des prix se multiplient. Il ne fait plus aucun doute que les prix des denrées alimentaires vont (continuer à) augmenter, mais les conséquences de la perturbation du système mondial vont bien au-delà – y compris pour les supermarchés.
Les denrées alimentaires en hausse de 20%
Les chiffres de Reuters confirment ce que nous pressentions tous : les cours mondiaux des denrées alimentaires ont augmenté de 20,7% en février. L’année dernière, c’est le secteur non alimentaire qui a appris à quel point la chaîne d’approvisionnement mondialisée était fragile et combien les conséquences de la moindre perturbation peuvent être dramatiques. Cette année, c’est à l’alimentation de le découvrir.
Sachant que la Russie et l’Ukraine prennent à leur compte environ un tiers de la production mondiale de blé, il n’est pas surprenant que le prix de la céréale ait atteint des niveaux records. Selon la Fédération flamande des boulangers, le prix moyen du pain devrait augmenter de 12,8% au cours de l’année.
À cela s’ajoutent les prix exorbitants de l’énergie. Les chauffeurs routiers belges ont vu les prix du diesel augmenter autant en janvier et février que sur l’ensemble de l’année 2021. Le transport de marchandises est en hausse de près de 5%, tandis qu’il arrive que les bateaux de pêche ne sortent tout simplement pas en raison de la flambée des prix du diesel. Résultat : le poisson de la mer du Nord a également augmenté de 20% le commerce de gros.
Les fruits et légumes sont confrontés aux mêmes problèmes : en février, deux fois moins de tomates belges ont été mises sur le marché, et la quantité de concombres cultivés dans le pays est en forte baisse. Les prix exceptionnels de l’énergie ont empêché de nombreux producteurs d’atteindre le seuil de rentabilité cet hiver, rapporte De Tijd, même si les prix aux enchères ont doublé pour les tomates en grappe et augmenté de moitié pour les tomates en vrac et les concombres.
Comment Poutine provoque une hausse des prix de l’huile de palme
Mais cela pourrait être pire : la perturbation de la chaîne d’approvisionnement mondialisée provoque désormais une pénurie d’huile de palme. En réaction au conflit russo-ukrainien, l’Indonésie a en effet restreint les exportations de cette huile si importante dans la production alimentaire. Le pays veut s’assurer que l’huile de cuisson reste abordable pour sa population après que les cours de l’huile de palme ont augmenté de plus de 50% cette année. En quoi les Russes sont-ils concernés ? La Russie et l’Ukraine représentent près de 80% des exportations mondiales d’huile de tournesol…
La Russie joue également un rôle important dans la production mondiale d’engrais, dont dépend la quasi-totalité de l’agriculture mondiale. Si l’on y ajoute une inflation galopante, les vestiges de la crise sanitaires et les problèmes environnementaux (la Chine, premier producteur mondial de blé, connaît la pire récolte de son histoire), le résultat est inévitable. De plus en plus de médias et d’experts sont d’accord : nous nous dirigeons vers une crise alimentaire mondiale.
Négocier l’imprévisible
Des augmentations de prix sont donc inévitables et se font déjà sentir. Les prix et les délais de livraison continueront à fluctuer et varieront fortement d’un produit à l’autre en fonction de la disponibilité locale et de la dépendance de ressources rares. Mais il est difficile pour les supermarchés d’être suffisamment réactifs et de coordonner les différents maillons de la chaîne de valeur. Les négociations annuelles entre les producteurs et les chaînes de supermarchés viennent de se terminer, et elles ont été particulièrement difficiles.
Il semble d’ailleurs qu’elles soient déjà en train de recommencer : quand les chaînes de supermarchés « refusent de confirmer ou de démentir » qu’elles sont à nouveau en discussion avec les fournisseurs, on sait ce qu’il en est. Les retailers, mais surtout les producteurs, perdent également des débouchés en Russie et en Ukraine, ce qui constitue un nouveau coup dur pour leurs finances. Mais comment négocier l’incertitude imprévisible ?
Nouvelle norme
Les perturbations de l’offre et de la demande sont régulières ces deux dernières années : depuis le début de la pandémie, il n’y a pas eu un instant de répit ni une possibilité de récupérer. Un retournement de situation est peu probable. Les observateurs présentent déjà les années 2020 comme une décennie de transition : la nouvelle normalité dont on parlait tant à l’époque de la pandémie est celle d’un système mondial chancelant. Quand ce ne sont pas des crises politiques, ce sont des pandémies ou des phénomènes naturels causés par le changement climatique.
Les producteurs et leurs vendeurs sont contraints de se tourner vers des solutions plus locales. Au lieu du « lean » et du « just in time », les entreprises investissent dans des stocks et un éventail plus large de fournisseurs interchangeables. Il en va de même pour les entrepôts : l’accessibilité des régions pouvant fluctuer sous l’impact des crises, les stocks doivent être répartis de manière intelligente sur plusieurs sites. L’intelligence artificielle devient également un outil important pour une meilleure adéquation entre l’offre et la demande. Le secteur non alimentaire l’a déjà fait. C’est désormais au tour de secteur alimentaire de tirer les enseignements de sa grande dépendance à d’une chaîne d’approvisionnement mondialisée, mais fragile.