Dans le contexte de crise du coronavirus, le fabricant de confiseries Mondelez constate une augmentation de la demande de marques locales fortes et une explosion de la demande en ligne, mais s’attend également à ce l’impact financier majeur de la crise se répercutent sur les prix de vente.
Sécurité et continuité
Pour Jan Willem Balk, PDG de Mondelez au Benelux, les derniers mois ont été à la fois intenses et contraignants : « Le 9 mars, je fêtais mon cinquantième anniversaire. Ce soir-là, avec notre équipe, nous avons décidé de demander à notre personnel aux Pays-Bas de travailler à domicile, avant même que le gouvernement n’annonce des mesures. Notre siège social aux Pays-Bas, installé à Oosterhout, était à l’épicentre. Nous avons rapidement appliqué la même politique en Belgique. D’un coup, nous étions environ 350 à travailler à domicile. La sécurité est une priorité, tout comme la continuité. »
Assurer la continuité s’est avéré être un défi de taille, notamment lors de la vague de surstockage en mars. « Dans l’industrie agroalimentaire, vous êtes très proche du consommateur : nous côtoyons chaque jour neuf familles sur dix, nous jouons un rôle dans la vie quotidienne. Nous constatons immédiatement les changements de comportement des consommateurs. Ainsi, cette période initiale, cette thésaurisation, c’était très particulier. La vente de nos crackers et de nos Cracottes a doublé. Si on peut s’en réjouir au départ, au bout de deux semaines, on est à court de stocks. En outre, tandis que nous vendions davantage dans les supermarchés, nous n’étions plus du tout actifs dans l’horeca, dans les activités hors domicile. »
Ensemble contre l’ennemi extérieur
Dans l’ensemble, cela a fonctionné : « En temps normal, 98,5% de nos livraisons sont effectuées correctement et dans les temps. Bien entendu, cette performance a baissé : au niveau le plus bas, ce taux était de 93%, ce qui reste respectable. Nous avons entre-temps retrouvé notre niveau habituel. Travailler ensemble et avec les clients est très fédérateur : comment affronter ensemble cet ennemi extérieur ? Nous avons immédiatement fait des choix très clairs : nous nous sommes concentrés sur les produits essentiels, et nous nous sommes assuré que nous pouvions maintenir cette chaîne d’approvisionnement. Cela a bien fonctionné. »
Dans les usines, des mesures strictes étaient, et sont toujours, en place : pas de visiteurs extérieurs, contrôle de température pour chaque équipe de travail, distance, masques buccaux… « Les six premières semaines, les absences pour cause de maladie ont doublé, mais ce n’était pas surprenant : nous avions demandé à nos collaborateurs de rester chez eux au moindre soupçon de rhume. La confiance est progressivement revenue. C’est de cette façon que nous avons pu maintenir une production ininterrompue. Nous avons également demandé à nos employés « sur le terrain » de travailler à domicile. Puis, lorsque la situation s’est corsée pour les détaillants, nous avons décidé, en concertation, de soutenir toutes les mesures de sécurité : les rayons étaient réapprovisionnés pendant les heures creuses. Cela aussi a été contraignant. »
Envie de vacances
Le travail à domicile exige une approche différente. Avant tout, il faut continuellement maintenir le contact direct, explique Balk. « Dès la deuxième semaine, nous avons donné à nos collaborateurs un cadre strict, à l’intérieur duquel ils avaient des libertés. Le lundi matin, nous demandons à nos collaborateurs comment ils se sentent sur une échelle de 0 à 10. Nous leur demandons également : quel est votre programme cette semaine ? Mais aussi : dans quel domaine avez-vous besoin d’aide ? Cela fait 18 semaines que, tous les lundis matins, nous posons ces trois questions à 350 personnes. Cela permet de prendre le pouls de votre organisation. »
« Au départ, nos collaborateurs du Benelux donnaient un score de 7,2. Je m’attendais à une baisse, mais elle n’a pas eu lieu et le score est maintenant au-dessus de 8 depuis trois semaines. Et l’aide sollicitée par les collaborateurs diminue depuis la première semaine. On voit donc qu’après 18 semaines, ils sont capables de trouver un bon rythme en travaillant à domicile. En tant que direction, nous consacrons le mardi et le jeudi, le cas échéant, à la prise de décisions rapides et au feedback avec nos 350 collaborateurs. Cela rend cette période très intense. Des cycles normalement hebdomadaires sont devenus des quotidiens, et ce depuis 18 semaines. C’est réellement éprouvant pour nos collaborateurs. Nous sentons qu’ils ont hâte de prendre des vacances. »
Les bureaux de Mondelez ont désormais rouvert, mais en principe les gens travaillent toujours de chez eux. Nous appliquons d’ailleurs des directives strictes : les réunions sont limitées à une heure, avec un maximum de cinq participants. Et tout le monde est tenu de porter un masque pendant les déplacements.
