Tous les légumes ne proviennent pas du champ ou de la serre : les algues ont tout pour s’imposer comme un ingrédient durable, nutritif et savoureux. Une industrie européenne des algues se dessine.
Marché en plein essor
Si les algues sont consommées depuis des milliers d’années en Asie, elles représentent encore une niche limitée en Occident. Une situation qui change progressivement : principalement grâce à la popularité croissante des sushis, de plus en plus de consommateurs occidentaux se familiarisent avec la consommation de légumes de mer. Outre le nori et le wakamé, les supermarchés proposent déjà divers produits à base d’algues : salades d’algues, hamburgers aux algues, fromage aux algues ou algues séchées pour assaisonner les salades ou les soupes. Selon les experts, le potentiel est grand : en plus d’être savoureux, ajoutant une touche « umami » aux plats, les légumes de mer sont également sains et durables.
Environ 35 millions de tonnes d’algues sont produites à l’échelle mondiale. En Europe, le secteur des algues n’en est encore qu’à ses débuts : la production s’élève actuellement à environ 300 000 tonnes, mais pourrait atteindre 8 millions de tonnes d’ici à 2030, selon un récent rapport de Seaweed for Europe, une coalition d’une trentaine de partenaires industriels qui veulent développer le marché européen des algues. La valeur totale du marché des algues pourrait atteindre 9,3 milliards d’euros d’ici à 2030, dont 30 % cultivées en Europe et le reste importé. Ce secteur pourrait également créer 85 000 emplois. Les utilisations les plus prometteuses des algues se situent dans les compléments alimentaires pour le bétail, l’alimentation pour l’homme et les biostimulants (engrais durables). 77 % des algues cultivées à l’échelle mondiale sont déjà destinées à la consommation humaine. Ce marché est en plein essor, grâce à l’intérêt croissant pour un modèle alimentaire plus durable et plus sain.
Super-légumes de la ferme marine
Les bénéfices environnementaux sont également importants : les algues absorbent le CO2 de la mer, mais également l’azote et le phosphore. En ce sens, il s’agit d’une culture régénératrice. La production n’occupe pas de précieuses superficies de terrain mais exploite l’espace largement disponible près de la côte, en pleine mer ou en combinaison avec des parcs éoliens et l’aquaculture. La culture ne nécessite ni eau douce, ni fertilisants, ni pesticides. Elle ne représente donc pas une menace pour la biodiversité, bien au contraire. La culture des algues s’inscrit donc parfaitement dans les objectifs de développement durable des Nations unies et le « Green Deal » européen.
Récemment, de nombreuses initiatives visant à développer la culture locale des algues ont vu le jour, notamment en Belgique et aux Pays-Bas. Chez nous, le consortium Seaconomy a été fondé en 2018, dont Colruyt Group est également partenaire. Selon les initiateurs, les algues peuvent jouer un rôle majeur dans l’approvisionnement alimentaire local et dans la promotion de la durabilité dans la chaîne alimentaire. Aux Pays-Bas, le Zeewiercentrum étudie ce potentiel. Plusieurs fermes d’algues sont déjà opérationnelles dans l’Oosterschelde.
Selon une étude sur la viabilité économique de ce potentiel « super-aliment », la mer du Nord se prête parfaitement à la culture de divers types d’algues marines présentant un potentiel économique. Il s’agit notamment de l’algue wakamé d’Atlantique, de la laminaire sucrée, du fucus vésiculeux, du chêne marin, de la laitue de mer, de la dulse, du nori et de la mousse d’Irlande. Un projet d’innovation ambitieux doit permettre l’utilisation à grande échelle des algues comme matière première du futur. À court terme (2025), les algues locales pourront être cultivées dans la partie belge de la mer du Nord et être utilisées comme additif dans l’alimentation humaine et animale. L’élevage dans les eaux belges peut suffire à répondre à la demande locale du secteur de l’alimentation humaine et animale.
Colruyt Group en est déjà convaincu : le groupe de distribution prévoit une ferme marine de 4,5 km² le long de la côte belge à Nieuport. Dans un premier temps, en plus de 2 000 tonnes de moules et 100 tonnes d’huîtres, l’entreprise prévoit d’y cultiver 100 tonnes d’algues. Il s’agira de fucus, une algue accessible qui ne pousse pas à l’état sauvage et qui est délicieuse en salade, par exemple. Atout supplémentaire : les algues ne coûtent pas cher.
Success stories
Y a-t-il un marché ? Dans tous les cas, l’intérêt croît rapidement. Les magasins de produits alimentaires naturels et des supermarchés comme Delhaize et Albert Heijn proposent déjà une gamme limitée de produits à base d’algues. Tant que cette offre se limitera à quelques espèces d’algues séchées et quelques algues en salades fraîches, il n’y aura pas de véritable percée. Toutefois, le lancement de préparations alléchantes et de produits pratiques peut rapidement inverser la tendance.
