L’e-commerce est encore un facteur marginal pour les biens de grande consommation. Mais cette situation peut-elle continuer? Nous avons posé la question à Jean-Jacques Vandenheede, Retail Insights Director Europe chez The Nielsen Company et orateur lors de la RetailDetail Night.
Frilosité
Notre interlocuteur est formel: « Quand on regarde les évolutions dans d’autres secteurs, il est inéluctable que l’alimentation subisse également l’impact de l’e-commerce. La question est dès lors la suivante: pourquoi n’avons-nous toujours pas avancé sur ce plan?”
Pour lui, la frilosité des détaillants alimentaires vis-à-vis des activités en ligne constitue la principale raison de ce retard. “Si Jeff Bezos avait commencé en 1994 avec le même assortiment que la chaîne de librairies Borders, avec les mêmes prix, et avec l’idée que la commodité ferait la différence, nous n’aurions jamais entendu parler d‘Amazon et Borders n’aurait pas fait faillite. Mais le sort en a décidé autrement. Sur son premier site Web, Amazon vendait plus d’un million de titres à des prix plus bas en permanence.”
Innover vraiment
Le monde de l’alimentation peut en tirer les enseignements, estime Jean-Jacques Vandenheede. Pour gagner en ligne, il faut vraiment innover et non se contenter d’offrir le même assortiment aux mêmes prix. « Aujourd’hui, les supermarchés élaborent leurs activités d’e-commerce par-dessus leur modèle business existant, et chaque vente en ligne leur coûte davantage que si le consommateur venait faire ses courses au magasin. Cette solution n’est donc pas particulièrement attrayante. Pour réussir en ligne, il faut changer son modèle business.”
Une illustration? “Dans mon enfance, je faisais partie de la chaîne d’approvisionnement de ma mère. Quand elle avait besoin de quelque chose, elle m’envoyait sur mon vélo chez l’épicier du coin, à quelques centaines de mètres. Le samedi, elle allait payer. Ce petit manège a duré jusqu’à ce qu’elle adopte le supermarché. Ce dernier offrait un avantage considérable en termes d’assortiment, de prix et de commodité – les trois facteurs cruciaux pour faire la différence.”
Le secteur alimentaire en ligne devra proposer un meilleur assortiment, à des prix plus avantageux, avec une livraison ou une collecte en toute fluidité. Un turnaround est possible. “Le modèle du supermarché a fait disparaître les grossistes traditionnels, dont un certain nombre sont devenus de bons acteurs sur la scène des supermarchés. Des entreprises telles que Colruyt et Delhaize ont continué à approvisionner de petits commerçants jusqu’à ce que cette activité ne soit plus rentable. L’ancien modèle s’est éteint. Dans la même optique, les détaillants alimentaires doivent désormais créer un nouveau business en regard de celui qui existe déjà. Ils disposent de tous les éléments pour ce faire mais doivent adopter une approche différente.”
Le souffle brûlant d’Amazon
En Europe, les détaillants ne semblent pas encore conscients de l’extrême urgence. Aux États-Unis, Walmart n’a pas tardé à réagir. Le détaillant investit pleinement dans des centres de distribution d’e-commerce, des systèmes de robotisation, des points de collecte,… “Walmart a compris qu’il est grand temps de se réveiller. L’entreprise sent en effet le souffle brûlant d’Amazon dans sa nuque. Voilà pourquoi elle a récemment investi trois milliards de dollars dans la start-up d’e-commerce Jet.com. Pendant ce temps, les détaillants européens sont en plein sommeil. Je fais volontiers la comparaison avec Nokia, qui voulait développer un meilleur téléphone en 2007 alors que pour Steve Jobs, la téléphonie n’était qu’une fonction supplémentaire dans le concept de l’iPhone.”
La critique récurrente selon laquelle Amazon n’a pas de modèle business rentable, Vandenheede la balaie du revers de la main. “Ne vous trompez pas au sujet d’Amazon: cette entreprise est très rentable mais elle investit ses bénéfices dans sa croissance et ne verse donc pas de dividendes. Les actionnaires adhèrent à cette stratégie. Les cinq prochaines années seront le théâtre d’une véritable guerre pour l’Inde: Amazon vs Alibaba… Elle a d’ailleurs déjà commencé. Ce sera ensuite le tour de l’Europe. D’ici là, les détaillants européens seront-ils prêts à livrer bataille? Un groupe tel qu’Ahold Delhaize dispose d’ores et déjà de bol.com mais ce dernier n’atteint pas encore une échelle suffisante.”
Comment les supermarchés peuvent-ils relever les défis de l’e-commerce? Jean-Jacques Vandenheede l’expliquera le 8 décembre, lors du séminaire « Future of Food » de RetailDetail, en préambule à la RetailDetail Night. Inscrivez-vous maintenant pour ne pas manquer cet événement.