C’est peu dire que les chaînes de supermarchés mènent des campagnes de publicité agressives pour leurs marques maison. Lidl compare brutalement les prix, tandis que Carrefour fait dire à « Martine » qu’elle n’achètera plus jamais ses produits de grandes marques habituels. Mais est-il opportun de jeter de l’huile sur le feu en temps de guerre ?
« Plus de produits de marque dans mon caddie »
Octobre est désormais le mois des campagnes pour les marques de distributeur. Dans leur rôle autoproclamé d’anges gardiens du pouvoir d’achat, les chaînes de supermarchés se concentrent désormais sur les marques de distributeurs et se détournent sans complexe des marques A qui garnissent pourtant leurs rayons. L’argument : les marques de distributeurs sont moins chères et donc meilleures pour les consommateurs en ces temps de crise. Qu’elles génèrent souvent de meilleures marges pour le retailer n’est qu’une simple coïncidence. Car c’est pour une bonne cause, non ?
« J’avais l’habitude d’acheter des produits de marque, mais en achetant uniquement des produits Carrefour, je pense avoir fait un tiers d’économies », déclare dans une campagne flamande la Limbourgeoise Martine après avoir acheté uniquement des produits Carrefour pendant un mois. Elle apparait dans une série de spots publicitaires de Carrefour aux côtés de la « famille Janssens » et d’un jeune couple d’une vingtaine d’années. Chacun relève le « défi » de n’acheter que des produits de marque Carrefour pendant un mois. La campagne court jusqu’à la fin du mois via des publireportages dans Het Nieuwsblad et sous forme de capsules télévisées diffusées sur RTL, Play 4 et Play 5.
« L’objectif est d’informer nos clients sur les marques Carrefour et de les aider à mieux gérer leur budget, une demande très forte chez les consommateurs belges aujourd’hui. Nous donnons également d’autres informations, comme le fait qu’il est vraiment possible de faire des économies avec la carte de fidélité ou que notre assortiment de produits Carrefour est très large », explique Aurélie Gerth, porte-parole. Mais quand Martine conclut le spot par un « Je pense que mes marques habituelles ne se retrouveront plus dans mon caddie », on dépasse sans doute la simple information.
Neuf pour le prix d’un
Lidl est également entré en guerre contre les marques. Car comment interpréter autrement une campagne qui oppose une tablette pour lave-vaisselle Finish à une pile entière de détergents de marques Lidl ? Le message : pour le prix d’un article de marque A, vous obtenez jusqu’à neuf articles de marque de distributeur.
Difficile de dire pourquoi Finish a été choisi comme première cible. Mais il est déjà acquis que le même sort attend d’autres marques. À partir de la semaine prochaine, Lidl lancera une campagne destinée à « démontrer clairement le grand avantage du prix des marques maison par rapport à celui des marques A ». « En un clin d’œil, le consommateur comprendra qu’il peut acheter plusieurs produits de marques maison pour le prix de la marque A. Au travers de cette comparaison, nous voulons aider le client à faire ses courses avec un budget réduit sans qu’il doive faire de compromis sur la qualité », a déclaré Julien Wathieu, porte-parole de Lidl Belgique.
Ils ne peuvent se passer les uns des autres…
Reste à savoir si les retailers ne se tirent pas une belle dans le pied. Bien qu’ils réalisent souvent des marges plus élevées sur les produits de marques de distributeur et qu’ils aient un meilleur contrôle de ces fournisseurs (comprenez : ils ne doivent pas craindre de négociations interminables ou d’augmentation unilatérale des prix), les prix sont plus bas et ces produits rapportent moins. L’écart de prix avec les produits de marques A n’a cessé de se creuser ces dernières années, de sorte que les chiffres d’affaires baissent.
De plus, les marques A sont souvent des « aimants à clients » – des marques populaires comme Nutella ou Coca-Cola attirent les consommateurs – et la plupart investissent énormément dans l’innovation et la recherche. Ce sont les fabricants de marques qui proposent de nouveaux produits, suivent les tendances et les évolutions technologiques, lancent des campagnes de marketing coûteuses et aident souvent les retailers partenaires à innover. Lidl peut annoncer fièrement que 93% des protège-slips et 78% des lasagnes qu’il vend sont de marques de distributeur : sans Come a Casa et Always comme exemples à copier, ces variantes n’existeraient tout simplement pas.
Alors que les relations entre les supermarchés et les fournisseurs étant déjà très tendues dans le contexte d’augmentation continue des prix, on peut se demander si les premiers ont intérêt à jeter de l’huile sur le feu. Les campagnes actuelles sont authentiquement hostiles, alors que supermarchés et marques ne peuvent pas se passer les un des autres. « Les supermarchés sont pris en tenaille », confirme également Stefan Van Rompaey, rédacteur en chef de RetailDetail. « D’un côté, ils doivent s’afficher en protecteurs du pouvoir d’achat des consommateurs ; de l’autre, ils ont besoin de l’argent généré par les marques. Une telle situation est intenable. »