Des processus sous contrôle
Bien entendu, le marché a été chamboulé, les comportements de consommation et d’achat ont changé de façon spectaculaire. « Avant la crise, le taux de croissance des ventes de chocolat était de 3,5% ; pendant la crise, il est monté à 5 – 5,5%. Au cours des huit premières semaines de l’année, le taux de croissance des ventes de biscuits avoisinait 2%, et est désormais également supérieur à 5%. En période d’incertitude, les Belges ne disent pas non au grignotage… La pire chose qui puisse arriver à un Belge selon moi, c’est de ne pas avoir de Côte d’Or à la maison. Le marché se développe, mais notre part aussi. En période d’incertitude, les gens reviennent à des marques de confiance, à ce qu’ils connaissent. Mais le tableau n’était pas rose pour autant : nous avons aussi de nombreux clients dans l’horeca, les cinémas, les boutiques d’aéroport… et ils ont fermé. Ces deux effets s’annulent mutuellement. »
La situation se normalise à présent ? « L’énorme pic de la vente au détail est derrière nous, le marché est revenu à la normale. Nous sommes également heureux que le secteur de l’horeca ait rouvert, mais nous pensons qu’il faudra encore du temps pour que ce marché se rétablisse, les consommateurs préférant encore rester chez eux. En interne, la tempête est passée, les processus sont sous contrôle, les usines tournent. Nous sommes maintenant mieux équipés pour affronter une éventuelle deuxième vague. Nous travaillons activement pour reporter nos plans commerciaux au second semestre : nous pouvons recommencer à diffuser les campagnes que nous avions prévues. En outre, nous pouvons relancer l’introduction de nouveaux produits. Avec LU, nous lançons une nouvelle catégorie : une gaufre de Liège déclinée en deux variantes, dont l’une enrobée de chocolat Côte d’Or avec 70% de cacao. Un délice ! »
Le choix de la sécurité
Le comportement des consommateurs va-t-il changer de façon permanente ? « Je pense que les consommateurs sont désormais bien plus conscients de l’importance du local. Tout le monde s’est fortement recentré sur sa famille et ses proches : cette année, les petits bonheurs simples et les moments conviviaux remplacent un énième voyage en Thaïlande. La tendance à davantage cuisiner et faire de la pâtisserie à la maison ne disparaitra pas instantanément. Les gens se sont également plus souvent rendus dans leurs magasins de quartier. Et pour nous, il était important de continuer à leur offrir une relation de confiance en ces temps très incertains. Les gens font désormais le choix de la sécurité, et c’est là que les marques jouent un rôle important. Surtout des marques qui racontent une histoire, comme Prince. Elles ont quelque chose de réconfortant. »
Le confinement est également à l’origine de l’apparition d’un nouveau mot dans notre vocabulaire : les « corona-kilos ». Mondelez se sent-il visé ? « Nous sommes convaincus que nos produits ont leur place dans un mode de vie équilibré et sain. Nous ne prétendons certainement pas que vous devez vous gaver de chocolat et de biscuits : il faut être raisonnable. Bougez suffisamment, soyez conscient de ce que vous mangez et appréciez-le. Je ne peux pas empêcher les gens de manger plus de chocolat chez eux. J’espère bien qu’ils ont conscience que cela ne peut pas durer éternellement. Nous encourageons également nos collaborateurs avec un programme « Fit to win ». Nous avons des produits délicieux, à déguster avec sagesse. Et délicieux, ils le seront toujours. »
La pénétration sur le web augmente fortement
Il y a eu, bien sûr, l’impact croissant d’Internet, y compris dans l’alimentation. « Aux alentours de Pâques, notre équipe de commerce électronique avait imaginé un magnifique pot en verre rempli de 1,2 kilo d’œufs de Pâques Milka à mettre en vente sur bol.com. Nous n’aurions jamais pu imaginer que ce serait l’un des articles les plus difficiles à gérer pour ce client. Le commerce électronique explose. Le taux de croissance des ventes en ligne de chocolat, de biscuits et de sel a doublé pendant la crise du coronavirus, passant de 25 à 50%. Bien plus de consommateurs ont fait des achats en ligne. Nous savons qu’environ 15% de l’ensemble des acheteurs ont fait au moins un achat en ligne depuis le début de la crise du coronavirus. Par ailleurs, les consommateurs qui voulaient acheter en ligne ont été confrontés à des services de commandes saturés… La croissance fulgurante des achats en ligne va peut-être légèrement stabilisée, mais elle continuera à augmenter. »
