Kraft Heinz ambitionne une forte croissance sur le marché belge et a dans cette optique déménagé ses bureaux de Turnhout à Anvers. Le fabricant mise sur des marques fortes, des innovations saines et l’exploration de nouvelles catégories.
Fleurons locaux
Le siège belge de Kraft Heinz, cinquième plus grande entreprise agroalimentaire au monde, a récemment déménagé de Turnhout à Anvers. La marque nourrit de grandes ambitions en Belgique et s’est donc mise en quête d’une adresse dans la cité scaldienne afin de rendre l’entreprise plus accessible et d’attirer plus facilement de nouveaux talents. Le siège flambant neuf a pris ses quartiers dans l’espace de travail innovant MeetDistrict près de la gare de Berchem et à un jet de pierre de l’E19. RetailDetail y a été chaleureusement accueilli par le jeune Carlos Faria âgé de 33 ans, qui fait la navette en train entre Amsterdam et Anvers. « J’ai le luxe de ne pas avoir besoin de voiture », s’esclaffe-t-il.
En Belgique, Kraft Heinz est surtout active dans le retail avec les marques Heinz et Kwatta. La première est une marque internationale, tandis que la seconde est un fleuron local. Kraft Heinz dispose bien sûr de tels ‘joyaux’ dans d’autres pays. « Ils sont souvent le résultat de reprises historiques et sont importants pour le groupe ; ils constituent un axe essentiel de notre stratégie. Nous testons actuellement le concept unique de Kwatta aux Pays-Bas sous la marque Venz. »
Stratégie de marque
Parmi les marques distribuées en Belgique, on peut encore citer Weight Watchers (repas surgelés), Brinta (petit-déjeuner), Lea & Perrins et Amoy. L’entreprise est environ sept fois plus importante aux Pays-Bas, à travers des marques telles que Honig, Karvan Cevitam, Heinz, Roosvicee, la sauce saté Wijko, Venz, Koninklijke De Ruijter et Brinta. Chaque business unit dispose d’une grande autonomie au sein du groupe. L’approche menée en Europe diffère très fort de la stratégie en place en Amérique, où la multinationale est aussi active dans les catégories du frais (avec les charcuteries d’Oscar Mayer par exemple), des desserts et des jus. Si la branche américaine a surtout fait l’objet d’échos négatifs dans la presse ces derniers temps, les activités européennes ont le vent en poupe.
Les consommateurs n’ont toutefois pas toujours conscience qu’ils achètent des marques appartenant au groupe Kraft Heinz. De plus, même une marque mondiale comme Heinz jouit d’une perception différente sur chaque marché. « Au Benelux, la marque est surtout associée au ketchup et autres produits à base de tomates, alors qu’au Royaume-Uni, elle évoque davantage les haricots blancs sauce tomate, les soupes et la mayonnaise. Nous adaptons notre stratégie de marque à notre stratégie de marché. Il n’est par exemple pas concevable de vendre des vermicelles en chocolat sous la marque Heinz… »
Produits plus sains
RetailDetail : Heinz est active dans des catégories food assez traditionnelles, connaissant une croissance faible voire nulle. Comment pensez-vous stimuler cette croissance ?
Carlos Faria : « Nous avons réalisé d’assez bons résultats ces trois dernières années. Nous nous efforçons de bien cerner les besoins du consommateur et veillons à une exécution sans faille. L’innovation reste une arme clé. Notre centre de recherche et de développement à Nimègue est équipé depuis 2013 d’une plate-forme technologique dont l’objectif est de rendre nos produits plus sains, notamment en réduisant leur teneur en sucre. Nous proposons aujourd’hui du ketchup contenant 50 % moins de sucre et de sel, ainsi que des baked beans et des soupes sans sucres ajoutés. Aux Pays-Bas, la marque de sirops Karvan Cevitam a lancé une gamme ‘0 % de sucre ajouté’. Et le succès est au rendez-vous : la catégorie sans sucre progresse de 65 %, contre 2 % pour l’ensemble de la catégorie. Le segment représente déjà 20 % du marché. La santé est et reste une tendance incontournable. Le sucre n’est pas le seul ingrédient mis en cause. Il en va aussi des additifs, de la transparence, des habitudes alimentaires… »
« Nous élargissons par ailleurs nos activités à de nouvelles catégories, comme par exemple récemment la mayonnaise et les sauces pour pâtes. Ce sont effectivement des catégories très traditionnelles, à la limite ennuyeuses, mais nous essayons d’y apporter de la nouveauté et de l’intérêt. Nous nous appuyons pour ce faire sur de nouvelles recettes ou des emballages accrocheurs. Prenez l’exemple de Honig, qui est active sur le segment des ingrédients culinaires et des condiments. Les études ont révélé que les gens appréciaient toujours les adjuvants culinaires, mais de préférence pas sous forme d’ingrédients secs. Nous avons donc mis au point une pâte à ajouter à différents plats et sauces. Elle remplit la même fonction que les sauces sèches, mais le goût est plus savoureux et le produit jouit d’une image plus saine. Toutes les innovations ne doivent pas être disruptives. »
Croissance du segment convenience
Kraft Heinz doit son succès à des marques fortes, lesquelles sont sous pression depuis plusieurs décennies alors que les marques propres gagnent du terrain. N’y voyez-vous pas une menace ?