Un bel exemple de success story est celui de The Dutch Weedburger, un producteur hollandais de substituts de viande à base de haricots et de champignons et enrichis en algues et micro-algues provenant de la ferme d’algues Zeewaar dans l’Oosterschelde. Les produits sont servis dans 200 restaurants et ont récemment rejoint les rayons des 300 supermarchés Albert Heijn. « Nous pensons que la cuisine végétale est la clé d’un véritable changement. Qu’il s’agisse de redresser la situation dramatique de la bio-industrie, de rendre l’économie plus durable ou de promouvoir la paix dans le monde. La solution à tous ces problèmes résident dans votre assiette. À vous de choisir », déclare le co-fondateur, Mark Kulsdom. « Nous tentons de renverser l’industrie de la restauration rapide pour montrer aux entreprises, aux politiques, aux ONG, aux agriculteurs et aux consommateurs que d’autres options existent, des options bénéfiques pour la nature, les animaux et l’Homme. Nous, les Weedheads, sommes convaincus que le Dutch Weed Burger peut accélérer cette transition à l’échelle mondiale. »
Un autre bel exemple du potentiel des algues comme base d’une alimentation savoureuse et saine se trouve en Allemagne. Les entrepreneurs Deniz Ficicioglu et Jacob von Manteuffel travaillent en partenariat avec des universités, des producteurs d’algues et des experts sur le développement de produits innovants à base d’algues. Leurs salades d’algues en bocaux, sous la marque Nordic Oceanfruit, sont déjà commercialisées dans plus de 5 000 magasins en Allemagne. Les algues sont cultivées selon des méthodes biologiques en Europe, et les produits sont 100 % végétaux, sans gluten et sans sucre raffiné. Et, avec une nouvelle start-up, ils vont encore plus loin : Betterfish est une alternative végétale au thon, fabriquée à partir d’algues. Sa commercialisation serait prévue pour la fin de l’année 2021.
En bref ? La culture des algues peut démontrer que durabilité et réussite économique vont de pair. Dans dix ans, les supermarchés et les restaurants pourraient proposer un large éventail de produits à base d’algues sains et savoureux à un large public, pas seulement aux végétariens. Les algues ont un potentiel en tant que source pour les compléments alimentaires, en tant qu’ingrédient de cosmétiques durables et même en tant que composant de médicaments pour traiter les maladies chroniques, notamment les maladies cardiovasculaires et la maladie d’Alzheimer. Une vision séduisante qui n’est plus si lointaine.
Dans quelle mesure les algues sont-elles saines ?
Une espèce n’est pas l’autre mais, de manière générale, les algues sont riches en nutriments sains, parfois même un peu trop. Tout d’abord, les algues sont riches en vitamines (notamment la vitamine B1, la vitamine K et l’acide folique) et minéraux. Ce sont une source de calcium, de phosphore, de magnésium, de sodium, de potassium, de fer et d’iode. Les algues contiennent également beaucoup de protéines et d’acides aminés essentiels. Elles peuvent donc, dans une certaine mesure, remplacer la viande. En outre, les légumes de mer sont riches en fibres et contiennent les acides gras sains EPA et DHA que l’on trouve également dans le poisson.
Un ingrédient particulier est le fucoïdane, une substance qui ne se trouve pas dans les plantes terrestres et qui, selon certains, expliquerait en partie la longue espérance de vie des Japonais, de grands consommateurs d’algues. Le fucoïdane contribuerait à l’immunité et aux fonctions cardiovasculaires.
Mais, attention : la surconsommation d’algues n’est pas bonne non plus. L’iode, notamment, doit être consommé avec précaution. L’excès de vitamine K est également à éviter. Certaines algues ont une forte teneur en potassium, qui peut être dangereux pour les personnes souffrant de problèmes rénaux. Les algues peuvent également contenir des métaux lourds. Ramasser des algues à l’état naturel est de toute façon déconseillé.
Les algues peuvent-elles lutter contre les émissions de méthane du bétail ?
Et les algues pourraient également avoir un potentiel étonnant dans l’alimentation animale. Des scientifiques sont parvenus à réduire de 82 % les émissions de méthane des vaches en ajoutant une petite quantité d’algues dans leur régime alimentaire. Il suffit de quatre-vingts grammes d’algues par jour, et la production de viande reste identique.
Les vaches produisent du méthane par l’action des microbes présents dans leur estomac lors de la digestion de leur nourriture riche en fibres, selon un processus plus ou moins similaire à la fermentation. Une espèce spécifique d’algue rouge, l’Asparagopsis taxiformis, peut partiellement neutraliser ces émissions libérées par les vaches. Cette algue semble supprimer une enzyme dans le tube digestif des vaches, réduisant ainsi la production de méthane.
Le méthane est un important gaz à effet de serre, qui contribue au réchauffement climatique. L’agriculture est responsable d’environ 10 % des émissions aux États-Unis, une grande partie provenant des vaches qui rotent ou qui, dans une moindre mesure, excrètent du méthane.
Cet article est basé sur un extrait du livre « The Future of Food » de Jorg Snoeck, fondateur de RetailDetail, et Stefan Van Rompaey, rédacteur en chef, qui sera publié par Lannoo Campus fin septembre.