Il faut que les substituts végétaux des produits laitiers et de la viande adoptent les noms et l’imagerie des produits d’origine animale pour accroître leur pénétration. Avec le temps, de nouvelles catégories apparaîtront avec leurs propres codes. « Ils ne peuvent pas tout gâcher maintenant. »
Phase d’imitation
Une proposition particulièrement radicale visant à interdire aux producteurs d’alternatives végétales aux produits laitiers de comparer leurs produits aux « vrais » produits laitiers a été retirée par le Parlement européen la semaine dernière, au grand soulagement du secteur végétal. « Cette décision renforce la confiance du secteur », commente Olaf van Gerwen – il est director chez Chuck Studios, une société qui conçoit des « identités culinaires » pour les marques alimentaires. Selon lui, le fait que les alternatives végétales aux produits laitiers fassent référence aux appellations et à l’imagerie du secteur laitier est parfaitement logique puisqu’elles veulent remplacer fonctionnellement ces produits laitiers.
« C’est indispensable : pour pénétrer un marché, il faut dire clairement qui l’on est. On observe une tendance similaire dans le monde des substituts de viande. Ces marques s’appuient sur les techniques de branding issues du monde de la viande pour dire ce qu’elles ne sont pas. Et ce phénomène s’insinue jusque dans les noms des marques : The Vegetarian Butcher, LikeMeat, Impossible Meat, Karma Kebab… Aujourd’hui, elles se trouvent encore en phase d’imitation, mais à terme, les marques gagnantes seront celles qui auront réellement su créer quelque chose de nouveau. Il arrivera un moment où un nouveau produit authentique apparaîtra, qui nécessitera également un nouveau langage visuel. À ce moment, vous n’entendrez plus le lobby de la viande se plaindre, parce qu’alors il n’aura plus le droit de le faire. Et les choses deviendront réellement nouvelles et amusantes. »
Nouveaux partenariats
L’attitude défensive du lobby du lait est compréhensible, mais inutile, poursuit Olaf van Gerwen. On ne peut en effet s’opposer aux évolutions sociales : « C’est un peu une tentative de la dernière chance des grands clubs de producteurs laitiers. Mais la peur est mauvaise conseillère. Si vous avez peur que votre concurrent vous ravisse des parts de marché, il faut se retrousser les manches et faire mieux. Un producteur de lait ou de viande intelligent ne joue pas l’autruche, mais embrasse les nouvelles tendances et les accompagne. » De nombreux partenariats voient le jour : aux Pays-Bas, Beyond Meat construit une usine en collaboration avec l’entreprise de viande Zandbergen. Danone a déjà racheté la société belge Alpro, alors qu’Unilever et Nestlé investissent énormément dans les produits d’origine végétale. Ce sont des entreprises qui ont un impact.
Le vent commence à tourner, remarque notre interlocuteur. « Je suis moi-même un amateur de viande, mais j’en arrive à un point où j’hésite. La viande commence à prendre une connotation négative. Regardez l’assortiment de viandes au supermarché : ce n’est bon pour personne dans la filière. Pas pour l’animal, pas pour l’agriculteur qui ne parvient plus à gagner sa vie, pas pour la planète, et pas pour ceux qui les consomment. Plus rien ne justifie de manger de la viande et des produits laitiers tous les jours. Ce n’est plus nécessaire. »
Marketing controversé
Il renvoie aux nombreuses start-up actives dans la viande de culture : « Mosa Meat prévoit de lancer l’an prochain les premiers hamburgers composés de viande provenant de bioréacteurs. Ils coûteront encore plusieurs fois le prix des hamburgers de bœuf “normaux”, mais c’est un bon début. » La viande devient un produit de luxe. Mais les producteurs de viande de laboratoire devront bien réfléchir à la manière dont ils commercialiseront leurs produits. « J’espère qu’il y aura une concertation à l’échelle du secteur à ce sujet. Parce qu’il faut bien avouer qu’un nom comme “viande de culture” ne fait pas très envie. Laissons l’ensemble du secteur trouver un bon nom pour la viande de culture. Et ils ne doivent pas se tromper, comme cela s’est produit quelques fois dans l’histoire du marketing. Voyez la bière sans alcool : elle commence seulement à revenir en grâce. »
Car si tous ces nouveaux produits sont des substituts de produits laitiers ou de viande sur le plan fonctionnel, ils n’ont pas encore réellement pris vie sur le plan émotionnel. Les choses commencent à peine à bouger. « Une entreprise comme LiveKindly Collective veut devenir l’Unilever des produits végans. Elle compte dans ses rangs des anciens d’Unilever qui maîtrisent toutes les ficelles du marketing. Ils savent parfaitement ce qu’une marque apporte à un produit. Un autre exemple est Abbot Kinney’s, avec des produits très savoureux. Ils ont baptisé leur yaourt végétal Yog : comme ils n’étaient pas autorisés à utiliser yoghourt, ils ont imaginé un nouveau nom. Oatly est aussi une marque spectaculaire : ils pratiquent une sorte d’anti-marketing qui fonctionne bien. Pour cultiver leur image de rebelle, ils appliquent beaucoup moins les codes de l’industrie laitière : pas de vague blanche dans un verre sur l’emballage, juste un dessin en noir et blanc très graphique. Du marketing ludique et détonnant qui correspond à leur caractère disruptif. »
Identité culinaire
Olaf van Gerwen aide les marques alimentaires à construire une identité distinctive en utilisant un langage visuel unique. Car le problème de nombreux produits alimentaires est qu’ils se ressemblent beaucoup une fois sortis de leur emballage. Dans ces conditions, comment rendre visible l’histoire qui se cache derrière la marque ? C’est la spécialité de Chuck Studios, une entreprise de production de photos et de vidéos qui a désormais des antennes à Amsterdam, Londres, Moscou et Los Angeles.
« Il y a bien sûr des exceptions : dans les biscuits ou le chocolat, la marque y est souvent présente non seulement sur l’emballage, mais aussi sur le produit lui-même. Mais de la bière ressemble à de la bière, et du lait ressemble à du lait. Nous avons appris à donner une superbe esthétique aux produits alimentaires, mais aussi à coder le visuel de manière à ce qu’il ramène toujours à la marque en question. Nous sommes devenus des spécialistes de la conception d’“identités culinaires” pour les marques de produits alimentaires, afin qu’elles adoptent le même langage visuel de manière cohérente sur tous les points de contact et en permanence. Comment différencier une sauce pour spaghettis d’une autre sans voir la marque ? C’est notre job. » Un job qui promet de devenir encore plus passionnant à mesure que de nouvelles générations de produits d’origine végétale feront leur apparition dans les rayons des magasins.