« J’ai confiance dans l’impact de nos marques. Aux Pays-Bas, les MDD ne progressent plus que dans le frais. Ailleurs, on note même une perte de parts de marché. Les marques confèrent un ‘purpose’ à vos achats, elles font partie du quotidien de chacun. Surtout dans l’univers alimentaire : la nourriture ne revêt pas seulement un rôle fonctionnel. Les marques porteuses de sens sont bel et bien en croissance. Elles continuent de jouer un rôle essentiel. Qui plus est, les retailers déploient surtout leurs marques propres dans des catégories bien établies, alors que les grandes marques s’emploient à développer de nouvelles catégories. En guise de boutade, on pourrait dire que les magasins physiques disparaîtront avant les marques. Mais attention, il n’y a pas de guerre entre les marques et les distributeurs. Au contraire, nous devons collaborer pour nourrir nos croissances respectives. »
Kraft Heinz est principalement active dans le ‘center store’, avec des produits à longue durée de conservation. Une partie du supermarché quelque peu délaissée au profit du frais. N’est-ce pas inquiétant ?
« Non, j’y vois plutôt une opportunité. Les marques alimentaires auront toujours leur place. Le consommateur tient à cuisiner avec des ingrédients frais, mais la plupart des gens ne sont pas des chefs aux fourneaux et laissent les superaliments aux bloggers. Ils ont donc besoin d’aide pour préparer de bons petits plats, une aide que nous pouvons leur apporter. C’est là que les marques interviennent. »
Quelles tendances clés observez-vous dans le secteur food ?
« En premier lieu, la tendance health & wellness, qui se traduit notamment par une réduction de la teneur en sucre et en sel. Le consommateur est aussi de plus en plus curieux de découvrir de nouvelles saveurs : les cuisines indonésienne, japonaise et du monde en général ont trouvé leur place en rayon. Enfin, je citerais la croissance du segment convenience : le concept du ‘dîner au restaurant chez soi’, qui s’est développé grâce à Deliveroo et Uber Eats entre autres. Pour Kraft Heinz, il ne s’agit pas d’une menace puisque notre entreprise n’est pas seulement active dans le retail mais aussi dans le food service : en cuisine, avec des ingrédients culinaires que le consommateur ne voit pas, et au comptoir, avec le ketchup Heinz chez Burger King par exemple. Le marché du food service n’est pas aussi important que celui de la distribution, mais il progresse. Les gens mangent plus souvent hors de chez eux. »
Consolidation
Le numérique gagne-t-il en importance chez Kraft Heinz ?
« Nous n’investissons pour l’instant pas dans le ‘direct to consumer’. Nous continuons à miser sur la croissance générée par les canaux retail. Le commerce en ligne a le vent en poupe, mais sa part reste modeste dans le food, en tout cas beaucoup plus limitée que pour d’autres catégories de produits. Les gens tiennent toujours à voir et à choisir eux-mêmes leur nourriture. Les magasins ne sont donc pas près de disparaître. Mais ils évoluent : ils accordent plus de place au frais, ils organisent des démonstrations culinaires… La collaboration entre Delhaize et Foodmaker représente une sacrée transformation. »
Que pensez-vous du paysage retail au Benelux ?
« Le marché est plus concentré ici ; le nombre de gros acteurs est limité. Des marchés comme l’Espagne ou l’Italie sont plus fragmentés. Une situation n’est pas forcément meilleure que l’autre. Ce mouvement de concentration a pour effet de réduire le nombre de négociations. L’Europe étant un marché très ouvert, je pense que cette tendance se poursuivra. Les centrales d’achat nationales et internationales gagnent elles aussi en importance. »
Cela ne complique-t-il pas les relations commerciales ?
« Le modèle conflictuel a vécu. Il ne s’agit plus d’un combat entre les retailers et les fournisseurs avec de meilleures marges à la clé. Ce modèle n’est pas tenable dans la durée. Il faut favoriser le partenariat. C’est à nous de montrer comment nos innovations soutiennent la croissance des retailers, dans le respect de leurs choix stratégiques, qu’ils optent pour une approche EDLP ou high-low. Nous collaborons aussi avec les hard discounters : nous allons à la rencontre du shopper où qu’il soit. »