À l’automne dernier, un retailer sur trois était au bord de la faillite et près de la moitié des supermarchés étaient menacés. Au lieu de s’opposer de front, syndicats et retailers feraient mieux de négocier ensemble un soutien accru au secteur auprès du gouvernement.
Appel à l’aide
Chez Delhaize, les instances politiques ont désigné un médiateur social pour recoller les morceaux entre les syndicats et la direction. Mais au lieu de laisser syndicats et chaînes de supermarchés s’écharper, l’ensemble de la chaîne de valeur – des syndicats aux producteurs d’aliments pour animaux – aurait intérêt à ouvrir des négociations avec le politique.
Fevia, la fédération belge des entreprises alimentaires, avait déjà tiré la sonnette d’alarme en septembre de l’année dernière : deux entreprises alimentaires belges sur trois se trouvaient déjà dans une situation précaire. Et quatre sur dix risquaient de ne pas survivre à une nouvelle crise économique. Il est nécessaire d’apporter des solutions et un soutien concrets, expliquait la Fevia à l’époque : la fédération demandait notamment l’aide du gouvernement en matière de maîtrise des coûts salariaux.
La moitié des supermarchés en difficulté
Mais cet appel n’a pas été suivi d’effet et on apprenait en novembre que les acteurs belges de l’alimentation et de la mode avaient besoin de 513,38 millions d’euros pour résister à la tempête. Moins d’un tiers des supermarchés étaient armés pour absorber le choc. Avec l’augmentation des salaires et des coûts de l’énergie, près de la moitié d’entre eux ont besoin de capitaux frais pour survivre.
Et effectivement : Carrefour Belgique ne parvient pas à sortir du rouge en raison d’un « marché belge très concurrentiel », Lidl a essuyé une perte de 51,2 millions d’euros l’an dernier et chez Jumbo, la société mère néerlandaise a été contrainte d’injecter 20 millions d’euros supplémentaires en 2022 – Jumbo Belgique avait déjà reçu 25 millions en 2021 pour éponger les pertes. Enfin, Colruyt a également vu ses marges fondre en 2022.
2.000 postes vacants
Du côté du personnel, la situation n’était pas plus sereine. Parler de pénurie relève de l’euphémisme : au milieu de l’année dernière, on recensait plus de 2.000 postes vacants chez les supermarchés belges. Les syndicats dénoncent ainsi une charge de travail devenue insoutenable, mais les retailers ne parviennent plus à trouver de nouveaux travailleurs.
Mauvaise nouvelle : aucune amélioration ne pointe à l’horizon. Le « nouveau » Club de Rome, chantre de scénarios apocalyptiques de surpopulation mondiale à la fin des années 1960, affirme aujourd’hui que la population mondiale va commencer à diminuer avant la fin du siècle. Cela signifie qu’il y aura encore moins de jeunes et donc encore moins de main-d’œuvre, puisque le nombre de seniors ne cesse d’augmenter. Et il est illusoire de penser que ces personnes âgées travailleront plus longtemps : deux tiers des Flamands n’ont déjà aucune envie d’aller jusqu’à 67 ans.
L’écart salarial s’est encore creusé
Des réserves dans le rouge, des marges qui fondent comme neige au soleil et de graves pénuries de personnel ; à cet environnement déprimé est venue s’ajouter une belle dose de handicap salarial en janvier 2023. Au début de cette année, l’écart de charges salariales entre la Belgique et les pays voisins atteignait 21 %. Il risque même de dépasser les 30 % en 2023, craint Comeos. Et ce, sur un marché hyperconcurrentiel et sursaturé.
Si Jef Colruyt a été le premier à évoquer la difficulté du marché belge, Frans Muller (Ahold Delhaize) aussi parle désormais de se serrer la ceinture. De nouveaux exercices d’efficacité s’imposent, et d’autres chaînes de supermarchés vont suivre Delhaize sur ce terrain. Les CCT antérieures sont remises en cause.
Mesures pertinentes
En outre, le secteur ne se limite pas au retail. Ces dernières années, les supermarchés s’approvisionnent de plus en plus à l’étranger. Une tendance évidemment préjudiciable aux entreprises alimentaires belges, qui doivent déjà faire face à une hausse des coûts. Les produits alimentaires belges, nécessairement plus chers, risquent ainsi de disparaître complètement des rayons.
Et il y a nos agriculteurs. Au lieu d’investir dans de nouveaux systèmes et l’innovation durable, nos gouvernements espèrent simplement que des éleveurs de porcs cesseront spontanément leur activité pour réduire les émissions d’azote. Ce, alors que des scientifiques ont par exemple découvert qu’il était possible de réduire les émissions de méthane – éructations et flatulences – du bétail en leur administrant des compléments alimentaires à base d’algues. On peut même produire de l’engrais à partir des épurateurs d’air des porcheries et des poulaillers.
Conclusion : il est urgent que nos nombreux gouvernements se réveillent et prennent des mesures pertinentes afin de soutenir le secteur. Au lieu de vous répandre en déclarations tapageuses dans l’espoir de glaner quelques voix supplémentaires, veillez avant tout à préserver l’économie et l’emploi. Comment supporter la hausse des coûts ? Comment rendre à nouveau le marché belge compétitif ? C’est toute une chaîne de valeur qui risque d’exploser.