Mondelez va-t-il explorer de nouveaux canaux en ligne ? « Nous sommes très actifs auprès de nos clients traditionnels, mais nous étudions tous les canaux. Les emballages cadeaux sont amusants : Toblerone personnalisé, noms sur l’emballage … Cela a un effet énorme. Eden Hazard sur une barre Côte d’Or classique fait revivre l’émotion Panini. Ces emballages spéciaux Championnat d’Europe n’ont été que brièvement disponibles en magasin : nous ne voulions pas les récupérer ni les jeter, mais nous avons immédiatement cessé l’approvisionnement. Pourtant, des consommateurs sont parvenus à collectionner l’équipe belge complète. En tant qu’Hollandais, je suis toujours surpris par la place prépondérante qu’occupe une marque comme Côte d’Or dans le pays. Incroyable. Si on convertissait en barres les chocolats Côte d’Or que nous pensons encore pouvoir vendre cette année et qu’on les plaçait les unes à la suite des autres, on formerait un cercle qui engloberait à peu près la Belgique. Le Belge aime Côte d’Or et Côte d’Or aime la Belgique. »
Se concentrer sur l’essentiel
Mondelez ne craint-il pas les effets d’une éventuelle récession ? Les marques sont plus chères… « L’heure est plus que jamais à l’économie, c’est donc difficile à estimer. Nous avons confiance en l’avenir parce que nous savons que notre stratégie fonctionne. Nous allons affiner notre approche : nous concentrer davantage sur l’essentiel, assurer un bon rapport prix/valeur des produits. Nous fournissons une offre suffisante en formats économiques. Nous savons que nous pouvons compter sur la fidélité de nos consommateurs. Et nos marchés sont en expansion : la consommation intermédiaire est une tendance. Nous sommes en position de force pour accroître notre part. »
Le PDG, Dirk Van de Put, a récemment annoncé dans la presse spécialisée internationale que l’entreprise allait restructurer sa gamme de produits. Cela vaut-il aussi pour le Benelux ? « La question est la suivante : comment maintenir une efficacité optimale dans nos usines tout en continuant à approvisionner correctement nos produits de base ? Si vous avez suffisamment confiance en votre base, les sixième et septième variétés sont-elles vraiment nécessaires en période de récession économique ? Notre réponse est non. Elles sont plaisantes, mais pas indispensables. C’était également le message de Dirk Van de Put : une piqure d’efficacité dans notre portefeuille mondial. Au Benelux, nous avons un portefeuille assez restreint : dans un grand supermarché, nous proposons environ 230 variétés. À voir le chiffre d’affaires que nous pouvons en tirer, nous sommes plutôt dans le bon. Bien entendu, nous avons aussi quelques produits secondaires dont nous pouvons nous passer, à condition de continuer à bien communiquer avec des marques comme Côte d’Or et LU. »
Cette période a-t-elle également modifié les relations avec les détaillants ? « Nous avons réellement travaillé en étroite collaboration. Nous en sommes désormais au même stade : nous nous demandons comment la situation va évoluer. Comme les détaillants, nous sommes confrontés à une augmentation considérable des coûts. Cela aura forcément des conséquences. Je m’attends à ce que ce sujet soit de plus en plus remis sur la table. » Cela implique-t-il aussi une augmentation des prix ? Le secteur était déjà dans le viseur lorsque les soldes ont été suspendues… « Mais les consommateurs comprendront aussi combien il est important de maintenir un secteur vital en activité et que, dans le contexte actuel, cela se répercute naturellement sur les prix. Nous devrons l’expliquer ensemble. Nous avons une responsabilité sociétale. Et, bien sûr, les discussions traditionnelles entre les détaillants et les fabricants se poursuivront, elles font partie intégrante du processus. Sans ça, le monde changerait vraiment structurellement. »